Le 2 mars 2012 Médecins du Monde (MdM) lançait une «grande cyber manifestation » en demandant aux internautes d’agir à leurs cotés pour un système de santé « vraiment solidaire ». Pour faire face à la détresse sanitaire en France, l’ONG propose de prescrire : « un traitement d’urgence aux candidats aux élections présidentielles et législatives ». Cette campagne invitait chaque internaute qui le souhaitait à s’engager, à se « cyber mobiliser » en s’inscrivant avec son compte Facebook et Twitter et télécharger une photo. Son avatar manifestant en ses lieux et place. MdM nous amène ici à nous pencher sur la problématique du galvaudage de la technique de l’interpellation des candidats à l’élection présidentielle, la mécanique de communication utilisée, la dématérialisation du militantisme et enfin la stigmatisation des populations.
Le principe de la campagne
Du 29 février au 4 avril 2012, dès l’inscription faite en ligne sur l’url dédiée, MdM donnait rendez-vous le 5 avril sur ce même site pour l’ouverture d’une grande cyber manifestation évidemment sans banderoles, saucisses et merguez, copains et amis militants que l’on ne retrouvera pas à cette occasion pour partager une bière, refaire le monde et s’égosiller sur quelques kilomètres afin de défendre ce qui doit l’être#. Chaque internaute inscrit recevait un mail lui indiquant que la mobilisation débutait. Il pouvait voir son avatar manifester virtuellement place de la Bastille, portant des pancartes avec les messages : « La santé n’est pas un luxe, il y a des politiques qui rendent malades ! Une carte vitale pour tous ! ». Comble du militantisme nouvelle génération, MdM donnait également la possibilité avec un moteur de recherche de se trouver les uns les autres dans cette manifestation virtuelle.
L’interpellation des candidats
Que dire de plus sur cette énième# campagne interpellant les candidats à l’élection présidentielle# ? Ici la détresse sanitaire avec Marianne#, là celle pour instaurer l’euthanasie réalisée par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), montrant Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et François Bayrou dans un lit d’hôpital. Ou bien encore celle de la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France décidée à sensibiliser l’opinion en réalisant des photos pour un calendrier avec les différents candidats portant des lunettes et une canne d’aveugle. Faut-il aussi faire référence à celle de l’association AIDES# qui demande de voter pour le candidat « qui aura le plus de courage d’agir » à grand renfort de publicités mettant en image les prétendants à la magistrature suprême. Si ce n’est pas l’objet ici que de débattre de la légitimité des causes, il n’en reste pas moins que les associations manquent cruellement d’imagination lors des campagnes électorales. Depuis des années elles utilisent les mêmes grosses ficelles pour dénoncer ou interroger les politiques. Si les sujets n’étaient pas aussi sérieux on parlerait facilement de comique de répétition ou de « pompage# ». On sait bien que les politiques n’aiment pas que l’on s’adresse à leurs électeurs, nonobstant c’est un bon moyen pour les associations de mettre la pression sur les épaules des dirigeants. Mais c’est sans nul doute s’exposer à de nouvelles promesses qui ne seront pas tenues voire les entretenir ou les favoriser.
L’internaute, le nouveau Graal, la dématérialisation du militantisme
Feu le téléspectateur, l’auditeur, le lecteur, le consommateur, l’électeur, le donateur. Tous détrônés par « l’internaute# ». Proche du cosmonaute voyageant dans le cyber espace. On l’affuble de tous les vices et de toutes les vertus. On scrute son profil pensant qu’il s’agit d’une nouvelle espèce non répertoriée mais qui a, par filiation directe, les mêmes attentes que ces ancêtres. A croire que l’internaute est encore une tranche de plus dans la charcuterie marketing qui nous découpe en fines lamelles. Ce qui importe ici, ce n’est plus le fond mais la forme. La manière qu’il a de se comporter, de réagir, d’adhérer, de militer. Peu importe la cause, la motivation, l’objet de tous les désirs, c’est lui la chair appâtée. L’acteur anonyme derrière son clavier qui manifeste au fond de son canapé Ikéa pour dénoncer la cybercensure, les outrages à la morale. Le tout est de lui donner de quoi se révolter à bon compte sans contraintes d’engagements qui mettraient à mal son confort quotidien. Mieux que cela, ce ne sera même pas lui mais son avatar qui le représentera rendant encore un peu plus désincarné ce militantisme des temps modernes. Plus besoin d’être des milliers dans la rue entre Bastille et Nation, les syndicats devraient s’y intéresser. Pour adhérer cliquez ici, pour donner, cotiser cliquer là. Pour manifester choisissez votre avatar et rendez-vous au cybercafé. La dématérialisation a t-elle pour conséquence la déshumanisation?
Une innovation des laboratoires MdM
MdM donne ses chiffres, comme d’accoutumée pour toute ONG qui se respecte, afin de justifier son engagement et mobiliser l’attention. Ils sont impressionnants et donnent le vertige pour ne pas dire qu’ils génèrent de l’angoisse sinon de la peur. Mieux vaut ne pas être étranger, Rrom, drogué, à la rue sans ressources et d’une santé mentale qui fait défaut. Mais grâce aux « Innovations# » MdM les solutions seraient là. Technique très classique en communication publicitaire dite du « problème solution ». Votre peau se dessèche ? Vous voulez combattre vos rides ? Un coup de fatigue ? Un problème de transit ? Grace à notre dernière innovation vous avez enfin la solution à vos problèmes. Toutefois, si certaines campagnes manquent d’informations détaillées on ne peut pas vraiment dire que ce soit le cas de celle de MdM qui nous abreuve de chiffres, pourcentages et ratios. Ce que l’on constate toutefois, contrairement à la première lecture, c’est que les French Doctors tirent ces données sur la base des populations qu’ils soignent mais n’indiquent pas leur nombre. Ce procédé et plutôt confusant car l’on imagine qu’il s’agit de l’ensemble de la population française, ce qui n’est pas le cas. Il me semble qu’il eut été normal de donner le nombre de soignés ou de bénéficiaires des aides de l’association pour ce faire une idée précise du nombre d’individus concernés et d’éviter successivement les références à la population française et aux personnes fréquentant les centres MdM. Cela n’enlève rien à la valeur du travail de MdM, mais cela permettrait de connaître le nombre d’individus dont ils nous parlent afin que l’on puisse les resituer dans leur ensemble. Enfin, l’on imagine bien que les populations « bénéficiaires » de l’action de MdM n’ont pas le même portrait type que les privilégiés des beaux quartiers alors pourquoi les stigmatiser?
La stigmatisation des Rroms
« Citoyens européens depuis 2007, les ressortissants roumains et bulgares, dont les Rroms# » indique MdM. Qu’est ce à dire? Comment préciser ce qui est discriminant ou non dans une nationalité ? Qu’est ce qui déterminerait les Rroms des autres populations ? La vie en communauté, le manque d’intégration, la langue, des comportements, le nomadisme ? Sommes nous d’abord ce qui nous différencie les uns des autres ou ce qui nous uni les uns aux autres? Ne conviendrait-il pas de dire que des Bulgares et des Roumains citoyens européens sont victimes de discriminations dans un pays de la communauté européenne, celui de la patrie des Droits de l’Homme en l’occurrence? Être Rrom est-ce par ailleurs une nationalité ou une sous nationalité bulgare ou roumaine? Qu’est ce donc être Rrom# ? Est-ce une question franco française ou européenne ? Que font les autres pays en Europe ? Que font la Roumanie et la Bulgarie et que nous apprennent les recherches sur ces populations marginalisées par tous les régimes ? Il en va ainsi de la discrimination en stigmatisant les musulmans de France, les juifs de France etc. et, l’ont eu aimé que, dans le combat dont s’est emparé MdM à l’égard des Rroms, ils nous éclairent sur leurs spécificités si tant est qu’il y en ait une. Drogués, prostitués, SDF sont autant d’étiquettes dont les ONG devraient se méfier. Elles transforment les « boat people » contemporains qui fuient les guerres et les régimes d’un autre temps comme de vulgaires « sans papiers », « illégaux » ou « clandestins ». C’est ainsi que l’on glisse d’une vision humaniste à une logique statistique et administrative donnant l’impression que les démunis ou la précarité ne sont que des chiffres et des pourcentages.
En définitive, cela pose la question de la responsabilité des ONG dans la mise en œuvre de leur campagne, dans la forme comme dans le fond. Si le fond doit servir la forme pouvons-nous éviter que la forme dénature le fond ? Ainsi la publicité des ONG sur un thème ou un autre peut-elle influencer le fond et la forme d’un thème au point de le réduire à son plus grand désavantage ?
Bruno David
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