Pierre Micheletti est médecin, et cela est une évidence à la lecture de son premier roman. Avec Les Orphelins (Editions Embrasure, 2010), il s’attache à poser le diagnostic des maux actuels du monde de l’humanitaire, et plus largement, du monde tout court, et draine l’abcès de sa plume-scalpel au vitriol. Parfois plus journaliste qu’auteur, il rejoint ceux qui portent, jour après jour, «la plume dans la plaie» (Londres), comme un outil pour comprendre et témoigner.
Le roman s’inspire de la navrante affaire de l’Arche de Zoé – rebaptisée pour l’occasion La Citadelle, que l’auteur s’attachait déjà à analyser dans son premier ouvrage (Humanitaire, s’adapter ou renoncer, paru en 2008). L’intrigue se déroule sur quatre ans, de 2003 à 2007, en France et au Darfour. L’on suit le destin des personnages, du début de la guerre jusqu’à la bourde monumentale commise par l’association d’Eric Breteau, qui lui aussi a reçu son pseudonyme pour la circonstance. Différence de taille : Dans le roman, l’opération a réussie, et les gamins sont ramenés triomphalement en France. L’auteur s’attache alors à passer en revue les conséquences de cette opération irréfléchie et invite son lecteur à une réflexion plus vaste sur ce que doit être l’éthique de l’action humanitaire, et le devenir de l’humanitaire en général.
Dès les premières pages, le lecteur est transporté au cœur de l’infernal imbroglio du Darfour, où l’on ne sait plus trop qui se bat contre qui et pourquoi, même si le livre se révèle être particulièrement instructif pour comprendre les enjeux du conflit. Du désordre ambiant émerge la figure tourmentée et espiègle du petit Younis, l’un des orphelins de l’œuvre (attention, les orphelins à la fin du livre ne seront pas nécessairement ceux que l’on croit de prime abord), lequel rejoint le long cortège des enfants-africains-victimes-innocentes-d’une-situation-qui-les-dépasse de la littérature, où il rejoint entre autres Musango du Contours du Jour qui vient de Leonora Miano, et le petit Birahima d’Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma. Younis, arraché à sa terre natale par de pseudos-humanitaires inconscients, pour être adopté par un couple de français moyens en mal d’enfant, devient le pivot de l’histoire, de son kidnapping par La Citadelle jusqu’à la tragique conclusion de la quête désespérée de son vrai père pour le retrouver.
Le roman permet à son auteur de revenir sur un thème qui lui est cher : le ‘’pourquoi’’ de l’action humanitaire. Il nous rappelle que ceux qui choisissent cette voie ne doivent pas, ne doivent plus, en aucun cas, être mus par des velléités hystériques et égocentriques de «faire le Bien», que ce soit au Darfour ou ailleurs. Pierre Micheletti n’a pas de mots assez durs pour dépeindre les pseudos-humanitaires de La Citadelle à l’égo gonflé à bloc par leur glorieuse croisade.
Il nous rappelle que personne n’a le droit, au nom de valeurs suprêmes et universelles, de se substituer aux victimes et d’agir pour elles, sans se soucier des dommages collatéraux : Les catastrophes en rafales entraînées par l’opération de La Citadelle lui permettent d’illustrer son propos dans son roman.
Il martèle, à travers les voix de ses différents personnages, que l’aide humanitaire ne peut plus continuer à être «la symbolique d’une générosité occidentale omnisciente, omnipotente, et parfois conquérante».
Les Orphelins est donc un roman salutaire, qui s’adresse à tous, humanitaires chevronnés, humanitaires débutants, et surtout humanitaires ratés… L’histoire ne dit pas si Pierre Micheletti a envoyé un exemplaire de son livre à Eric Breteau, mais on se dit en tournant la dernière page que ce serait une véritable bonne action.
Pierre Micheletti, Les Orphelins, Editions Embrasure, 2010.
Soline Richaud
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