Première réunion des ministres de la santé des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

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Nous revenons avec le Dr Dominique Kerouedan sur cette première réunion des ministres de la santé des Etats ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) qui s’est tenue à Bruxelles du 24 au 26 octobre 2007 et proposons à la lecture une synthèse des débats riches d’enseignements.

Pour la première fois de l’histoire qui relie l’Union européenne aux Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, le Secrétariat des Etats ACP a réuni en octobre 2007 pendant deux jours à Bruxelles, l’ensemble des ministres de la santé de la zone ACP, c’est à dire d’une région de près de 80 pays aussi différents que Cuba, le Mali, Timor Leste ou les îles Salomon. Il nous semble d’autant plus important de faire référence aux débats de cette réunion que les institutions européennes sont réorganisées depuis quelques mois selon les dispositions prévues dans le cadre du Traité de Lisbonne, et que les enjeux auxquels sont confrontés les Etats ACP sont toujours d’actualité.

Historique et contexte des relations UE-ACP

Les relations économiques et commerciales entre les Communautés européennes et les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sont régies par des engagements réciproques pris successivement dans le cadre du Traité de Rome, de la Convention de Yaoundé I et II. Le Groupe des Etats ACP est créé en 1975 sous la Convention de Lomé actualisée de I à IV entre 1975 et 1989. Au moment de la création du Groupe des Etats ACP, 46 Etats font partie de ces échanges.

La Convention de Lomé prévoyait un régime commercial privilégié et des aides financières. Pour la première fois la Convention de Lomé IV consacre un chapitre spécifique à la santé et à la lutte contre le sida. En effet, à la fin des années 1980, la crise économique perdure en Afrique, l’épidémie de sida s’étend à grande vitesse avec des retentissements sociaux et économiques déjà considérables tant en Afrique de l’Est qu’en Afrique de l’ouest, avant d’exploser en Afrique australe quelques années plus tard. Aujourd’hui la zone ACP englobe les deux régions les plus touchées par les pandémies de sida et de tuberculose dans le monde : l’Afrique et les Caraïbes. L’incidence de la tuberculose continue de croître dans le monde du seul fait de la persistance de l’augmentation de l’incidence de la tuberculose en Afrique, en grande partie liée à la propagation du virus du sida.

Le cycle des négociations commerciales d’Uruguay qui a donné naissance à l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994 a fixé de nouvelles règles : les accords commerciaux doivent prévoir la suppression réciproque des droits de douane. L’Union Européenne (UE) a obtenu une dérogation jusqu’au 31 décembre 2007. En 2000 l’UE et les ACP ont signé les accords de Cotonou, qui englobent le commerce, l’aide et la coopération politique et prévoient la négociation d’accords de partenariat économique (APE) comprenant un libre-échange réciproque à partir de 2008. Les négociations en réalité se poursuivent encore aujourd’hui.

La zone ACP comporte 79 Etats, 48 en Afrique, 16 dans la région caraïbe et 15 dans le Pacifique. Tous, à l’exception de Cuba, sont signataires de l’Accord de Cotonou, qui les lie à l’Union européenne et les rend éligibles au Fonds européen de développement (FED). Notons que l’Afrique du Sud est un pays observateur au sens où il appartient au Groupe ACP mais ne reçoit pas de financement du Fonds européen de développement[1].

En 2000, 191 Etats membres de l’ONU et institutions signent la Déclaration du Millénaire et s’engagement à la réalisation de 8 objectifs du Millénaire pour le Développement[2]. Trois de ces objectifs concernent directement l’état de santé de la population[3], les OMD 4, 5 et 6 relatifs à la santé sexuelle et reproductive, maternelle et infantile et à la lutte contre les maladies infectieuses dont le sida, la tuberculose et le paludisme. En outre une des cibles de l’OMD 8 engage la communauté internationale en collaboration avec l’industrie pharmaceutique à rendre les médicaments plus accessibles.

Il découle de ces engagements la publication entre 2000 et 2010 d’une série de Communications de la Commission au Conseil et au Parlement européen et de Résolutions du Conseil, traduisant la politique de l’Union européenne en appui au développement sanitaire et à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en faveur des pays en développement, notamment des Etats ACP[4]. En 2005, l’accord de Cotonou est révisé. Il prévoit des dispositions spécifiques à la santé en son article 25[5]. En 2005 toujours, la politique de développement de la Commission européenne est révisée à 25 Etats membres[6]en un « Consensus pour le Développement » qui accorde une attention particulière au développement humain[7].

Dans ce contexte international et européen, le Secrétariat du Groupe des Etats d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) a organisé à Bruxelles en octobre 2007 la première réunion des ministres de la santé des Etats ACP. Plus de 300 participants hauts fonctionnaires des ministères de la santé des pays, ainsi que les ambassadeurs des Etats ACP auprès de la Belgique et de l’Union européenne, et 39 ministres de la santé venant des six régions du Groupe des Etats ACP, se sont réunis à Bruxelles pendant deux jours.

Cette réunion des ministres se déroule à un moment particulièrement critique pour les Etats ACP: (i) à mi-parcours de la Déclaration du Millénaire, (ii) en pleine phase de négociations entre l’Union européenne et les Etats ACP sur les Accords de partenariat économique (APE) et moins de deux mois avant leur signature prévue par les six régions ACP[8], (iii) au moment où se programment les interventions de développement de la zone ACP dans le cadre de l’enveloppe financière inter-pays ACP du 10ème Fonds européen de développement (FED).

En effet la programmation des programmes indicatifs nationaux (pays par pays) sur 10ème FED est quasiment terminée au moment où se tient cette réunion des ministres de la santé à Bruxelles. Les chances de voir des contributions spécifiquement allouées à la santé s’ajouter aux budgets d’ores et déjà programmés, sont faibles. D’ailleurs la part du FED allouée à la santé n’a jamais été aussi faible : moins de 4% du 10ème FED. Notons que la part de ce 10ème FED allouée à l’éducation à l’échelle des pays est encore plus basse, en moyenne moins de 3%.

 1.      Les objectifs de la réunion de Bruxelles

Les objectifs de cette réunion étaient les suivants[9] :

  1. « Faire le point de la réalisation des OMD de la santé dans les Etats ACP et en tirer les priorités d’action sur la période 2007-2015.
  2. Faire le point des ressources nécessaires à mobiliser sur le fonds FED pour contribuer à la réalisation de ces objectifs
  3. réaffirmer la coopération intra-ACP au niveau politique en appui à la coopération régionale dans des domaines clés de la santé pour le développement durable dans les Etats ACP
  4. Proposer des initiatives innovantes pour la coopération intra-ACP en réponse aux engagements pris lors de la Déclaration du Millénaire en 2000, et à l’occasion du Sommet mondial pour le développement durable à Johannesburg en 2002[10] ».

En pratique, l’organisation de la réunion des ministres s’est déroulée en deux temps :une réunion technique préparatoire avec les hauts fonctionnaires des ministères de la santé des Etats ACP. Puis la réunion des ministres de la santé eux-mêmes. Ces réunions étaient présidées par des hautes personnalités des régions ACP, ministres ou anciens ministres, membres des actuelles instances parlementaires du Groupe des Etats ACP[11].

Même si les ministres de la santé du continent africain se sont réunis à plusieurs occasions cette année là, cette première réunion des ministres de la santé des Etats ACP à Bruxelles, peut a priori se révéler une opportunité tout à fait exceptionnelle pour les ministres de la santé de ces six régions de la zone ACP de partager entre eux et avec les représentants de la Commission européenne à Bruxelles, ainsi qu’avec les représentants des institutions internationales, leurs analyses de la situation sanitaire à laquelle ils sont confrontés, leurs priorités d’action, les expériences qui réussissent ou leurs limites, et de mobiliser des ressources additionnelles.

Réciproquement, cette réunion aurait pu être une opportunité précieuse pour les représentants de la Commission européenne d’entendre les analyses et les observations des ministres de la santé des Etats ACP à quelques semaines de la signature des Accords de partenariat économique, dont les conséquences sur la santé et l’éducation sont à prévoir, si ces nouvelles règles commerciales d’échanges s’accompagnaient d’une diminution des recettes publiques et privées de ces pays, comme l’analyse le journal Le Monde : « Cette perte des ressources risquent de menacer des dépenses prioritaires comme l’éducation et la santé »[12].

Toujours dans le cadre des Accords de Partenariat Economique, l’Union européenne envisage d’imposer aux Etats ACP de nouvelles obligations de propriété intellectuelle OMC+, plus contraignantes et restrictives, ce que le Parlement dans le cadre de cette Résolution demande au Conseil d’empêcher[13]. Tout au long des réunions de Bruxelles, de nombreuses interventions des ministres de la santé et de leurs équipes ont suggéré d’accorder une attention particulière à la santé dans le cadre des négociations en cours des Accords de partenariat économique.

La Commission européenne était représentée à la réunion technique et ministérielle par ses équipes techniques de la DG Développement et de l’Office européen de la Coopération/AIDCO à Bruxelles, qui sont intervenues lors des présentations, et ont contribué à commenter la Déclaration de Bruxelles et son cadre d’action. Si les occasions de dialoguer et de négocier entre les instances représentatives des Etats ACP à Bruxelles (Comité des Ambassadeurs, Assemblée Parlementaire Paritaire) se présentent régulièrement, les opportunités de dialogue de la Commission européenne avec les ministres de la santé des pays ACP sont beaucoup plus rares. La présence du Commissaire Louis Michel, Commissaire au développement à l’époque, ou d’un des directeurs généraux de la DG Développement ou de AIDCO aurait été très appréciée.

A l’issue des réunions, les ministres de la santé s’engagent à prendre toute une série de mesures concrètes, techniques et financières, permettant d’accélérer la réalisation des OMD de la santé d’ici à 2015. Dans ce sens, le Secrétariat des Etats ACP avait préparé en amont, deux documents résumant ces engagements politiques stratégiques et financiers, qui ont été amendés par les hauts fonctionnaires, puis par les ministres de la santé des pays ACP successivement pendant les deux réunions. Ainsi fut élaborée la « Déclaration de Bruxelles pour la santé et le développement durable », et son cadre d’action[14].

Les échanges lors de la réunion technique
des Hauts Fonctionnaires des ministères de la santé des Etats ACP.

L’objectif de cette réunion visait à donner à tous les hauts fonctionnaires assistant les ministres dans (i) l’élaboration des politiques de santé, (ii) la mise en œuvre et (iii) le pilotage des interventions, les connaissances actualisées nécessaires à prioriser les interventions qu’ils souhaitent réaliser au cours de la période 2007-2015 pour accélérer la réalisation des OMD de la santé.

Trois grands thèmes ont été choisis pour les présentations et discussions de la réunion technique préparatoire déclinée en trois sessions, aux cours desquelles les documents techniques de référence étaient présentés aux hauts fonctionnaires : (1) le management des systèmes de santé ; (ii) les maladies transmissibles, les maladies non transmissibles et les maladies négligées ; (iii) le financement de la santé et la coopération intra-ACP dans le domaine de la santé.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève et à Bruxelles, le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) à Bruxelles, la Banque Mondiale (BM), la Commission européenne, et le Secrétariat des Etats ACP ont largement contribué à la préparation et à l’animation de ces sessions dont les thèmes, qui ne sont autres que ceux discutés au plus haut niveau de la communauté mondiale au moment où se crée à Londres le Partenariat international pour la santé, devenu entretemps International Health Partnership+ (www.internationalhealthpartnership.net), et où se crée à New York à l’initiative du SG des Nations Unies, le Comité directeur de la réalisation des OMD pour l’Afrique[15].

Un des résultats très intéressants de cette réunion a été pour le Secrétariat des Etats ACP et les institutions qui le soutiennent, de s’obliger à produire pour la région des ACP[16]une synthèse de la situation sanitaire et de quelques stratégies et expériences, qui ont pu être partagées avec les participants des six régions ACP. Il est vrai que les ministres de la santé africains se réunissent souvent, et ont peut-être plus souvent l’occasion de partager leurs difficultés, leurs contraintes, leurs questions, leurs expériences, entre eux et avec les donateurs ou les agences techniques de l’ONU. Cette fois, la réunion ACP a permis aux régions Caraïbes et Pacifique d’être associées à ces discussions techniques. Ainsi les représentants de la Jamaïque, de Cuba, du Surinameet des îles Cook par exemple ont-ils été des participants très actifs des réunions technique et ministérielle et contribué avec les représentants du continent africain à finalisation de la Déclaration de Bruxelles et de son cadre d’action.

Les présentations ont cherché à résumer la situation sanitaire, et à donner quelques orientations et recommandations discutées ensuite avec les participants. La situation se résume comme suit :

Les objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront pas atteints dans la zone ACP et des retards considérables ont été pris. Les raisons connues de ces retards sont pour la plupart communes à des régions pourtant très différentes entre l’Afrique, le Pacifique et la Caraïbe. Les participants en ont discuté : la santé n’est pas une priorité des Etats, ni des bailleurs de fonds. Le combat contre la pauvreté est loin d’être gagné, avec tout son cortège de retentissements sur la santé et le développement social. Pour les ministres de la santé, la négociation avec les ministres des finances pour obtenir une augmentation des budgets reste ardue. Il faut un arbitrage politique au plus haut niveau. La volonté politique est nécessaire à l’octroi de moyens humains et financiers en faveur de ce secteur, tant de la part des pays ACP que de la communauté internationale.

Malgré les effets d’annonce, la santé reste un secteur sous-financé, tant par les budgets nationaux que par la communauté internationale, même depuis la Déclaration du Millénaire. La lutte contre le sida, et dans une moindre mesure, la lutte contre la tuberculose et le paludisme, ont bénéficié des augmentations des financements d’aide publique et privée en faveur de la santé sur la période 2000-2007, mais ceux-ci restent insuffisants. Même si les pays africains atteignaient les objectifs fixés par la conférence d’Abuja en 2001, de consacrer 15% de leurs budgets à la santé, les ressources du secteur ne seraient pas suffisantes. La communauté internationale doit respecter ses engagements de son côté d’allouer 0.7% de son PIB à l’aide publique au développement.

La faible capacité d’absorption des ressources par les pays doit être analysée plus avant si l’on veut y remédier et que les Etats profitent pleinement des ressources additionnelles qui seront ainsi mobilisées. La question est d’autant plus cruciale que les pays de l’OCDE et les institutions internationales recourent désormais à des mécanismes innovants de mobilisation de financements en faveur de l’aide au développement, tout particulièrement en faveur de la santé.

Les régions d’Afrique et des Caraïbes sont les plus touchées au monde par la pandémie de sida. Dans les pays à forte prévalence d’infection à VIH, 80% des patients tuberculeux sont aussi infectés par le VIH. La première cause d’infection opportuniste dont souffrent les patients infectés par le VIH en Afrique, est la tuberculose pulmonaire, de diagnostic difficile chez ces patients. Les deux pandémies VIH et tuberculose vont de pair en Afrique. Près d’un quart des cas mondiaux de tuberculose sont en Afrique. Sur 22 pays dans le monde pour lesquels l’incidence de la tuberculose est la plus élevée, 9 se situent en Afrique et sont des pays à haute prévalence d’infection VIH.L’espérance de vie sur le continent africain est estimée à 49 ans.

Le paludisme touche plus de 90 pays, 2 milliards 400 millions de personnes, ce qui représente 40% de la population mondiale, entraînant dans les pays concernés une réduction du taux de croissance annuel de 1.3%. Chaque année il est estimé par l’OMS que 500 millions de personnes sont gravement atteintes de paludisme et que la maladie tue plus d’1 million de patients, dont une majorité sont des nourrissons, des jeunes enfants et des femmes enceintes, pour plus de 80% d’entre eux en Afrique subsaharienne. Les maladies tropicales négligées affectent la plupart des régions ACP avec autant de populations souffrant de handicaps et de dépendances.

La santé de la mère et celle de l’enfant, n’ont pas retenu l’attention des donateurs à la hauteur de la situation. Les indicateurs de la santé maternelle sont au même niveau dans les pays ACP qu’ils l’étaient il y a vingt ans, voire s’aggravent. La moitié des femmes dans le monde qui meurent de complications liées à la grossesse et à l’accouchement vivent en Afrique, où le taux de mortalité maternelle atteint 921 décès pour 100 000 naissances vivantes. Ceci est d’autant plus dramatique que la mort maternelle est une cause en elle-même de la mort infantile, et que les femmes, nombreuses à travailler dans le secteur informel, contribuent à hauteur de 60% des revenus du foyer. Seuls 42% des accouchements en Afrique sont réalisés par du personnel compétent et moins de la moitié des populations en zone rurale ont accès à de l’eau potable. La moitié des avortements et de morts maternelles par avortements, se déroulent dans le seul continent africain.

Lors de la réunion ministérielle de Bruxelles, la mortalité des enfants de moins de 5 ans sur le continent africain est estimée à 160 pour 1000, ce qui représente une diminution de 14% seulement depuis 1990[17]. Les enfants meurent toujours de pneumonies, de diarrhée, de paludisme et de causes néonatales. Près de 26% des enfants africains sont malnutris et la malnutrition est la cause de plus de la moitié des décès des enfants en Afrique.

Les profils épidémiologiques et les priorités de santé, classiquement dominés dans ces régions par les maladies infectieuses et tropicales, ont considérablement évolué au cours des deux dernières décennies sous l’effet conjugué des phénomènes suivants : la croissance démographique, la diversification des activités économiques, les retentissements de celles-ci sur l’environnement et de la croissance sur les modes de vie, l’émergence de l’épidémie de sida et la recrudescence de la tuberculose, le développement du réseau des infrastructures et du secteur des transports, la crise économique et l’aggravation de la pauvreté de certaines franges de la population, l’exode rural et l’urbanisation qui pose, du fait de la promiscuité et de la précarité des habitats, des problèmes d’hygiène et d’assainissement, l’apparition de nouveaux conflits en Afrique centrale et de l’ouest, dans la Corne de l’Afrique, et plus récemment dans le Maghreb. Au cours des dernières années, la moitié des Etats africains ont été en situation de conflits ou post-conflits.

Résulte de ces transformations économiques, sociales et démographiques une situation sanitaire aux profils mixtes aux déterminants multiples et complexes. Nous n’assistons pas à une transition épidémiologique en tant que telle. Nous sommes confrontés dans la région ACP à la coexistence simultanée de profils endémiques dominés par les maladies infectieuses tels que classiquement observés dans les pays en développement, en même temps que nous constatons l’augmentation de la fréquence des maladies chroniques principales causes de mortalité dans les pays développés. Autrement dit, s’ajoutent aux maladies infectieuses très directement liées à des mauvaises conditions d’hygiène et d’assainissement, des maladies associées à la modernité.

Ainsi les populations des Etats ACP sont-elles exposées tout à la fois aux maladies tropicales parasitaires dites négligées[18], aux accidents de la voie publique, au diabète, à l’hypertension artérielle et aux maladies cardio-vasculaires dans leur ensemble, aux facteurs de risques des cancers, aux maladies mentales et neurologiques, au paludisme, à la tuberculose. Le phénomène épidémique qui frappe l’Afrique et les Caraïbes depuis plus de vingt ans avec une extrême violence, tant ses conséquences individuelles, familiales, socio-professionnelles et économiques sont dramatiques et dévastatrices, est le sida et tout son cortège de maladies opportunistes, tumorales et infectieuses, avec au tout premier plan la tuberculose. Mais le phénomène qui va ébranler le continent africain dans les décennies qui viennent, ainsi que la géopolitique internationale et celle de l’aide au développement, a trait au doublement de la population africaine d’ici à 2050.

En outre, la planète n’est pas à l’abri de nouvelles menaces. Alors que l’épidémie de sida a sévi pendant trente ans sur le continent africain, et continue de se propager à grande vitesse dans toute l’Afrique australe, d’autres épidémies pèsent sur les économies vulnérables et précaires du continent, telles l’épidémie Ebola ou la grippe aviaire animale. Le Nigeria, le Ghana, le Niger, et d’autres pays ont dû prendre toutes les dispositions pour éradiquer de la virose les élevages de poulets qui sont pour certaines populations les seules sources de revenus.

L’enjeu pour l’ensemble des pays signataires est d’appliquer le nouveau Règlement Sanitaire International entré en vigueur en juin 2007, fondé sur une démarche de détection et d’alerte épidémiologique proactive, qui par nature vise à anticiper l’émergence de nouvelles épidémies. A cette fin, les méthodes d’information et les outils informatiques utilisés par l’équipe spécialisée du Réseau Mondial d’Alerte et d’Action en cas d’Epidémie, localisé au siège de l’OMS à Genève s’inspirent de ceux des services du Renseignement.

Face à cette situation, les systèmes de santé ont bien du mal à répondre. Le manque de personnels de santé, qui a toujours existé, qualifié aujourd’hui de « crise des ressources humaines », s’aggrave au moment où se conjuguent des profils épidémiologiques mixtes de maladies infectieuses et de maladies non-transmissibles. L’OMS avait déjà publié en 2000 un rapport sur les systèmes de santé. Mais la plupart des financements ont continué d’être déversés au travers de la mise en place de structures exécutives verticales à l’échelle des pays.

A trente ans de la Déclaration d’Alma Ata, la Directrice générale de l’OMS rappelle à Brazzaville en août 2007 les bons principes des soins de santé primaire et le représentant de l’OMS à Bruxelles de vanter les mérites de cette stratégie. En 2008, l’OMS publie le rapport « Soins de santé primaire : maintenant plus que jamais ». Mais il ne s’agit pas de refaire la boucle, sans s’interroger sur les résultats de cette stratégie en termes de couverture et de qualité des soins.

L’accès au médicament dans le cadre des accords ADPIC est un thème de la réunion qui a été ajouté à la demande spéciale de l’Ambassadeur de la Jamaïque lors de la réunion du Comité des Ambassadeurs des Etats ACP réuni en septembre à Bruxelles. La préoccupation de l’Ambassadeur était de mieux comprendre l’initiative du Parlement européen d’émettre en juillet 2007 une Résolution sur l’Accord ADPIC et l’accès aux médicaments. En effet, sollicité pour approuver le « Protocole d’amendement de l’Accord ADPIC de décembre 2005 » à Genève, le Parlement européen adopte une Résolution[19].

Cette Résolution rappelle tous les engagements pris par l’Union européenne pour contribuer à la réalisation les objectifs du Millénaire pour le Développement, à réduire la pauvreté, à s’assurer de la sécurité sanitaire, à promouvoir les droits de l’homme et le développement durable, et l’accès au médicament. Le Parlement demande à la Commission et au Conseil d’augmenter les capacités des pays en développement à développer leur industrie pharmaceutique pour produire les médicaments, de contribuer à ces réalisations très concrètement, et de financer la recherche sur les maladies infectieuses et les maladies négligées. Le Parlement européen demande au Conseil de soutenir les pays qui souhaitent utiliser les flexibilités de l’Accord ADPIC, afin de fournir des médicaments à bas prix à leurs populations dans le cadre des programmes nationaux de santé publique, et demande au Conseil d’empêcher la Commission d’interférer auprès des pays de l’Union européenne qui souhaiterait autoriser la production et l’exportation de médicament en faveur de pays en demande.

Dans cette Résolution, Le Parlement européen met en garde la Commission européenne sur la nécessité des APE de ne pas ajouter des mesures restrictives d’accès au médicament. La présentation du bureau des ACP à Genève, effectuée par un spécialiste de ces questions, et faisant le point sur l’utilisation des flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC, s’avère tout à fait utile[20]. Le Canada qui vient d’octroyer une licence obligatoire pour la fabrication d’un antirétroviral à la demande du Rwanda, a été cité comme exemple. L’avenir nous a montré que les « flexibilités » s’avèrent très dissuasives pour les pays tant les procédures sont complexes. La question de l’accès aux médicaments essentiels et de leur bon usage restent entières.

Les financements des systèmes de santé, tant publics que privés sont insuffisants. La présentation du représentant de la Banque mondiale à cette réunion fait état, non pas des modèles de financement, mais d’une mosaïque d’options que les Etats et d’autres acteurs peuvent prendre, en vue de financer le secteur et d’améliorer la couverture du risque maladie, en ayant bien compris les avantages comparatifs et les inconvénients de chacune de ces alternatives. Il est clair que les dispositions de l’Initiative de Bamako, non seulement excluent les pauvres, et pas seulement les pauvres, mais fait basculer dans la précarité une centaine de millions de personnes par an du fait de dépenses dites « catastrophiques » de santé.

Il est clair aussi que l’assurance maladie et la protection sociale universelles, bien qu’étant des objectifs communs entre les Etats ACP, l’OMS, l’organisation internationale du travail (OIT) et la communauté internationale dans son ensemble, ne se mettent pas en place facilement dans des contextes de pauvreté, de pression fiscale basse et de population à très grande majorité dans le secteur informel. Des expériences réussies se profilent et méritent d’être diffusées. Le Secrétariat des Etats ACP, avec l’appui de l’OMS et de l’OIT, pourrait se charger de cette capitalisation et diffusion.

Les représentants de l’OMS, de la Commission européenne et de la Banque mondiale ont reconnu de leur côté les effets néfastes de la disparité des interventions d’aide extérieure, de la non prédictibilité de ses financements, liée aux procédures des bailleurs, les résultats insuffisants à près de trois ans de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide et l’harmonisation. Le constat se prolonge en 2011, à la veille du forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide qui doit se tenir à Busan en novembre. Selon une évaluation de l’OCDE, la mise en pratique de la Déclaration de Paris est limitée[21]. La Commission européenne travaille en concertation avec les Etats ACP à une « Proposition relative à un appui budgétaire général à plus long terme et plus prévisible », intitulé « Contrat OMD » sur une durée de 6 ans au lieu des trois ou quatre ans de durée de mise en œuvre des conventions de financement actuelles. La Commission européenne a appelé à ce que la Déclaration de Bruxelles fasse référence aux dispositions de la Déclaration de Paris de 2005 sur l’efficacité de l’aide et l’harmonisation.

2. La réunion des ministres de la santé des Etats ACP

Les participants ont approuvé le fait que ce genre de forum est l’occasion de réaffirmer que la santé est une priorité. L’ensemble des participants ont félicité le Secrétariat du Groupe des Etats ACP et les intervenants des institutions internationales pour la qualité des documents préparatoires (Déclaration et Cadre d’action), des documents techniques et des présentations faites lors des deux réunions technique et ministérielle.

En réponse à la situation, aux défis et à l’avenir, ce que les Etats ACP ont choisi de recommander et ce sur quoi ils s’engagent, figurent dans la Déclaration de Bruxelles sur la santé pour le développement durable et dans son cadre d’action, et sont rendues publiques dans un Communiqué. (www.acp.int)

La présentation de Cuba a été unanimement remarquée et appréciée tant les résultats de cet Etat dans le domaine de la santé sont impressionnants, à la fois du point de vue de la situation sanitaire que des capacités des institutions de formation à produire des personnels de santé de qualité mondialement reconnue et à les exporter en Amérique latine et à travers le monde. Pour ces raisons, et de l’avis des participants, Cuba est un cas à part et présenté à part.

2.1. La présentation du Vice Ministre de la Santé de la République de Cuba

Le Vice ministre de la santé de la santé de Cuba a reconnu les immenses défis auxquels sont confrontés les Etats ACP et présenté l’expérience cubaine dans un esprit de très grande solidarité. Les passages les plus marquants de sa présentation sont les suivants :

« The XXI century imposes us worldwide challenges and threats. Populations from large regions worldwide are at risk of disappearing due to the increasing of HIV/AIDS, Malaria and Tuberculosis for instance. These emergent and re-emergent diseases hang on heads as the Sword of Damocles. It’s really difficult to face theses realities due to our health system’s weakness, lack of human resources and restrictions in accessing medicines and vaccines. All this could be summarized in three issues: developing countries constitute 84% of the world population, they consume less than 11% of health worldwide expenditures, and they bear 93% of the diseases load.

Cuba also had to confront the realities. The Revolution inherited a deplorable sanitary scope and had to embark on social transformations. We defined health as a right to all citizens, and together with social, economic transformations undertaken, we built a health system that constitutes a mean for attaining the strategic objective of the Revolution: to improve the quality of life of the population. In Cuba there is not a health policy; health is part of the State policy.

Political will is a essential condition to build a health system whose basic pillars are its governing principles and the quality of the physician trained, not only scientifically but taking into account their ethical and human values. In my country, child mortality is 5.3 per 1000, and maternal mortality is 4.5 per 10 000 born alive, life expectancy at birth is 77 years old.Non-communicable diseases are predominant in our sanitary scope and we have an immunization programme covering 13 diseases through 11 vaccines, 8 of them made in Cuba.

We have created a healthcare network covering the whole country (urban and rural area) whose central core is the polyclinic facilities where the primary health care is implemented. Development and improvement of human resources is a priority.

We have 21 Faculties of Medicines throughout the country, which has permitted coverage of 1 doctor per 158 inhabitants. In this field the most important achievement has been the training of a new type of practitioner: the specialist of Comprehensive General Medicine who over the last 25 years has shown his/her utility at health-problem-solution of the Cuban population and worldwide. During many years, Cuba has been sharing its modest resources and experience with other developing countries. At the moment, 33 916 doctors and health technicians provide their services in 72 countries, 46 of them are present here as members of ACP Group of States.  Cuba cooperation is not only in the clinical and primary health care, but also in the training and capacity building of professional human resources. Our Faculties have graduated up to date 47 637 young people from 126 countries and 4 overseas territories. It means the contribution of more than 4000 million dollars for their development; 53 459 young people are currently trained as physicians in and out of the country from 86 nations and 3 overseas territories. 24 514 of them are trained in Cuba, and 28 945 together with other Cuban doctors working in their own countries. This new training programme is adapted to conditions at each country and is supported by the use of information technologies and knowledge allowing a mass training and qualified at its own communities. This according to our own point of view is the only solution ot solve health problems existing today in these countries. Countries such as Venezuela, Guinea Bissau, Timor Leste, Tanzania, are involved successfully in this programme.

We also provide teaching cooperation by traditional methods in Faculties of Medicines in Equatorial Guinea, Gambia and Eritrea. In the Caribbean, a nursing school was opened in Dominica with Cuban cooperation.

In January 2004, the “Operacion Milagro” Miracle operation Programme was implemented aimed to national patients and patients from abroad to solve eye affections produced by early blindness. Up to now, 850 000 interventions have been made. Since February 2007, this programme has been expanded to Africa with the opening of an ophthalmologic centre in Mali.  Cuban plants and laboratories produce more than 80% of the medicines and vaccines consumed in our sanitary and health programs.

By globalizing solidarity and applying free-of charge cooperation we could confront the challenges we have a head. To us, Ministers of Health and their representatives, correspond from the public health viewpoint, to show that a better world is possible. Excellencies, Cuba expresses its intention to continuing its cooperation initiatives in the health sector with all ACP countries.”

 Dr Joaquin Garcia, Bruxelles, le 26 octobre 2007

2.3. Les échanges entre les ministres de la santé ou leurs représentants.

2.3.1. Sur la situation sanitaire

Madame le ministre de la santé de l’Afrique du Sud exhorte ses collègues et les représentants des institutions internationales, à relever avec force et volonté politique les défis de mortalité maternelle et infantile, et invite les participants à investir davantage en faveur de la réalisation des OMDs. Dans cet esprit l’Ethiopie demande que les services de référence et les urgences soient renforcés et financés.

Le Burkina Faso a insisté pour que le risque de très grandes épidémies de méningites dans le Sahel cette année soit pris en considération par les documents solennels de la réunion de Bruxelles.

Le Nigeria a attiré l’attention de l’audience sur la gravité du paludisme et la nécessité de développer des stratégies tout à fait spécifiques, de mobiliser des financements plus conséquents, y compris pour la recherche et le développement de nouvelles molécules et vaccins, et de faciliter l’accès aux traitements à base d’artémisinine qui ne sont pas financièrement accessibles partout. Au Nigeria, 60% de la mortalité maternelle et infantile est attribuable au paludisme. Or les financements d’aide extérieure ne permettent pas de répondre à cette priorité nationale. « Le paludisme est la maladie de la misère » a tenu à dire le Bénin.

Plusieurs Etats particulièrement concernés, ont beaucoup insisté sur la très forte augmentation de la prévalence des maladies non transmissibles en particulier du diabète. Ainsi les Etats Caraïbes dans leur ensemble, mais aussi l’île Maurice et la Tanzanie ont-elles partagé leurs données quantitatives relatives à ces maladies chroniques, au coût pour leurs systèmes de santé et leurs difficultés à acheter les médicaments pour les traiter. Ainsi Maurice fait remarquer que les indicateurs de mortalité infantile se sont beaucoup améliorés. La mortalité infantile a diminué pour atteindre 16.9 pour 1000 en 2007. Mais la population est violemment atteinte par les maladies chroniques : 20% de la population de plus de 30 ans a un diabète.  Et 50% de la population de plus de 50 ans est touchée par un diabète. Les accidents de la voie publique représentent 60 à 70% des maladies non transmissibles. Tout ceci risquant de compromettre finalement les avancées réalisées dans le domaine des maladies infectieuses.

Le représentant de la Jamaïque a tenu à dire à quel point leur pays et les pays de la Caraïbes sont confrontés à une situation sanitaire grave aux défis nombreux liés tout à la fois aux maladies infectieuses et aux maladies chroniques, souffrant également d’une très grave crise de ressources humaines, les personnels partant travailler au Royaume Uni et aux Etats-Unis, et malgré ces difficultés, ces pays restent en marge des financements d’aide extérieure de la communauté internationale. La Jamaïque a attiré l’attention de l’audience sur l’organisation en septembre 2007 par la région Caribéenne d’un Sommet des chefs d’Etats des pays du CARICOM, sur les maladies chroniques non transmissibles, à l’issue duquel a été émis un Communiqué[22].Notons que l’ambassadeur du Niger a pris l’initiative d’organiser au Secrétariat des Etats ACP à Bruxelles début octobre 2007 une réunion spéciale sur le Diabète dans les régions ACP à l’attention du Comité des Ambassadeurs du Groupe des Etats ACP.

Le représentant des îles Cook dans le Pacifique a demandé que les droits de propriété intellectuelle soient appliqués aux plantes médicinales autant qu’aux médicaments qui en seront dérivés, que les ressources des pays ACP soient protégées de l’exploitation.

2.3. 2. Sur les financements

Le représentant des îles Cook dans le Pacifique a proposé de ne pas dépendre de l’aide extérieure trop imprévisible et volatile. « Choose our economy, growit ! ». Même si les engagements d’Abuja sont respectés, 15% de budgets minuscules n’amèneront pas grand-chose dit-il. Nous avons besoin de leadership au plus haut niveau des Premiers ministres pour cela accroître notre production, générer des ressources conséquentes et augmenter ainsi de manière significative nos budgets en faveur de la santé. « A healthy nation is a prosperous nation ! ».

L’Angola approuve la recommandation d’aller au bout de l’engagement des chefs d’Etats africains à Abuja de consacrer 15% de leur budget à la santé, mais invite à mieux gérer les ressources disponibles. « Grants alone will not solve our problems. We need to better use our resources. Management is the key to success. Please refer to the Caribbean Commission on Health and Development Report[23] » renchérit le représentant de Sainte Lucie dans la Caraïbe.

Le représentant du Soudan a appelé à prioriser les interventions, car tout ne peut être mené de front. Le Bénin se demande finalement la part des financements internationaux qui vont directement au malade. La Côte d’Ivoire demande à l’assistance de ne pas oublier que la participation des usagers, outre la tarification officielle des prestations de soins, inclut la contribution parallèle que les soignants demandent aux malades et à leurs familles et que cet aspect contribue de manière significative à l’exclusion des patients des services de soins. Le représentant de la Côte d’Ivoire se demande si les services resteraient inaccessibles si cette contribution n’était pas exigée et invite à mesurer la part de ces pratiques dans l’accès (ou le non accès) aux soins. Le représentant du Suriname précise que la tarification est un des éléments du financement de la santé, et n’en est qu’un des composants.

Les pays ont été nombreux à témoigner des mécanismes d’exemption dont bénéficient certaines populations en vue d’améliorer l’accès aux soins et de progresser vers la réalisation des OMD de la santé : les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans (Niger, Burkina Faso, Burundi), mais aussi par endroits les populations en milieu rural (Zambie) ou les réfugiés qui reviennent de Tanzanie (Burundi). La Côte d’Ivoire annonce des mécanismes d’exemption pour les césariennes, la gratuité des moustiquaires imprégnées, etc. La stratégie de l’OMS sur le paludisme vient d’être actualisée selon les succès de l’expérience Kényane.

Le Ghana a partagé son expérience de mise en place d’une assurance maladie à l’échelle nationale, en rappelant les résistances du début à une telle initiative. En trois ans la couverture est passée de 10% à 47% de la population. Une très forte volonté politique et un fort leadership sont à l’origine de ce succès disent les représentants du Ghana.

Certains pays comme le Cameroun ont largement encouragé les autres pays d’aller vers des approches sectorielles dans le domaine de la santé. Les Sector-Wide Approach programmes (SWAP) font en effet partie des instruments d’appui au secteur de la santé désormais privilégiés par la Commission européenne, la coopération britannique, la Banque mondiale, et les Etats du Nord de l’Europe, de même que l’aide budgétaire (General Budget Support) avec des tranches incitatives financées selon les résultats obtenues dans les secteurs sociaux. Le Gabon s’est prononcé en faveur d’une approche systémique de la santé.

La Guinée Equatoriale a souhaité que le suivi des nouveaux instruments d’aide budgétaire de la Commission dits « Contrat OMD » inclue des indicateurs relatifs à la santé. Ces dispositions sont en cours de discussion entre les Etats ACP et la Commission européenne et pourraient prendre en considération ces recommandations. Sur la question des financements, l’Afrique du Sud a tenu à souligner qu’il s’agit moins de montant que de stratégie et de voir comment on va décliner les objectifs à tous les niveaux du système de santé.

Certains pays, dont le Sénégal et le Tchad ont demandé qu’un instrument financier particulier soit créé en vue de répondre à la situation sanitaire de pays en conflits, post-conflits, ou fragiles, en vue d’une assistance humanitaire immédiate.

2.3.3. Sur les ressources humaines

Le représentant du Soudan relie directement la migration des personnels et des hommes en général, à la précarité des économies « Countries don’t receive prices for their exports so they export themselves ! ».

De nombreux pays d’Afrique francophone ont souhaité analyser la crise des ressources humaines selon tous ses aspects : la migration, le management, mais aussi le chômage des médecins pourtant disponibles dans des pays où la fonction publique n’est pas en mesure de les recruter du fait des contraintes macroéconomiques imposées par le FMI se référant à des critères de masse salariale financée sur recettes propres. Tous s’entendent avec la République Démocratique du Congo pour dire que la migration des ressources humaines appelle des solutions concertées entre les pays destinataires et les pays d’origine, afin que les personnels formés au Sud y restent.

A moins que les pays de l’OCDE ne financent sur l’aide extérieure la formation des personnels de santé qu’ils absorbent…ce qui a été évoqué par un des pays ACP. Des propositions concrètes sont formulées pour permettre aux praticiens du secteur privé d’utiliser les établissements de soins publics par exemple. « Sur les ressources humaines, dit le ministre de la santé du Tchad, la question est autant de retenir les personnels que d’améliorer nos capacités de produire des professionnels de la santé. C’est notre capacité de production qu’il faut soutenir avec des actions très concrètes. Ensuite, une chose est de les former, une chose est de les gérer. »

L’Ethiopie et l’Afrique du Sud se sont affrontées sur la question de l’utilisation optimale des personnels de santé ; l’Ethiopie, pour pallier le manque de personnels de santé, souhaitant former massivement des professionnels de santé de niveau intermédiaire, confier des tâches médicales à des personnels paramédicaux, et des tâches paramédicales ou techniques à des acteurs non professionnels de santé. Et l’Afrique du Sud d’exprimer son opposition à cette stratégie, souhaitant que les tâches médicales restent confiées à des médecins et à des professionnels de santé.

Ces prises de positions ne reflètent-elles pas tout simplement la différence de moyens (humains et financiers) des deux pays, plus que de vision stratégique ? L’Ethiopie doit répondre en urgence à la crise des ressources humaines et son ministère de la santé a mis en place depuis deux ans, avec l’appui de GAVI, de DFID et d’autres donateurs, un très grand programme de formation et de redéploiement des ressources humaines, redéfinissant les tâches selon les personnels à chaque niveau, impliquant 30 000 jeunes femmes dans la communauté. Forte de ses résultats, le pays souhaite que ce type de stratégie figure parmi les recommandations de la Déclaration de Bruxelles sur la santé pour le développement durable. Le ministre de la santé de l’Ethiopie a aussi beaucoup insisté pour que soient financés les soins de référence et les soins d’urgence.

L’Erythrée a témoigné de son côté de la très grande implication bénévole des syndicats et représentations associatives de femmes dans la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, avec un très grand succès en effet comme en témoigne l’évaluation de ce projet financé avec l’appui de la Banque mondiale et qualifié par celle-ci de « star project » in Africa.

Un autre représentant a dit que la migration n’était pas que négative en ce qu’elle permet aux professionnels de santé de se perfectionner, de se spécialiser et parfois de revenir plus performants d’une part, et d’autre part parce qu’ils contribuent comme tout migrant à l’assistance de leurs familles restées aux pays. Ils pourraient aussi être mis à contribution dans le cadre de la formation initiale et continue organisées dans nos pays.

2.3.4. Sur les stratégies

Le représentant de la Mauritanie pense que la réalisation des OMD de la santé ne relève pas seulement de la disponibilité de ressources financières additionnelles, mais dépendent aussi d’un changement d’approche [stratégique]. « Il s’agit de sortir des sentiers battus, d’innover pour sortir des obstacles auxquels nous sommes confrontés. Il s’agit de réfléchir sur les déterminants qui nous empêchent d’avancer. La crise des ressources humaines appelle des réformes pour que les médecins soient traités correctement, et que des mécanismes d’incitation soient prévus. Ceci implique que les discussions s’établissent à d’autres niveaux que le ministère de la santé et que le ministère de la fonction publique soit impliqué, ainsi que d’autres niveaux du Gouvernement. Il s’agit aussi de s’inspirer des expériences qui marchent : comment a fait Cuba ? Et que du côté de la communauté internationale, les engagements financiers soient tenus.

Le représentant du Soudan de poursuivre : « L’OMS a construit son argumentaire pour la santé facteur de développement économique et de lutte contre la pauvreté. Oui nous avons raté les objectifs et les cibles [définies par la Déclaration du Millénaire]. Maintenant nous sommes à mi-parcours, que fait-on ? Peut-être pouvons-nous placer la santé au cœur des accords de partenariat économique, que ces accords prennent complètement en considération la santé des Etats ACP, à situer la santé en bonne place de la programmation de l’enveloppe intra-ACP du Fonds européen pour le Développement, des discussions en cours sur la stratégie UE-Afrique qui doit être finalisée lors du prochain Conseil de l’Europe à Lisbonne, et à considérer ce secteur, non pas de manière satellite, mais intégrée aux actions multisectorielles de développement relatives à l’eau, à l’éducation, à l’environnement, à la sécurité alimentaire, etc. ».

Le représentant des Seychelles a regretté la faculté de l’ONU à fixer des objectifs irréalisables tout au long de l’histoire des stratégies de santé, et encouragé que l’on revienne à l’approche des soins de santé primaire pour étendre l’accès aux soins. Tout en contestant les objectifs tels que définis en 2000 par la communauté internationale, ce représentant va dans le sens de la DG de l’OMS à Brazzaville de revaloriser l’approche des soins de santé primaire. Les représentants du Nigeria font remarquer que la performance des stratégies de soins de santé primaire est menacée par des facteurs structurels tels que l’état des routes et l’enclavement de certains départements.

Le ministre de la santé du Tchad a fait une intervention très pertinente qui se résume ainsi : malgré tous nos efforts dans ce secteur, nous échouons, nous n’y arrivons pas. Ne pourrait-on pas nous asseoir ensemble autour d’une table avec les bailleurs, analyser les raisons de ces insuffisances, et prendre des mesures très concrètes ? « Si cette réunion de Bruxelles a une valeur ajoutée, c’est de travailler sur le « comment faire ». Au Tchad dit-il, la mortalité maternelle était de 827 pour 100 0000 naissances vivantes  en 1997 et elle est de 1099 pour 100 000 en 2007 ! Puisque les OMD ne peuvent pas être atteints, pourquoi ne pas plutôt répondre et travailler sur le comment faire dans les domaines des ressources humaines, de la gestion, du financement, des médicaments, de la gestion des partenariats ? Quel est le problème ? Il y a vraiment la nécessité de faire un point avec les pays ».

La parole aux pays, c’est ce qui manque encore quelques années après ces échanges. Les débats sur la santé se situent de plus en plus à l’échelle globale, sans les populations concernées…Or il est bien un domaine où on ne peut pas travailler à distance : celui d’améliorer la santé, tant la qualité, et l’intervention humaine, doivent être au rendez-vous, là-bas, sur le terrain.

[1] Les relations entre l’Afrique du Sud et l’Union européenne sont régies par un Règlement distinct de la convention de Cotonou. Les financements dont bénéficie l’Afrique du Sud dans le cadre de sa coopération avec l’UE ne proviennent pas du FED.
[2]
www.un.org

[3]
OMD 4, 5 et 6 respectivement relatifs à la santé infantile, la santé maternelle et la lutte contre les maladies infectieuses, notamment le sida, la tuberculose et le paludisme.

[4]
La Convention de Cotonou concerne la coopération de l’Union européenne avec les Etats ACP, dont les Direction générales Développement (DG DEV) et de l’Office européen de coopération (AIDCO) partagent la responsabilité avant la création de la seule DEVCO en 2011 (http://ec.europa.eu/europeaid/index_en.htm). La coopération de l’Union européenne en faveur des pays en développement des zones non-ACP, dont la DG Relations extérieures a la responsabilité (DG RELEX) est régie par des Règlements avec les pays du voisinage (qui entourent l’Union européenne à l’Est et en Méditerranée) et avec l’Amérique latine et l’Asie).

[5]
Section 2. Développement social et humain. L’article 25 de la Convention de Cotonou stipule que la coopération soutiendra les efforts des  Etats ACP de développer des politiques sectorielles et des réformes qui améliorent la couverture, la qualité et l’accès à des infrastructures sociales de base et prennent en considération les besoins et attentes spécifiques des populations les plus vulnérables, de façon à réduire l’inégalité d’accès à ces services ? S’en suivent des objectifs précisa dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la lutte contre les pandémies, de la démographie, de la protection sociale, etc.

[6]
2 autres Etats membres entrent dans la Communauté en janvier 2007, l’UE est aujourd’hui de 27 Etats membres.

[7]
Ce texte fait l’objet d’une révision concertée entre 27 Etats membres dont l’Union est régie par le Traité de Lisbonne, et deviendra la nouvelle politique de développement de la Commission européenne à l’horizon 2012. Le plan d’action de l’Union européenne sur la période 2007-2013 s’intitule « Investing in People » et prévoit des dispositions relatives à l’emploi, la protection sociale, l’éducation, les ressources humaines, de la santé notamment.

[8]
Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et Sao-Tomé et Principe, le Marché commun des Etats d’Afrique orientale et australe (COMESA), l’Afrique australe, les Caraïbes et le Pacifique.

[9]
voir le site du Groupe des Etats ACP  www.acpp.int

[10]
www.un.org

[11]
Voir organisation institutionnelle du groupe des Etats ACP sur le site www.acp.int

[12]
Voir le Dossier dans Le Monde Economie du 6 novembre 2007. L’Afrique peut-elle survivre au libre-échange avec l’Europe ?

[13]
Parlement européen. Résolution du 12 juillet 2007 sur l’Accord ADPIC et l’accès aux médicaments. Strasbourg, le 12 juillet 2007. B6-0288/2007.

[14]
Déclaration de Bruxelles sur la santé pour le développement durable dans les Etats ACP, et son cadre d’action, disponibles sur le site www.acp.int

[15]
Les deux initiatives sont créées en septembre 2007

[16]
Qui n’existe en tant qu’entité géographique, politique et sociale, qu’au travers de ses relations avec l’Union européenne.

[17]
On est loin d’atteindre l’OMD 4 de réduction de 2/3 de la mortalité infantile d’ici à 2015.

[18]
Schistosomiase, ulcer de Buruli, trachome, onchocercose (cécité des rivières), lèpre, maladie de Chagas, trypanosomiases, etc.

[19]
Parlement européen. Résolution du 12 juillet 2007 sur l’Accord ADPIC et l’accès aux médicaments. Strasbourg, le 12 juillet 2007. B6-0288/2007.

[20]
Achille Bassilekin. Les amendements à l’accord sur les ADPIC et la santé publique : quid de la facilitation de l’accès aux médicaments.

[21]
www.oecd.org

[22]
Communiqué issued at the Conclusion of the Regional Summit of Heads of Government of the Caribbean Community on chronic non-communicable diseases (NCDs). Port-of-Spain, Trinidad and Tobago, 15 September 2007. www.caricom.org.
[23]
www.caricom.org

Dominique Kerouedan

Dominique Kerouedan

Dominique Kerouedan est fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global health » à l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po. Titulaire de la chaire Savoirs contre pauvreté au Collège de France, 2012-2013.