Les blessures invisibles

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Soldat en Afghanistan
Soldat en Afghanistan © Abdullah Shaheen/Irin

Les soldats ne souffrent pas seulement de blessures physiques lors des combats. Elles peuvent être aussi psychologiques. Sans une prise en charge adaptée, elles peuvent les suivre toute leur vie avec des conséquences ravageuses pour eux et leur famille.

Certains soldats détestent le 14 juillet. Pour eux le bruit des pétards, loin de symboliser la fête, évoque surtout celui des mitraillettes. Et les nuits sont peuplées de cauchemars de combats. Ces hommes qui rentrent de missions sur les zones de conflits avec des blessures psychologiques souffrent de stress post traumatique (PTSD pour post traumatic stress disorder). Un phénomène dont l’armée a reconnu pour la première fois la réalité lors d’un colloque organisé à Paris par le centre de recherche des écoles de St Cyr les 23 et 24 octobre dernier, puis d’un séminaire sur le même sujet le 3 décembre.

Ces troubles peuvent se déclarer lors d’un combat direct, où on est confronté à la mort, ou à la suite d’un état de stress permanent comme en Bosnie ou en Afghanistan. En zone de conflit et particulièrement en Afghanistan, les soldats se retrouvent confinés en milieu hostile, sans contact avec la population, dans un pays aux valeurs très différentes. Ils sont aussi confrontés aux horreurs « périphériques » des conflits: au Rwanda les militaires français ont dû récupérer les restes de dizaines de corps découpés à la machette.

Patrick Clervoy, psychiatre des armées explique : « La personne qui en souffre a des problèmes de sommeil et ne s’intéresse plus à sa famille, à ses loisirs. Elle ne supporte plus les stimuli sonores ». Elle devient irritable, passe des semaines sans parler. Quelques-uns peuvent devenir violents, physiquement ou verbalement. Pour oublier, certains se réfugient dans l’alcool ou parfois la drogue. Dans cette situation explique Laurent Attar-Bayrou, président de l’association de combattants Fname-Opex (Opérations extérieures), lui-même vétéran, « on en veut à tout le monde, on a la rage ». Certains en arrivent à ne plus supporter leurs souvenirs et se suicident.

Les Américains estiment que les PTSD toucheraient environ 20 % des hommes étant partis au front. L’armée française évalue les traumatisés psychiques à 400, les associations l’estiment à environ 4000. Et leur nombre devrait croitre, avec le retour définitif des troupes d’Afghanistan d’ici quelques mois, et les personnes déclarant les troubles de façon différé. Impossible de déterminer si certains sont plus prédisposés que d’autres à les subir. Patrick Clervoy précise : « La personne de 40-50 ans a plus de maturité qu’un jeune homme et cela le protège mais il est aussi plus vulnérable à cause de sa famille. Et ils ont eu différentes expériences comme le Tchad ou la Yougoslavie. Or certains décompensent par rapport à ce qu’ils ont vécu dans une opération précédente ». Le stress est cumulatif. Plus la personne fait des missions plus elle va aller mal.

Le phénomène est connu depuis des années, d’autant que l’armée française a déjà envoyé des militaires en ex-Yougoslavie ou au Rwanda ces dernières années. Cette reconnaissance officielle de la question est due au changement de nature de la mission des soldats. Alors qu’avant les soldats se contentaient de missions de maintien de la paix, en Afghanistan, depuis le retour de la France dans l’OTAN en 2007, ils sont engagés dans de véritables combats et donc plus exposés au risque de PTSD. Et surtout, résume Laurent Attar Bayrou, «les mères en ont eu marre de voir revenir leurs fils dans cet état ». Les familles se sont donc constituées en associations et ont commencé à sensibiliser l’opinion. Le changement de gouvernement aurait également modifié la donne.

Les familles sont évidemment en première ligne au moment du retour des soldats. Mais ces derniers évitent souvent d’évoquer le sujet avec elles. La situation est plus ou moins facile avec leurs collègues. Dans l’armée de terre les militaires partent souvent en groupe. Ils peuvent discuter entre eux. Mais dans l’armée de l’air chaque pilote participe à des missions différentes. Il ne peut donc partager son expérience avec des collègues. Et surtout, il n’a pas fatalement envie de le faire. Souvent les soldats ont du mal à admettre qu’ils ne vont pas bien.

Concrètement, l’armée s’est inspirée des structures développées par les américains pour protéger ses soldats. Depuis 2008, tous les soldats partant en mission reçoivent une sensibilisation aux PTSD avant leur départ. A leur retour, un sas de décompression a été instauré à Chypre. Durant trois jours, les soldats rentrant de mission peuvent se détendre avant de rentrer en France. Ils bénéficient d’un entretien individuel avec des informations données sur les PTSD. Mais les associations pointent les lacunes de ce système. Pour elles, il est difficile de former véritablement sur les PTSD. Car le problème est trop vaste et complexe. Elles reconnaissent l’intérêt du ‘sas’, mais précisent que tout le monde n’v a pas accès (les personnes blessées sont directement rapatriées par exemple) et qu’il ne dure que quelques jours. « Le nombre de personnes y passant est tel qu’un véritable suivi individuel ne peut se faire » déplore la présidente de Terre et Paix. D’autant que la cellule psychologique des armées ne compte que huit psychologues pour quelques 60.000 militaires partis en Afghanistan.

Les soldats ont également la possibilité de consulter un psychologue militaire durant les six mois qui suivent leur retour. Mais peu de gens en profitent. D’une part les soldats veulent avant tout récupérer leur vie « d’avant ». Et surtout le médecin qu’ils peuvent consulter est également chargé d’évaluer leur état de santé pour savoir s’ils peuvent partir en mission ou non. La consultation est aussi mentionnée dans leurs états de service, ce qui peut nuire à leur carrière. Pour parer à cet état de fait, les mutuelles militaires offrent maintenant un forfait de dix consultations avec un psychologue civil affirme Patrick Clervoy. Autre problème, les PTSD ne se manifestent souvent qu’au bout de deux ou trois ans, bien après la période de suivi prévue par l’armée. Sans compter tous ceux qui passent entre les mailles du filet, comme les militaires prenant leur retraite ou qui résilient leur contrat quelques mois après leur retour. Alors les quelques associations qui travaillent sur ce domaine (la Fname, Terre et Paix, Ad Augustaa) tentent d’être bien présentes.

A la Fname explique le président, « On est tous sur un pied d’égalité. Le nouvel arrivant peut discuter avec d’anciens soldats. On l’écoute. Eventuellement on l’incite à aller consulter un psychologue, et on l’aide dans des démarches administratives et juridiques ».

Marlène Peyrutie explique : « Il faut préparer les familles et les accompagner afin qu’elles soient mieux préparées aux conséquences du PTSD.» L’écriture peut aussi être une solution : Patrick Clervoy relève que sur les gens partis en mission en 2011, plusieurs vont rédiger un livre. « Celui qui écrit revient sur son expérience et en fait quelque chose de positif ». « Il faut communiquer autour des blessures invisibles. Si nous ne le faisons pas, le mal être des soldats et des familles sera passé sous silence conclut Marlène Peyrutie. Faute de parler, le risque est d’importer le suicide dans notre pays ».

Femmes de militaire

Les familles sont confrontées de plein fouet à la question des PTSD. Et se retrouvent souvent bien seules face à ces difficultés. Bien malgré elles, elles sont souvent les victimes collatérales des PTSD. Quand il rentre de mission, le soldat revient avec ses souvenirs. Sa famille, elle, a vécu sa vie de son côté. Tous veulent rattraper le temps perdu et oublier la guerre. Le soldat refuse souvent d’en parler. « On ne fait pas rentrer la guerre dans la famille, on veut la préserver. Et les hommes se sentent obligés de garder leur côté « Homme fort » »explique Christine Garbay, vice-présidente de l’association de familles de soldats Terre et paix créée en novembre 2011.

Mais en cas de PTSD, le souvenir des combats se fait parfois sentir. Le soldat malade peut devenir violent vis-à-vis de sa femme. Les enfants souffrent aussi. Ils passent d’une vie normale à une situation où leur père va mal, ne supporte plus le bruit de leurs jouets, ni même celui du voisin qui tond la pelouse». «Faute de comprendre, l’entourage se sent coupable, résume Christine Garay. La famille se demande pourquoi cela arrive au soldat, pourquoi cela leur arrive à eux. Ils ne sont pas préparés».

La structure spécifique de ces familles complique encore la donne. Souvent la femme ne travaille pas, faute de pouvoir trouver un emploi pérenne à chaque mutation de son conjoint. Elle arrive dans un territoire qu’elle connait peu. Elle peut aussi dépendre financièrement de son mari. Elle est donc isolée pour faire face à ces difficultés.

Les services sociaux de l’armée ne les prennent pas en charge au niveau psychologique : les assistantes sociales ne connaissent pas vraiment les PTSD et sont plutôt spécialisées sur les questions concrètes, comme la recherche de logements. Ces familles se replient donc sur elles. « Alors quand elles nous appellent, elles explosent et pleurent longtemps. Elle ont l’impression d’être seules au monde ». explique la présidente. « Alors qu’il faut la protéger pour qu’elle-même soit accompagnante du soldat.»

Quelques sites :

 

La question des réparations – Ce que dit la loi
Le principe de réparation due aux soldats date de la première guerre. Déjà en 1923 le Parlement entérine le droit à réparation des soldats au prix des sacrifices consentis pour la nation, et donc de toucher des pensions. Les PTSD sont reconnus en tant que tel etpris en charge par la France en 1992. Une reconnaissance tardive pour les appelés du contingent en Algérie, souvent rentrés traumatisés. Le colloque des 23 et 24 octobre a évoqué différentes pistes pour aider les soldats et les familles. L’une d’entre elles, émise par Terre et paix, est de créer une coordination nationale d’accueil avec un numéro vert auxquels pourraient s’adresser les familles. L’idée a été retenue par le ministère de la Défense. La Fname demande de son côté une consultation psychologique systématique des soldats durant six mois et une réactualisation de la loi afin d’avoir une meilleure prise en charge du PTSD.

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La rédaction de Grotius International.

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