Le Guide du médecin généraliste communautaire en Afrique et à Madagascar

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Couverture du guide du médecin géneraliste à madagascarLe 15 septembre dernier, à la Maison de la Région sur la Canebière à Marseille, l’Association de solidarité internationale Santé Sud lançait un ouvrage qui résume une vingtaine d’années d’expérience de terrain : Le Guide du médecin généraliste communautaire en Afrique et à Madagascar, par Dominique Desplats et Clément Razakarison. Pour Dominique Desplats, co-auteur du livre et surtout co-fondateur de l’ONG marseillaise et initiateur de ses programmes d’installation de médecins en zones rurales, l’ouvrage est « à la fois technique, anthropologique, pédagogique et humaniste ». Il est destiné à tous les médecins africains et malgaches qui désirent s’installer en brousse… mais peut intéresser les médecins généralistes français également ! »

En effet, en France comme en Afrique subsaharienne, la demande de proximité des patients se fait de plus en plus pressante : approche holistique, relation personnalisée et pérenne, coordination des soins… Paradoxalement, on assiste à une désertification médicale nouvelle en France, un problème qui en Afrique se pose depuis toujours malgré une augmentation importante du nombre de médecins. Ici comme là-bas, c’est vers les jeunes médecins généralistes qu’on se tourne pour garantir cette demande de proximité, alors qu’ils semblent se désintéresser de cette profession… C’est sur cette question que se sont centrés les échanges le 15 septembre dernier lors de la projection-débat qui a précédé le lancement du livre.

Ce guide synthétise cette approche novatrice. Il s’adresse d’abord, de façon pratique et didactique, aux jeunes médecins dont beaucoup sont sans emploi, mais aussi à tous ceux qui sont préoccupés par l’avenir et les nombreux défis qui restent à relever en matière de santé. Il peut être utilisé à la fois comme un manuel pratique pour les médecins travaillant dans un contexte d’isolement ou être lu comme un témoignage concret et vivant qui reflète le travail difficile des jeunes médecins en brousse…

La médecine communautaire rurale : un problème de fond en Afrique

En Afrique et à Madagascar, depuis une trentaine d’années en effet, des efforts considérables ont été menés pour fournir des soins de base aux populations rurales qui sont largement majoritaires mais pour lesquelles la qualité des soins reste médiocre. L’absence du médecin généraliste en première ligne, véritable « chaînon manquant » de systèmes de santé sans médecins, est paradoxale si on considère le nombre de diplômés formés dans ces pays qui restent dans les capitales et les centres urbains (76 % selon l’OMS).

Prenant la mesure du problème, l’ONG Santé Sud soutient depuis une vingtaine d’années les jeunes médecins africains et malgaches qui font le choix de s’installer en zones rurales. L’expérience a commencé au Mali, puis s’est développée à Madagascar et au Bénin. Aujourd’hui plus de 200 « médecins généralistes communautaires » exercent ce métier auprès de populations qui représentent environ 2,5 millions d’habitants.

Il convient avant tout de souligner les progrès réalisés en matière de santé sur le continent africain.
À titre d’exemple, l’espérance de vie au Mali est passée de 35 ans en 1960 à 47 ans en l’an 2000, et dépasse aujourd’hui les 50 ans. Cette avancée significative est fortement liée aux taux de mortalité infantile (enfants de moins d’un an) et de mortalité infanto-juvénile (enfants de moins de 5 ans) qui se sont améliorés d’environ 50 % durant la même période, mais elle traduit aussi une meilleure prise en charge globale, curative et préventive, des principales maladies.

S’il est vrai que de trop nombreux pays, rongés par les conflits et l’instabilité, ont peu progressé, et que les problèmes de santé restent toujours et partout préoccupants dans les pays les moins avancés (PMA)1, il ne faut pas occulter pour autant les efforts accomplis qui sont généralement sous estimés par une vision à court terme des performances comparées avec celles des pays développés. Dans son rapport sur la santé dans le monde 2008, l’OMS l’affirme explicitement : « Dans l’ensemble, les populations sont en meilleure santé, plus prospères et vivent plus longtemps qu’il y a 30 ans ».

Cet effort a porté aussi sur la formation des personnels de santé dont le nombre a augmenté dans d’importantes proportions. Concernant la formation médicale, des facultés de médecine se sont ouvertes pratiquement dans tous les pays de l’Afrique francophone depuis les indépendances alors qu’il n’existait, avant les années 1960, que deux anciennes écoles de médecine : Tananarive créée en 1896, et Dakar en 1918. Chaque année, des cohortes importantes de jeunes diplômés sortent de ces nouvelles facultés (100 à 300 selon les facultés) si bien que le nombre de médecins augmente dans tous les pays. Ainsi, par exemple, on compte aujourd’hui environ 1 médecin pour 6 500 habitants au Mali, 1 médecin pour 3 000 habitants à Madagascar, 1 médecin pour 7 500 habitants au Bénin.

Ce ratio théorique est relativement satisfaisant mais il cache des disparités très importantes avec une forte concentration médicale dans la capitale et les quelques grandes villes. De ce fait, les zones rurales où vit 60 à 80 % de la population selon les pays sont des déserts médicaux. Cette disparité ville/campagne s’est considérablement aggravée à partir des années 1980 avec les mesures d’ajustement structurelles du FMI et de la Banque Mondiale qui ont imposé, pour réduire les déficits, des coupes sombres dans le budget des États. Le gel du recrutement dans la fonction publique devint la règle alors que ce recrutement était automatique pour les médecins afin de couvrir les immenses besoins en santé. C’est ainsi qu’au Mali, en 1987, le premier concours proposa 2 postes de médecins aux 60 nouveaux diplômés. Un phénomène nouveau est apparu, celui du « diplômé-chômeur », un médecin sans emploi et sans moyens personnels pour s’installer par lui-même, condamné à des expédients pour survivre, soit dans des pratiques médicales informelles, soit en se reconvertissant dans d’autres activités (chauffeur de taxi, commerçant…). Ce chômage médical n’apparaît pas dans les statistiques mais il est massif dans certains pays, pouvant dépasser un tiers du corps médical ! Un véritable paradoxe pour des pays dont les besoins médicaux restent immenses…

D’autres pays, par contre, connaissent de véritables pénuries en Ressources Humaines en Santé (RHS) lorsqu’ils sont concernés par des conflits, une instabilité politique, ou encore lorsqu’ils sont, surtout en Afrique anglophone, victimes de politiques migratoires actives des pays du Nord qui puisent leurs personnels à moindre frais dans les pays du Sud. Le Zimbabwe est emblématique à cet égard : plus de 80 % des médecins et paramédicaux sont partis depuis 1980, en Grande Bretagne, en Australie, en Nouvelle Zélande, au Canada et aux États- Unis. Cette « fuite des cerveaux » représente une perte considérable, scientifique, économique et humaine.

Une jeunesse désemparée

Cette situation, si rien n’est fait, va continuer à s’aggraver et devenir explosive. Elle ne concerne pas seulement la médecine mais l’ensemble des universités dont les effectifs ont été multipliés par cinq depuis 1980, avec une jeunesse désemparée puisque, en moyenne, 25 % de l’ensemble des diplômés ne trouvent pas d’emploi. Comment faire une place à ces jeunes qui sont l’avenir de leurs pays et créer les conditions leur permettant, sans appartenir à la fonction publique, d’exercer leur métier et d’en vivre ?

C’est la question que nous nous sommes posée concernant les jeunes médecins pour qu’ils puissent, eux aussi, contribuer à l’amélioration du niveau de santé des populations, en particulier les plus nombreuses et vulnérables situées majoritairement dans les zones rurales. Pour pouvoir répondre à cette question nous avons, depuis vingt ans, multiplié les entretiens avec les thésards et les jeunes diplômés en organisant des « groupes de parole » dans de nombreuses villes universitaires : Bamako, Dakar, Conakry, Ouagadougou, Abidjan, Cotonou et Parakou, Yaoundé, Tananarive et Mahajanga. Nous avons observé une grande convergence dans leurs réponses que l’on peut regrouper en quatre grands chapitres :

1.Notre formation, essentiellement hospitalière, ne nous prépare pas à exercer la médecine de proximité, surtout en première ligne loin des villes.

2.Il n’y a pas de conseils et aucune aide – ni d’accès au crédit – pour pouvoir s’installer par soi-même.

3.Les structures de santé de premier niveau sont mal équipées et souvent mal gérées, cela ne donne pas envie d’y aller.

4. Les conditions de vie à la campagne, l’isolement social et professionnel ainsi que les problèmes de sécurité, nous font peur. On va nous oublier !

C’est ainsi que nous avons, peu à peu, acquis la conviction que la solution n’était pas univoque : elle impliquait la prise en considération de l’ensemble des problèmes soulevés dans ces quatre grands chapitres, faute de quoi l’échec était certain. La profonde inquiétude des jeunes quant aux possibilités d’exercer leur métier est justifiée, nous pouvons en témoigner.

L’arrière-plan historique

Le contexte médical historique de l’Afrique francophone et de Madagascar constitue un arrière-plan dont il est important de dire un mot car il a forgé et structuré les mentalités, c’est-à-dire l’imaginaire médical et les représentations inconscientes du métier. Il s’agit, en quelque sorte, d’une toile de fond sur laquelle l’ensemble des soignants – et les jeunes à qui nous nous adressons – projettent leurs attentes et leurs difficultés. En effet, si la médecine moderne comme connaissance scientifique est une (au sens universel), son application n’est pas uniforme et relève de constructions historiques et sociales qui sont parfois très différentes. On peut, en ce sens, parler de « traditions médicales » qui, depuis l’avènement de la biomédecine au temps de Pasteur, se partagent de vastes aires culturelles tout en gardant un fond scientifique commun.

Pour ce qui concerne l’Afrique francophone et Madagascar, la médecine moderne a été importée en bloc avec l’administration générale des colonies. Ce sont d’emblée des systèmes de santé administrés et fortement hiérarchisés qui se sont mis en place avec une position centrale du « médecin-chef » qui perdure toujours, soit dans l’administration (aujourd’hui les directeurs administratifs ou les responsables des grands programmes de santé publique), soit dans le secteur hospitalier où l’essor des spécialités a permis de multiplier les chefferies hospitalières. Une situation qui s’expliquait à une époque où l’administration coloniale était toute-puissante, les médecins peu nombreux et les grandes endémies redoutables. La figure de Jamot (1879 – 1937) et les campagnes de masse pour lutter contre la maladie du sommeil restent, dans les mémoires, l’exemple type de cette grande épopée médicale.

Avec le lancement de la politique des Soins de Santé Primaires (SSP), à Alma Ata en 1978, à une époque où les médecins étaient encore en nombre insuffisant, le dispositif administratif et hiérarchique que nous venons de décrire brièvement s’est déplacé avec le transfert de la responsabilité médicale du soin aux agents de santé, l’algorithme ou ordinogramme servant de support décisionnel. Les normes se sont ainsi considérablement développées tandis que le clivage hiérarchique s’est cristallisé entre des médecins qui administrent et supervisent, et les non-médecins qui pratiquent la médecine. Ainsi que nous le disait la représentante de l’OMS à Yaoundé, Le Dr Hélène Mambu-Ma-Disu : « les médecins praticiens ont été les grands oubliés des SSP ». Soigner est devenu ainsi une fonction d’exécutant, de subalterne, au moment même où de nouvelles générations de médecins, formés dans leurs propres pays, terminaient leurs études.

Toute cette évolution sur la longue durée explique pourquoi la santé publique et les spécialités médicales sont, aujourd’hui, les seules sources de légitimité pour le corps médical. Les jeunes diplômés sont formés avec cette perspective. Être soignant au premier contact est un métier dévolu aux non-médecins, dévalorisé non seulement par la profession médicale elle-même, mais aussi par les familles qui exercent une forte pression pour que les jeunes s’orientent dans une voie socialement valorisante. D’où cette réflexion d’un jeune thésard béninois : «on ne souhaite pas devenir un broussard, la médecine générale n’a aucun crédit!».

L’expérience de Santé Sud

C’est la prise de conscience de ce contexte général et l’écoute des nouveaux diplômés inquiets pour leur avenir qui nous ont aidés à imaginer une réponse capable de relever un double défi : permettre aux jeunes médecins sans emploi d’exercer leur métier et améliorer l’offre de soins en milieu rural.

Tout a commencé au Mali, en 1988, suite à l’instauration du concours dont nous avons parlé plus haut. Que faire ? L’idée a alors été celle du « médecin de campagne » qui, un siècle plus tôt, avait permis à toutes les familles rurales françaises et européennes de bénéficier de la présence permanente d’un médecin généraliste dans leur village. De fait, une étude au Mali venait de montrer que seuls 10 % des malades étaient examinés par un médecin ! Une conférence fut organisée à l’École de médecine de Bamako pour les étudiants en fin d’étude et les nouveaux diplômés avec, comme intervenants : le Professeur Aliou Bâ, directeur de l’École, le Docteur Hubert Balique, enseignant en Santé Publique, le Docteur Dominique Desplats, médecin généraliste et président de Santé Sud.

Vu les circonstances, les discussions furent passionnées par la présentation qui fut faite de la « médecine de famille » et la possibilité, pour un nouveau diplômé de l’École de médecine, d’aller s’installer dans un village. Les professeurs de l’École et Santé Sud s’engageaient à accompagner ceux qui feraient le choix d’aller soigner les populations rurales. À la fin de la conférence débat, plusieurs candidats manifestèrent leur intérêt pour cette proposition, l’un d’entre eux ajoutant même : «C’est la première fois que j’entends parler de cette forme d’exercice médical, j’attendais cela depuis longtemps ».

C’est ainsi qu’un premier jeune diplômé malien, le Dr Issa Dembélé, s’engagea dans cette voie en allant l’année suivante, en septembre 1989, s’installer en privé dans un village situé à 370 km de Bamako et à 45 kms du chef-lieu de cercle où se trouvait le centre de première référence. Suivant son exemple, d’autres médecins partirent à leur tour dans les différentes régions. En 1993, ils étaient 11 pionniers qui avaient franchi le pas, devenant ainsi « l’espoir du pays profond », expression significative d’un article paru dans la presse locale au moment où ils fondèrent l’Association des Médecins de Campagne du Mali.

Il faut noter également qu’à cette période de grandes réformes du système de santé malien se mettent en place : l’État crée, au premier niveau, les centres de santé à gestion communautaire (CSCOM) qui sont des structures privées sans but lucratif, liées à l’État par une convention de service public. Cette décentralisation, dès lors, favorisera la médicalisation des zones rurales en donnant le choix aux jeunes médecins de s’installer soit à leur propre compte, soit dans un CSCOM avec un contrat de droit privé.

À Madagascar, le même type d’expérience a été initié par Santé Sud en 1996 permettant une quinzaine d’installations sur les hauts plateaux de la Grande Île. Malheureusement, cette première expérience fut balayée par la crise politique de l’année 2002, puis reprise à partir de 2003 dans le cadre de la « politique des 3P (Partenariat Privé-Public) » voulue par le nouveau gouvernement. La signature du « statut du médecin généraliste communautaire », le 13 décembre 2004 à l’Institut National de Santé Publique et Communautaire (INSPC) en présence du Ministre de la Santé, par l’Ordre National des Médecins, Santé Sud et deux associations médicales à vocation communautaire (l’AMC-MAD et Tealongo), relança le processus avec une nouvelle légitimité qui fut déterminante : les médecins privés communautaires avaient désormais leur place grâce à une convention d’association au service public leur permettant d’être intégrés dans leurs districts sanitaires respectifs.

« Cela ne marchera pas ! ». C’est la phrase que nous avons le plus entendu durant toutes ces années. Deux raisons principales étaient avancées :

1/ Les médecins n’iront pas ou ne resteront pas en milieu rural à cause de l’isolement et des conditions de vie. Après une dizaine d’années d’étude dans la capitale, ce sont des citadins et partir en brousse sera vécu comme un déclassement.

2/ Les populations ne pourront pas les payer : le revenu en zones rurales est trop faible, les populations ne sont pas solvables. L’installation de 120 médecins répartis dans la majorité des régions du Mali, et de plus de 50 médecins à Madagascar dans cinq régions démontre que cet engagement professionnel est possible, permettant aujourd’hui à 2 millions de personnes d’être bénéficiaires de soins médicaux de proximité.

Nous ne voulons pas, pour autant, passer sous silence d’autres tentatives qui ont été des échecs, en Côte d’Ivoire (1999-2002), en Casamance au Sénégal (2000-2002), au Cameroun (2003-2005). Dans la première, ce sont les événements politiques qui ont obligé le premier médecin à abandonner son poste situé en pleine zone de combats près de Man. Pour la seconde, les raisons furent complexes, liées à l’isolement et l’instabilité de la Casamance ainsi qu’à l’absence de soutien institutionnel. Enfin, pour la troisième tentative située près de Yaoundé, le projet a été victime de conflits locaux intracommunautaires qu’il n’a pas été possible de surmonter.

En 2009, un nouveau projet vient de démarrer au Bénin à la demande du Ministère de la Santé pour médicaliser « les zones du nord qui n’attirent pas les jeunes médecins et sont désertées ». L’engagement de l’État et l’appui de la jeune Faculté de Médecine de Parakou, créée pour désenclaver le nord-Bénin, devraient faciliter le processus d’installation des jeunes diplômés dans ces zones mal desservies.

Les réactions

Elles ont évolué avec le temps et on peut les analyser à plusieurs niveaux :

1/ L’État et les autorités sanitaires

Au début, la méfiance a prévalu. Les médecins qui s’installaient par eux-mêmes, en dehors de la fonction publique, ont souvent été considérés comme des intrus, non contrôlables, suspects de « chercher l’argent ». Leur indépendance perturbait la vision hiérarchique dont nous avons parlé plus haut avec une administration toute-puissante et un personnel subalterne confiné au rôle d’exécutant. Sur le terrain, peu à peu, les esprits ont évolué. Les médecins-chefs de district ont compris l’intérêt d’avoir un réseau de médecins généralistes en première ligne avec, pour effet, une nette augmentation des taux de fréquentation des structures du premier niveau. Au Mali comme à Madagascar, la collaboration est devenue plus confiante au point que certains districts sanitaires sollicitent l’installation de médecins généralistes communautaires pour améliorer la couverture médicale du niveau primaire. Cette approche novatrice bouscule les mentalités et provoque, en retour, des résistances. Mais certains responsables vont de l’avant et le disent, telle le Dr Myriam Rasoranto, directrice d’une région des hauts plateaux de Madagascar, se félicitant d’avoir intégré 12 médecins communautaires pour répondre au déficit en médecins publics et affirmant, lors d’une conférence, qu’il fallait sortir du « climat de concurrence et de rivalité entre secteurs public et privé », travailler désormais en confiance et de façon coordonnée dans un esprit de partenariat mis au service des populations.

2/ Les communautés rurales

Elles sont conscientes du lourd tribut qu’engendrent les maladies et la demande de soins fait partie de leurs priorités, mais elles sont en même temps méfiantes car elles n’ont pas toujours la même vision sur les causes de leurs malheurs et aussi – il faut le reconnaître – parce qu’elles sont déçues. En effet, avec le développement des médias et les échanges migratoires, les populations sont de plus en plus critiques sur les soins qu’elles reçoivent. Les mentalités évoluent très vite : la sous-médicalisation des zones rurales est ressentie comme une injustice dans la mesure où les populations rurales doivent toujours faire des kilomètres pour bénéficier d’un acte médical. La question n’est pas tant de les impliquer davantage mais, surtout, de parvenir à établir avec elles une relation de confiance. Notre expérience montre qu’il s’agit d’un processus lent et que les paysans ne veulent pas seulement des discours mais des actes. Ils font confiance par la preuve. C’est au médecin de faire ses preuves. Sa présence permanente, son accueil et sa disponibilité, la qualité de sa prise en charge des malades sont déterminants. Le bon indicateur, c’est la confiance. Si elle est obtenue, alors tout est possible ! L’exemple de villages malgaches qui ont construit une maison médicale avec un logement pour « leur » médecin, après une période d’observation pour juger de ses qualités et voir s’il s’adaptait, est démonstratif à cet égard.

3/ Les jeunes médecins

Comme nous l’avons vu, prendre la décision d’aller s’installer volontairement dans un village n’est pas une démarche évidente : un jeune médecin ne se sent pas assez armé pour partir dans une zone isolée, sans expérience et sans autre recours que lui-même, face à des pathologies graves et des centaines de malades aux ressources limitées. Rien ne l’y incite et sa famille, bien souvent, l’en dissuade. Face à cette réalité, le risque d’échec est grand si des mesures spécifiques de formation et d’accompagnement ne sont pas prises. La plupart des médecins disent qu’ils n’auraient pas tenté l’expérience sans le dispositif d’accompagnement de Santé Sud. Le mouvement d’installation vers les zones rurales a été lent : les premières installations ont eu valeur de test pour les futurs candidats, d’où l’importance de réussir les premières installations pour enclencher le processus dont il faut ensuite maintenir la qualité pour éviter les dérives. Au Mali comme à Madagascar, il s’agit d’une vraie aventure professionnelle et personnelle. Ces médecins sont souvent mariés avec des enfants. Certains en font un projet de vie à long terme, d’autres envisagent ce mode d’exercice pour acquérir une expérience en attendant d’autres opportunités. Contrairement à ce que l’on croit, ce ne sont pas seulement des médecins d’origine rurale qui font ce choix mais aussi des citadins sensibilisés à la situation du monde rural de leur pays. À Madagascar, un tiers sont des femmes qui se sont engagées volontairement dans cette voie.

Et maintenant ?

La médecine générale communautaire a le mérite d’exister. C’est un nouveau métier en construction qui pourrait se développer dans de nombreux pays confrontés à la sous-médicalisation des zones rurales et à l’existence d’un nombre de médecins qui augmente d’année en année pour le bien de leurs pays.

Les deux évaluations externes réalisées à ce jour, par l’INSPC en 2007 à Madagascar, et par l’OMS au Mali en 2008, ont confirmé la pertinence de cette approche, l’efficacité du dispositif d’appui à l’installation préconisé par Santé Sud et la viabilité de ce nouveau type d’exercice médical. Globalement, la satisfaction des populations et celle des médecins se sont vues confirmées, ces derniers ayant un revenu supérieur à celui d’un médecin de la fonction publique au premier échelon, en rapport avec une fréquentation de patients supérieure aux moyennes nationales. Concernant l’impact sur les indicateurs de santé et la pérennité à long terme, ces deux évaluations soulignent la nécessité d’études quantitatives plus approfondies et l’importance des choix stratégiques qui seront adoptés par les pays concernés pour maintenir les mesures incitatives préconisées, encourager les jeunes médecins pour ce type d’exercice médical et les fidéliser.

La faible fréquentation des structures de santé périphériques que l’on constate un peu partout (moins de 30 % des besoins attendus) ne pourra guère s’améliorer, de notre point de vue, sans un saut qualitatif au niveau de l’offre de soins. Les indicateurs de santé restent préoccupants malgré les efforts consentis parce que les systèmes de santé sont, de fait, des systèmes médicaux sans médecins (et sans sages-femmes également), bloqués par le niveau de compétences de paramédicaux qui, malgré la bonne volonté de ces derniers, a atteint sa limite. En ce sens, on peut considérer que le médecin généraliste, absent du premier échelon, est le « chaînon manquant » qui permettrait de franchir une étape décisive vers ce qu’il conviendrait d’appeler les Soins de Santé Primaires de 2e génération, avec des médecins praticiens en première ligne.

Entendons-nous : favoriser l’installation de médecins en première ligne n’est pas suffisant en soi. Encore faut-il que ces médecins soient compétents pour cette pratique spécifique que nous appelons la « médecine générale communautaire », et qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour la rendre efficace et utile. C’est le sens de cet ouvrage. Puisse-t-il servir de guide à tous ceux qui veulent rejoindre leurs aînés et, comme eux, mettre leur savoir et leur énergie au service des populations les plus vulnérables.

Plus de renseignements sur : www.santesud.org 04 91 95 63 45
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