Le tsunami, cinq ans après

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Des leçons à tirer…

A l’heure où Haïti fait face à une catastrophe naturelle d’une ampleur extrême, nous croyons revivre le scénario du tsunami 2004 : appel aux dons intempestifs, images choc à répétition, mise en place d’une action humanitaire conséquente.  Dès lors nous pouvons nous demander si nous avons réellement appris de nos erreurs. Cinq ans après le tsunami, quels enseignements pouvons-nous tirer de cette intervention pour mieux gérer la catastrophe de Port-au-Prince ? Une analyse signée par quatre étudiantes : Lucie Barrault, Soline Richaud, Magda Toma et Emilia Zanchetta, sous la direction de Pierre Micheletti*…

Le 26 décembre 2004, à sept heures cinquante-huit heure locale, un tremblement de terre d’une magnitude de 9,1 à 9,3 sur l’échelle de Richter réveille l’Ile de Sumatra. En quelques minutes, c’est l’équivalent de trente mille bombes d’Hiroshima qui secoue la région (1). Dans les heures suivant la secousse, le tsunami provoqué frappe l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, la Birmanie, le Bangladesh, le Sri Lanka et l’Inde, et dans une moindre mesure, les Maldives, la Somalie, le Kenya et la Tanzanie.

Environ 300 000 (2) personnes y laissent la vie, dont près de 170 000 en Indonésie. Dans les heures suivant le drame, le Tsunami atteint nos écrans de télévision. L’événement est dès lors surmédiatisé, parasitant les ondes et entraînant l’émergence d’une compassion mondialisée. Jamais auparavant une catastrophe naturelle n’avait conduit à mettre en place une aide internationale publique et privée aussi importante et multiforme.Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’intervention sans précédent de 2004?

Médias et humanitaire : une relation corrompue…

Il y avait jusqu’alors une réelle complicité et un certain équilibre entre les journalistes et les humanitaires, une relation de complémentarité entre ces contre-pouvoirs des injustices commises par les gouvernements ou le secteur privé.

Cette interaction fonctionnait relativement bien puisque le rôle de chacun était clairement défini : les ONG fournissent aux journalistes des informations fiables sur le terrain, des rapports sérieux sur différents sujets ; tandis que les journalistes, via leurs moyens de communication, peuvent ainsi médiatiser une crise, ce qui leur rapporte de l’audience, mais permet aussi aux ONG de se faire connaître, d’augmenter leurs collectes de fonds et, in fine, de lutter contre diverses injustices et accomplir leurs missions.

Mais la catastrophe de 2004 a toutefois déséquilibré cette relation, et dans ce cas de crise, l’ascendant qu’ont pris les médias sur les ONG a eu des effets pervers. Dans un tel contexte, les humanitaires doivent s’exposer avec précaution aux médias afin d’éviter toute pression de leur part. Les journalistes ont l’habitude d’obtenir leurs informations rapidement, mais dans le rôle d´acteur humanitaire qu’ils ont voulu endosser, ils n’ont pas compris que l’aspect instantané de l’information ne peut s’appliquer au travail humanitaire de secours. L’étude des indicateurs sociaux nécessaire à tout travail de reconstruction ne se fait pas dans l’urgence.

A l’époque de la téléréalité et du prêt à informer, le tsunami fut considéré par certains médias comme un nouvel os à ronger, entraînant une dérive voyeuriste et malsaine.

Les médias ont cependant eu des effets positifs dans la phase post-crise, notamment dans leur engagement dans la collecte de fonds. Leur action a contribué à faire de cette intervention humanitaire internationale la plus généreuse et la plus rapidement financée de tous les temps, avec une générosité douze à treize fois supérieure à l’urgence moyenne des années précédentes (3).

La ressource Internet fut un instrument clé pour le recouvrement du tsunami. Des liens sur des sites comme Amazon et Google ont notamment généré chaque jour des millions en contributions privées.  Aux Etats-Unis, environ la moitié des 324 millions de dollars des contributions a été faite en ligne. 16 des 20 millions de dollars collectés par le bureau newyorkais de Médecins Sans Frontières l’ont été via Internet (4).

Les liaisons avec les médias sont donc à double tranchant et il est important de garder une certaine proximité et de nourrir une relation « traditionnelle » avec eux. Mais il faut toutefois veiller à ce qu’en temps d’urgence cet équilibre ne soit pas brisé. Pour cette raison, il est important que les ONG anticipent et se tiennent prêts à faire face aux attentes parfois pressantes des médias.

 

L’inconstance des mandats des ONG

Les dysfonctionnements ne se sont pas cantonnés qu’au domaine médiatique: les associations de solidarité internationale ne sont pas en reste. Force est de constater que les ONG qui ont attiré le plus de donateurs n’étaient pas nécessairement celles qui étaient le mieux implantées dans la région, ni les plus expérimentées pour ce type de crise.

Certaines ne possédaient, au jour de la catastrophe, aucune représentation locale, ni expérience sur les terrains touchés, ni même de mandats clairement définis. Les ONG récipiendaires n’ont pas toujours été à même de faire face à l’urgence de la situation. Un an après le tsunami, le premier bilan financier pour la France sonnait déjà comme un échec : la majeure partie des dons (66,5 %), n’avait pas encore été utilisée au 31 décembre 2005 (5).

En conséquence de cette afflux de dons, et peut-être afin d’honorer les attentes de leurs donateurs, certaines ONG virent leurs mandats premiers s’altérer. N’ayant pu consacrer qu’une partie moindre des fonds à la phase d’urgence, elles durent se tourner vers des actions de développement (à l’exception de Médecins sans frontières, qui appela – sans concertation préalable avec le reste du secteur humanitaire français – à l’arrêt des dons une fois les fonds nécessaires aux actions d’urgences récoltés).

Ce changement de mission ne fut pas, il faut le préciser, l’apanage des organisations non gouvernementales internationales. Un certain nombre d’ONG locales, attirées par la manne financière, ajustèrent leur mandat pour pouvoir profiter au mieux de ces fonds providentiels. Au Nord et au Sud, des ONG se créèrent même pour l’occasion, à l’instar du tristement célèbre Arche de Zoé.

Apparaît alors en filigrane la question de la raison d’être des organisations non gouvernementales : est-ce leur rôle, de déterminer  combien d’écoles, d’hôpitaux, de casernes doivent être reconstruits ? Est-ce leur rôle de redessiner la carte des infrastructures d’un pays suite à une catastrophe ? Leur action doit-elle, dans pareil contexte, être une action d’urgence ou une action de développement ?

La cacophonie humanitaire engendrée sur place dans les jours suivants la tragédie est symptomatique de cette dispersion, et l’on n’est parfois pas loin du règne d’Ubu : concurrence entre les acteurs présents; inexpérience, voire amateurisme de quelques-uns; mauvaise répartition des actions, certaines zones voyant déferler une seconde vague, d’assistance cette fois-ci, quand d’autres zones ne reçoivent qu’une aide moindre ; laquelle ne correspond pas toujours aux besoins, et retards

 

Les conséquences négatives du manque de coordination
entre acteurs humanitaires

L’un des faits les plus polémiques fut sans nul doute l’absence d’actions coordonnées entre les ONG et les acteurs engagés dans l’urgence et la reconstruction après la catastrophe. Il aurait pourtant été nécessaire d’avoir un minimum d’harmonie entre les différentes actions entreprises ou tout du moins des procédures de concertation. Dans la province d’Aceh en Indonésie par exemple, pas moins d’une douzaine d’agence de l’ONU et plus de 400 ONG étaient présentes, qui ne trouvèrent comme seul moyen de consultation que des réunions (6).

Ces rassemblements ne furent pourtant guère fructueux. Les barrières linguistiques, le manque de ressources humaines et, simplement, de temps, entravèrent le bon déroulement de ces efforts. Faute de véritable coordination et de partage des rôles, deux mois après le tsunami, la population d’Aceh n’avait toujours pas accès à des installations sanitaires de base (7).

Ce triste constat n’est que le résultat de l’âpre concurrence qui s’est parfois révélée sur le terrain entre les ONG, et parfois simplement de leurs craintes de perdre leur autonomie d’action. L’intervention humanitaire faisant suite au tsunami est caractérisée par son manque de planification : elle s’est basée non pas sur une correcte évaluation des besoins réels des sinistrés, mais sur le montant inédit des fonds reçus, avec au final une désagréable impression d’amateurisme quasi-euphorique.

Outre ce manque d’organisation, les programmes de réhabilitation ont parfois manqué de cohérence. L’aide apportée aux pêcheurs en est une bonne illustration (8). La majeure partie de l’industrie de la pêche s’est trouvée réduite à néant suite à la catastrophe, notamment parce que la quasi-totalité des bateaux des pêcheurs avait été détruite par les éléments. Des bateaux ont alors afflués du monde entier, sans se soucier de savoir si les besoins étaient remplis ou pas. L’on continue toujours, cinq ans après les faits, de fournir les pêcheurs victimes de la catastrophe en bateaux.

 

Une prise en compte insuffisante  des contextes
économiques et politiques

Bien que dans la plupart des cas l’intention et la volonté soient des plus nobles, l’intervention sur le terrain peut déstabiliser le contexte local et nuire plutôt qu’aider les communautés ciblées. Dans le cas du tsunami, le débarquement massif des ONG occidentales a entrainé une inflation des prix d’environ 8% (9).

En effet elles ont dépensé sans compter l’argent reçu pour mettre en place leurs actions, sans réaliser que cette prodigalité pouvait avoir des conséquences sur l’économie locale. L’action non concertée et parfois même non réfléchie des ONG a été accusée d’avoir favorisé certaines factions politiques.

On peut noter, toujours au Sri Lanka, que l’aide étrangère n’a pas contribué au processus de paix, mais au contraire, a participer à renforcer les inégalités entre différents districts. En effet, la distribution de l’aide ne s’est pas faite selon les besoins, mais selon les priorités politiques et il a été très difficile de conclure un accord entre le gouvernement et le LTTE (10).

En conséquence, les activités de réhabilitation et de reconstruction ont été menées principalement dans la province du sud, sous contrôle gouvernemental. Cette situation a augmenté la frustration des autres provinces et a nourri les tensions sociales.

La passion qui anime les acteurs humanitaires doit être tempérée pour éviter les écueils de la naïveté et de la maladresse avec lesquelles certaines crises sont gérées. La question de la neutralité et de l’impartialité, les deux conditions sine qua non de l’action humanitaire, risquent d’être parfois facilement contournées si la situation échappe au contrôle des organisations, comme ce fut le cas lors du tsunami de 2004. Ces conditions devraient rester toujours au centre des préoccupations des humanitaires, car chaque dérive pourrait même contribuer à l’économie de guerre.

 

La fin d’un modèle…

Suite à cette crise, nous pouvons donc conclure que le modèle unilatéral d’assistance Nord-Sud a expiré. Nous sommes en train d’évoluer et de rompre cette logique, et le scenario humanitaire peut être appréhendé avec plus de réalisme et un regard transversal.

Alors que secteur associatif a mûri dans beaucoup de pays et que les ONG deviennent des acteurs reconnus par les sphères politiques, comment est-il encore possible d’aller sur le terrain et essayer de gérer une catastrophe naturelle sans contacter les associations locales ? Cela peut se comprendre s’il n´existe aucun acteur associatif sur les lieux, mais ce ne fut pas le cas dans les zones touchées par le tsunami. Les ONG locales déjà présentes sur le terrain disposaient de grandes capacités et furent les premières à secourir les victimes (11).

Ce modèle quasi-néocolonialiste d’aide, faisant fi du respect des cultures et des acteurs locaux, ne doit plus correspondre à la manière d´agir des acteurs humanitaires contemporains.

Il est nécessaire de comprendre la nécessité et l’impact de l´union des forces en situation de crise : une bonne coopération entre les ONG internationales et les associations locales peut avoir une influence positive et en conséquence, des résultats efficaces. Dans le cas du tsunami les informations auraient pu être gérées bien plus stratégiquement, de manière à ce que les communautés touchées puissent faire part de leurs besoins et communiquer sur un rapport égalitaire avec les secouristes.

Les ONG ont eu la possibilité de fournir des ressources matérielles, grâce à leur habilité dans la collecte de dons. Le manque de coordination évident entre les ONG internationales et les associations locales met finalement en exergue l’un des défis auquel nous pouvons faire face dans un futur proche : l´ouverture au sein des grandes ONG d´un département spécialisé dans la recherche d’associations locales sur le terrain pour gérer les crises, mais avec la condition de se positionner dans le même niveau.

(1) http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_actu.php?langue=fr&id_article=3643


(2)
Selon l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne, http://ec.europa.eu/echo/index_fr.htm

(3) HINTZY J., « Les dons pour le tsunami ont été 12 à 13 fois supérieurs à l’urgence moyenne des années précédentes », Techniques financières et développement, n°83, Juin 2006.

(4) Brennen Jensen & Nicole Wallace, “$406-Million has Been Donated to American Charities Helping the Tsunami Victims,” The Chronicle of Philanthropy, Jan. 13, 2005.

(5) Cour des comptes, «L’aide française aux victimes du tsunami du 26 décembre 2004», janvier 2007, http://www.ccomptes.fr/fr/CC/Theme-32.html

(6) VÖLZ C., «Humanitarian coordination in Indonesia: an NGO viewpoint » ,Forced Migrations Review, special issue Tsunami, juillet 2005

(7) Ibidem

(8) Cour des comptes, «L’aide française aux victimes du tsunami du 26 décembre 2004», janvier 2007, http://www.ccomptes.fr/fr/CC/Theme-32.html

(9) SIVAPRAGASAM P.P. et BENEFICE J., « L’aide vu du coté des victimes », Economie et Humanisme, numéro 375 décembre 2005

(10) Liberation Tigers of Tamil Eelam

(11) MIANI L., DAGORN J.-C., « Partenariat durable avec les ONG locales, un levier d’efficacité », Economie et Humanisme, numéro 375, décembre 2005

 

Lucie Barrault, Soline Richaud, Magda Toma et Emilia Zanchetta, étudiantes Master 2 Solidarité et Action Internationales, Institut Catholique de Paris. Module «Ethique de l’action humanitaire», sous la direction de Pierre Micheletti, ancien président de Médecins du monde.

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