Dossier Brésil : le «chaos» démocratique des radios communautaires

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carte du BrésilApparues dans les années 1970 sous la dictature, les radios communautaires brésiliennes constituent un maillon important de l’expression démocratique. Malgré les restrictions légales et une diversité pas toujours bien maîtrisée.

5000 ? 10000 ? 15000 ? Impossible de dire précisément combien le Brésil compte aujourd’hui de radios communautaires. Apparues dans les années 1970 à l’époque du régime militaire, alors que les moyens de communication de masse étaient dans les mains d’un groupe de privilégiés proches du pouvoir exécutif fédéral, ces radios ont eu dès le début pour objectif de proposer une alternative au processus de massification de la culture et de la communication.

«La première expérience est celle de Radio Paranoica, à Vitoria, dans l’état de l’Espirito Santo (ES), rappelle Cicilia Peruzzo, Docteure en Science de la Communication au sein deLa radio «Style libre» à Vidigal l’Université de Sao Paolo. C’était en février 1971, en pleine dictature militaire. A l’époque, Luiz Ferreira Silva, 16 ans, féru d’électronique, monte un émetteur de 15 Watts dans… les toilettes du bar de son père et anime la radio avec son frère, diffusant de la musique interdite par l’Etat et donnant des nouvelles locales.» L’expérience dure quelque mois jusqu’au jour où un groupe d’hommes patibulaires déboulent dans le bar paternel, détruisant tout, émetteur inclus. Sans savoir que rien ne pourrait arrêter la «réforme agraire des ondes.»

«Aujourd’hui, explique José Luiz do Nascimento Sóter, Coordinateur général de l’Association Brésilienne de la radiodiffusion communautaire (ABRACO) (ce qui signifie «accolade» en portugais) le paysage radiophonique communautaire brésilien est extrêmement diversifié. Il comprend des stations généralistes privées qui ont adopté le modèle économique et de communication des stations commerciales privées ; des stations généralistes communautaires, qui associent le modèle économique des radios privées et un contenu local ; des radios confessionnelles et des stations interculturelles communautaires, qui adoptent une programmation spécifique sans suivre des formats standardisés.»

Une richesse et une diversité radiophonique censée créer un peu de cohésion dans les populations locales et régionales et où la participation des auditeurs et des entités civiles locales est un facteur fondamental. Une participation qui prend le plus souvent la forme de demandes musicales, de doléances faites aux pouvoirs publics ou de transmissions d’informations sur des initiatives associatives. Mais qui inclue rarement les auditeurs dans les décisions liées à la programmation ou au fonctionnement général de la radio. D’où la nécessité de clarifier le statut des radios communautaires.

«Une radio communautaire n’a pas de fin lucrative et les éventuels bénéfices tirés de la publicité doivent être réinvestis, assure Gilse Guedes, auteur de l’ouvrage «Démocratie et radios libres». Autre facteur fondamental, c’est un produit de la communauté, tant du point de vue de la programmation que de la gestion. L’objectif doit être de favoriser une programmation interactive avec la participation de la population au micro, de valoriser et d’encourager la production et la transmission des manifestations La révolution numérique des radios communautairesculturelles locales. Enfin, les radios communautaires doivent contribuer au développement de l’engagement citoyen et former le plus grand nombre aux techniques de communication, en particulier radiophoniques.»

Un défi d’autant plus important, qu’une des lacunes souvent observées est le manque de formation dans le traitement de l’information. «Dans un pays où, même dans les coins les plus reculés, tout le monde a la radio et la télévision et écoutent les chaînes nationales, les radios communautaires devraient pouvoir amener de l’information de proximité et évoquer la réalité quotidienne des auditeurs, note Jean-Marc Fontaine, journaliste suisse et fondateur de Jequitiba, une association destinée à former des journalistes des radios communautaires. Or, le manque de connaissances sur le traitement de l’information empêche la fabrication de l’information locale.»

Reste qu’aujourd’hui, créer ou faire vivre une radio communautaire est une tâche ardue. D’abord, parce que la loi de 1996, toujours en vigueur, limite à 1 watt la puissance de l’émetteur, à 30 mètres la taille maximale de l’antenne et à 1 kilomètre le rayon de la couverture. Autant dire rien du tout pour une ville qui, comme Rio de Janeiro par exemple, possède un relief particulièrement accidenté. Autre motif de lutte des associations de défense des radios communautaires du Brésil, la loi ne permet l’existence que d’une seule radio par localité et pourrait obliger toutes les radios du pays, selon les vœux du Ministère de la Communication, à avoir la même fréquence.

De quoi faciliter les risques de « collision » sur les ondes. Enfin, officiellement, la publicité est interdite. Seules les actions de « parrainage d’initiatives locales » sont autorisées. Une association mondiale pour les radios communautairesBref, pas ou peu de rentrées financières. Autant de restrictions techniques et économiques que les responsables de radios communautaires ne respectent pas… pour pouvoir exister ou survivre. Un sentiment partagé aujourd’hui par Gilse Guedes. « Aujourd’hui, il faut admettre que, malgré les normes légales, la plupart des radios communautaires ne le sont pas.»

Jean-Claude Gérez

Jean-Claude Gérez

Jean-Claude Gérez est journaliste et correspondant de Grotius.fr au Brésil.