Russie : les ONG sous forte pression…

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La nouvelle législation sur les ONG, sommées de se déclarer « agent de l’étranger » si elles reçoivent des financements non-russes, inquiète l’ensemble de la société civile. L’organisation Golos vient d’être condamnée et partout dans le pays, des inspections sont en cours. Plusieurs ONG dans tous les domaines craignent de devoir bientôt fermer leurs portes.

« C’est une humiliation », estime Anastasia Ilicheva, responsable de projet pour l’ONG Golos (« La voix » en russe), qui mène depuis deux ans des actions pour observer le bon déroulement des élections. Golos a ouvert le bal des ONG poursuivies par la justice russe, pour avoir refusé de s’inscrire comme « agent étranger », conformément à la nouvelle loi russe votée à la fin de l’année 2012 sur les organismes à but non-lucratif. Les organisations non-gouvernementales exerçant des activités politiques et bénéficiant d’un financement étranger sont désormais soumises à un régime juridique particulier qui prévoit, en cas d’infraction, de lourdes amendes et des peines de prison. Le 25 avril, Golos a été condamnée à payer 300 000 roubles, soit 7 500 euros. Une somme pour la toute jeune organisation, qui va faire appel.

Golos ne sera pas la seule à pâtir de cette réglementation. Le ministère de la Justice a demandé aux tribunaux de suspendre l’activité de près de 9000 organisations. Des enquêtes et des inspections sont en cours dans tout le pays, au sein des petites comme des grandes organisations. Amnesty International fait partie du lot. Sergei Nikitin, directeur du bureau Russie, prend ces contrôles très au sérieux : « Ce sont les premières pour nous depuis dix ans… A Amnesty, rien n’a été confisqué mais il semble que d’autres organisations aient eu droit à des inspections plus sévères, comme la fondation Konrad Adenaueur[1] à Saint-Pétersbourg, où les ordinateurs ont été confisqués ».

Les inspections sont généralement menées par une équipe rassemblant des représentants du Bureau du procureur, du ministère de la Justice et de l’inspection des finances. « Plusieurs organisations ont indiqué par le biais des médias sociaux que les représentants du gouvernement avaient passé les locaux en revue de manière approfondie et tenté d’enquêter de manière plus intrusive dans les bureaux, fouillant les bibliothèques en quête de littérature « extrémiste » ou demandant à avoir accès au contenu des ordinateurs, rapporte également Amnesty International. Ces inspections sont menées à l’initiative du Bureau du procureur, dont le domaine de compétence est très étendu, ce qui permet aux autorités de court-circuiter certaines des protections juridiques dont bénéficient normalement les organisations aux termes de la législation sur les ONG. »

 Les ONG relais de l’opposition ?

Contrôles de « routine », assure le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch, devant la bronca suscitée par ces inspections. Acharnement caractérisé, estiment plusieurs ONG, dont la célèbre Mémorial, Human Rights Watch ou Transparency International, qui y voit aussi un avertissement lancé à la société civile en réponse aux mouvements de contestation qui ont agité la Russie l’an dernier. « Nous savons bien que nous enregistrer sous le terme « agent de l’étranger » peut être sérieusement dommageable pour notre réputation car nous serons alors perçus par les citoyens comme des espions ou une organisation chargée de promouvoir les intérêts de pays étrangers », explique Anastasia Ilicheva.

La référence à l’époque soviétique, au cours de laquelle ce terme connoté péjorativement était fréquemment utilisé, n’est pas fortuite. Être un agent étranger, sous l’URSS, faisait rapidement de vous un « ennemi du peuple », avec les conséquences dramatiques que l’on connaît. Vladimir Poutine lui-même a joué cartes sur table en estimant, lors d’une interview  que les ONG étaient « plus dangereuses que la révolution orange », en référence au large mouvement de contestation qui avait balayé le pouvoir en Ukraine en 2004, repoussoir absolu pour le président russe. Selon Vladimir Poutine, des millions de dollars, en provenance de l’occident, seraient transférés aux ONG en vue de soutenir l’opposition. Des chiffres contestés, mais qui ont poussé plusieurs ONG à revoir leur financement pour éviter de tomber sous les fourches caudines de l’administration. « Depuis l’adoption de la loi en novembre, Golos n’a pas reçu un centime de l’étranger, précise Anastasia Ilicheva. Concernant le prix Shakarov pour la liberté, remis par le comité norvégien d’Helsinki (d’un montant de 7000 euros obtenu en octobre 2012, ndlr), l’association a analysé les risques et a décidé de ne pas toucher cet argent pour le moment. Par ailleurs, nous sommes fermement convaincus que notre action n’est pas « politique » : l’observation des élections consiste à surveiller et à rapporter des faits, sans soutenir tel ou telle force politique dans leur lutte pour le pouvoir. Mais la législation russe définit l’activité politique comme tout ce qui peut avoir une influence sur l’opinion, ce qui est très vague et permet de condamner tout le monde si nécessaire. »

 « Chasse aux sorcières » pour Human Rights Watch

Si les organisations œuvrant dans le domaine des droits de l’homme sont particulièrement sous pression, les ONG travaillant sur les questions sociales, sanitaires ou environnementales ne sont pas épargnées. Selon une information du site Lenta.ru, l’Association d’aide aux patients atteints par la mucoviscidose, en partie financée par les britanniques, mais dont rien ne démontre le caractère « politique », serait elle-aussi inquiétée… David-Pierre Marquet, du CICR à Genève, rappelle sa préoccupation quant à « tous types de mesures coercitives qui pourraient porter préjudice aux besoins des populations les plus vulnérables ». Ces derniers rebondissements s’inscrivent dans un ensemble de « lois d’usure » à l’encontre des acteurs de la société civile, dénonce Human Rights Watch dans un rapport paru le 23 avril dernier, qui fait le lien entre la loi sur les agents étrangers et celles relatives au droit de réunions et à la trahison. Toutes «  restreignent l’espace juridique dans lequel les militants de la société civile peuvent évoluer ». Le risque est grand de décimer ce qu’il reste de voix discordantes en Russie, et de fragiliser sérieusement l’ensemble de la sphère non gouvernementale.

 

[1]    Fondation allemande qui mène des programmes d’aide dans plus d’une centaine de pays et offre des bourses d’études.

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec est journaliste indépendante, spécialiste de l’espace post-soviétique. Elle a vécu et travaillé en Asie centrale puis en Ukraine où elle a été correspondante pendant quatre ans de Libération, Ouest-France, Le Temps et Le Soir, collaboré avec Géo, Terra Eco, et coréalisé des reportages pour RFI et la RSR. Basée aujourd’hui à Paris, elle collabore avec Regards, le Monde diplomatique, Libération, Médiapart, Syndicalisme Hebdo, Le journal des enfants etc… Elle coordonne également le pôle Eurasie de Grotius International, Géopolitiques de l’humanitaire.

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