Politique humanitaire : Lumière sur le système d’intégration des Nations Unies

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 Rassembler toutes les opérations réalisées par les Nations Unies dans un pays sous une même structure de gestion n’est pas aussi simple que cela peut paraître. Dans certains pays, plusieurs organes des Nations Unies peuvent être en négociation avec les rebelles pour permettre la distribution de l’aide humanitaire alors que leurs collègues sont peut-être en train de préparer des attaques militaires contre ces mêmes groupes.

Si la neutralité, l’impartialité et l’indépendance sont considérées comme des principes propres à l’humanitaire, ce ne sont pas les priorités des missions politiques ou de maintien de la paix des Nations Unies. De nombreux membres du personnel humanitaire pensent même que l’intégration compromet ces principes et restreint leur capacité à aider les personnes dans le besoin.

Compte tenu des tensions constantes entre les différents organismes des Nations Unies, deux groupes de réflexion – l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), basé au Royaume-Uni, et le Stimson Center, dont le siège se trouve aux États-Unis – ont mené une étude indépendante sur les conséquences de l’intégration sur la réponse humanitaire. Ils en ont conclu que le nouveau modèle de coordination comporte des inconvénients, mais aussi des avantages surprenants.

La coordination, ou plutôt son absence, est devenue problématique dans les années 1990, lorsque les forces de maintien de la paix, les missions politiques et les organismes humanitaires des Nations Unies se sont retrouvées à travailler côte à côte dans des pays touchés par des conflits (voir encadré I). Les auteurs du rapport ont exposé de manière détaillée les opérations des Nations Unies dans trois pays – l’Afghanistan, la Somalie et la République démocratique du Congo (RDC) – alors qu’elles s’efforçaient de se plier de différentes manières à une politique d’intégration accrue.

Afghanistan, Somalie et RDC

Dans les trois pays, une force de maintien de la paix des Nations Unies essayait d’empêcher des groupes armés de mettre en péril un processus de paix, tandis qu’une mission politique des Nations Unies cherchait à renforcer les capacités et à venir en aide à un gouvernement national reconnu. Parallèlement, des organismes humanitaires tentaient d’apporter une aide impartiale à tous ceux qui en avaient besoin, quelle que soit leur appartenance politique. Ces trois éléments des Nations Unies ont trouvé cela difficile lorsqu’on leur a intimé d’intégrer leurs opérations.

Même si l’anonymat des personnes interrogées a été respecté, l’intensité de leurs émotions transparaît très clairement tout au long du rapport de l’ODI et du Stimson Center. Les chercheurs n’ont trouvé aucun élément démontrant que les Nations Unies interdisaient les contacts avec des groupes armés non étatiques, mais, dans certains cas, des responsables de mission des Nations Unies faisaient obstacle à ce genre de relations. En Somalie, où la mission politique des Nations Unies essayait de dissuader les organismes humanitaires d’entrer en communication avec la milice Al-Shabab, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Somalie de l’époque était allé jusqu’à dire : « Ceux qui se réclament de la neutralité peuvent également être complices. Le gouvernement somalien a besoin de soutien – moral et financier – et les Somaliens ainsi que la communauté internationale ont l’obligation de lui apporter les deux ».

Les relations étaient parfois difficiles, même lorsque les responsables des Nations Unies à l’échelle locale comprenaient que les organismes humanitaires devaient travailler avec les deux parties au conflit afin de venir en aide aux personnes dans le besoin.

En RDC, des organismes humanitaires travaillaient dans des zones contrôlées par les rebelles. Un membre du personnel interrogé a cependant confié aux auteurs du rapport qu’il était « difficile d’établir une relation avec les FDLR [forces antigouvernementales] alors que la MONUSCO [force de maintien de la paix des Nations Unies] collaborait avec l’armée congolaise pour les attaquer le même jour ! »

Alison Giffen, l’une des auteures du rapport qui travaille pour le Stimson Center, a rappporté que ses collègues et elle avaient réalisé que la question provoquait des émotions très fortes chez toutes les parties prenantes. « Nous avons découvert qu’en dépit des réformes engagées au cours des cinq ou six dernières années, le débat restait très polarisé », a-t-elle expliqué. « Les défis et les risques auxquels font face les acteurs humanitaires sont considérables, et [l’intégration] accroît les enjeux ».

Accès et sécurité

Le rapport tente de déterminer si une relation plus étroite avec les opérations militaires et politiques multiplie les risques d’attaques envers les travailleurs humanitaires. La conclusion des auteurs est encourageante et en a surpris plus d’un : « Rien ne démontre que les travailleurs humanitaires risquent plus d’être attaqués dans un contexte de mission intégrée des Nations Unies ». Même en Afghanistan, les auteurs ont dit n’avoir pu identifier aucun cas révélant un lien clair entre un incident sécuritaire touchant une organisation non gouvernementale (ONG) et le système intégré des Nations Unies.

Toutefois, selon Marit Glad, de l’ONG Norwegian Refugee Council (NRC), qui a écrit un article sur les implications de l’intégration sur la relation entre les Nations Unies et d’autres ONG, ces conclusions ne sont pas particulièrement rassurantes.

« Il est très difficile d’établir un lien entre un simple incident et l’intégration.  Dans certains cas, 10 à 15 facteurs différents peuvent avoir contribué à un incident sécuritaire. Il est souvent impossible de déterminer une seule cause ».

C’est en Afghanistan que se sont posés les plus difficiles des dilemmes, car le personnel des organismes des Nations Unies a dû s’installer dans des bases militaires de la FIAS [Force internationale d’assistance et de sécurité de l’OTAN] lors d’incidents sécuritaires majeurs. [Les travailleurs de] certaines ONG ont alors cessé de se rendre aux réunions dans leurs bureaux, car ils sentaient qu’il serait compromettant pour eux d’être vus entrant dans une base militaire. « L’intégration risque clairement de miner la coopération entre les Nations Unies et les ONG. Il faut se demander quels en sont les avantages. Cela vaut-il le coup de forcer l’intégration étant donnés les risques encourus ? » a dit Mme Glad.

Pragmatisme

En RDC, la situation semble avoir été moins tendue. Les bonnes relations de travail avec la MONUSCO ont été profitables pour les deux parties en matière de partage d’informations. Les travailleurs humanitaires ont par ailleurs bénéficié de l’aide de la MONUSCO pour la sécurité et le transport. Certains travailleurs humanitaires s’inquiétaient malgré tout de l’attitude différente des deux parties face au risque. Les militaires ne se préoccupaient que de la sécurité et les travailleurs humanitaires trouvaient que cela limitait les prises de risque de l’ensemble de l’opération et entravait leur capacité à aider les populations dans le besoin.

Ross Mountain occupait la triple fonction de coordonnateur humanitaire, de résident et de représentant spécial adjoint du Secrétaire général (RSASG) en RDC. Il dit qu’il essayait d’être pragmatique et se concentrait sur les besoins des victimes du conflit. « Il y avait des problèmes de perception , a-t-il expliqué, mais nous essayions d’en minimiser les inconvénients. Ainsi, en tant que RSASG, je n’étais jamais directement impliqué dans les négociations avec les groupes rebelles. C’est l’OCHA [Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies] qui s’en chargeait ».

« En revanche, j’étais très préoccupé par la protection des civils et, comme je faisais partie intégrante de la mission, je pouvais travailler en étroite collaboration avec le Commandant des forces et poster l’armée dans des zones où les travailleurs humanitaires avaient identifié une concentration de personnes déplacées afin que la présence des forces de maintien de la paix dissuade les milices et autres groupes armés de les attaquer ». « Avec le temps, je pense que les missions intégrées ont commencé à se soucier davantage de la dimension humanitaire… La protection des civils a fini par devenir la principale priorité de la force des Nations Unies au Congo. Ce qui n’était qu’accessoire est devenu la raison d’être des missions de maintien de la paix ».

Si le rapport fait état de situations où la défense des causes humanitaires est menacée par l’intégration, M. Mountain dit qu’elle a parfois facilité son rôle dans la sensibilisation du gouvernement en RDC. « Lorsque j’étais lié à la mission de maintien de la paix, les personnes qui n’appréciaient pas toujours ce que je disais avaient tendance à m’écouter plus attentivement ».

Besoin de recommandations plus claires

Selon le rapport, les raisons d’une intégration accrue sont mal comprises et la mise en œuvre de cette politique est incohérente. Dans l’ensemble, les éléments politiques et militaires sont davantage satisfaits des résultats que les organismes humanitaires. Mais les auteurs ont remarqué que les premiers ne comprenaient pas toujours pleinement les principes humanitaires ou le besoin impératif d’un espace humanitaire neutre dans lequel travailler.

Les auteurs ont donc conclu que le siège devait apporter des recommandations plus claires et notamment des conseils sur la façon de résoudre d’éventuels désaccords, ainsi que fournir une meilleure organisation et une meilleure formation des membres du personnel avant leur entrée en fonction. En outre, indique Mme Giffen, « il faut vraiment qu’une confiance s’instaure entre toutes les parties prenantes, afin qu’elles atteignent leurs objectifs communs, mais aussi leurs objectifs spécifiques ».

Pour le meilleur ou pour le pire, l’intégration a été mise en place pour de bon et les responsables des organismes humanitaires des Nations Unies comprennent qu’ils doivent faire leur possible pour qu’elle fonctionne. En tant que coordonnatrice des secours d’urgence des Nations Unies, Valerie Amos a dit, lors de la sortie du rapport : « L’intégration est une politique prescrite par les Nations Unies. On ne peut pas s’y soustraire… Mais on ne doit pas non plus laisser l’intégration entraver l’efficacité de la fourniture d’aide humanitaire aux personnes dans le besoin ».

La forme doit suivre la fonction, souligne M. Mountain – avec des objectifs de missions pour montrer la voie à suivre : « Vous devez vous demander pourquoi l’intégration ?. Il est essentiel de ne pas perdre de vue ce que l’on cherche à faire et de ne jamais confondre l’objectif et les moyens pour y arriver ».

eb/aj/bp/cb –gd/amz / Irin

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