Tunisie : le silence assourdissant des médias

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Par Radhia Nasraoui

Il y a un an, à Redayef, petite ville du bassin minier, située à cent kilomètres au sud de Gafsa (Tunisie), les forces de l’ordre ont tiré sur la foule : un mort, le jeune Hafnaoui Maghzaoui et plusieurs blessés graves dont l’un succombera quelques semaines plus tard à l’hôpital.

L’ordre a été donné ce jour- là, de mettre fin définitivement, au mouvement social le plus fort de l’ère du Général Ben Ali. Plusieurs centaines de personnes sont alors recherchées par la police et arrêtées (responsables syndicaux, enseignants, diplômés chômeurs etc ).

Pour accomplir leur tâche, les agents de la police avaient les mains libres : jeter les bombes lacrymogènes à l’intérieur des maisons, défoncer les portes, tabasser les personnes, piller et saccager maisons et magasins ; le tout dans l’impunité totale .

Pendant des mois, des centaines, et parfois même des milliers de citoyens et citoyennes se rassemblaient, manifestaient devant le local de l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie (U G T T) ou devant les locaux symbolisant l’autorité de l’Etat .

Leurs revendications étaient claires : le droit au travail et à une vie digne ! Ils dénonçaient la misère, la corruption et le clientélisme. A l’origine du mouvement, plusieurs milliers de personnes se sont présentées au concours de la Compagnie de Phosphate de Gafsa (C. P.G ), la seule société capable de résorber, au moins partiellement, le chômage mais seulement quelques dizaines ont été admises a ce concours, organisé pour le recrutement de cadres.

Il apparut alors clairement que les critères adoptés étaient loin d’être objectifs : le degré d’allégeance au pouvoir, les relations de parenté avec des personnalités politiques ou syndicales de la région ainsi que le bakchich ont eu leur effet. Ce qui provoqua une vive réaction des jeunes, lesquels ont décidé de défendre leurs droits. Des sit-in, des rassemblements, des grèves de la faim auxquels les femmes ont participé massivement, étaient organisés par les populations.

Pendant des mois, les autorités, tout en encerclant le bassin minier par des milliers d’agents, ont fait la sourde oreille, non pas par respect du droit de ces populations à la libre expression, mais pour laisser s’essouffler et s’effriter le mouvement. Mais cela n’a pas été le cas. Bien au contraire, le mouvement prit une ampleur croissante, s’étendant aux villes minières de Moulares, M’dhilla et Metlaoui.

Au mois d’avril, les dirigeants du mouvement, Adnane Hajji et ses camarades, ont été arrêtés, tabassés et piétinés dans les rues de Redayef, avant d’être transférés à Gafsa. Dans les locaux du district de police de cette ville, ils ont été torturés par les tristement célèbres Belgacem Rabhi et Mohamed youssefi, respectivement chef de la deuxième brigade spéciale de Gafsa et chef de la brigade des renseignements ‘’irchad’’. Ils n’ont été relâchés que sous la pression des habitants de la ville de Redayef qui se sont mis à manifester par milliers, allant jusqu’a décréter la grève générale.

Mais ils ne tarderont pas à se faire arrêter de nouveau à partir du mois de Juin 2008. Ils continuent jusqu’à aujourd’hui de purger des peines de prison extrêmement lourdes allant jusqu’à huit ans, dans les prisons les plus reculées et dans les conditions les plus inhumaines. Certains parmi eux continuent à croupir dans la prison de Rjim Maatoug, à l’extrême sud du Sahara tunisien.

Les journalistes regardent ailleurs

Si les médias en Tunisie, exceptés les journaux de l’opposition et une chaine de télévision indépendante « Al Hiwar Attounsi », ont volontairement ignoré ces évènements, pourtant graves et importants, c’est à cause de la politique répressive du régime tunisien soucieux d’occulter ce mouvement qui traduit l’échec patent de sa politique économique et sociale.

Le correspondant de « Al Hiwar Attounsi », Fahem Boukaddous, n’a-t-il pas été contraint à vivre dans la clandestinité depuis juillet dernier et n’a-t-il pas été condamné, par contumace, à six ans de prison ferme suite au procès des dirigeants du mouvement, procès jugé inéquitable par les observateurs internationaux ?

Son seul crime, était d’avoir informé l’opinion publique de ce qui se passait dans la région du bassin minier et d’avoir diffusé des images montrant l’ampleur du mouvement et la sauvagerie avec laquelle le pouvoir lui a fait face!

Mahmoud Raddadi, simple photographe, ayant spontanément filmé ces évènements, a été, quant à lui, arrêté et condamné à 3 ans de prison ferme dans ce procès, après avoir subi toutes sortes d’humiliations et de sévices sexuels.

Les médias français, et plus particulièrement les chaines de télévision, à quelques exceptions près, ont quasiment ignoré ce mouvement, préférant insister sur des faits divers. Mais, dira-t-on, que représente Gafsa pour les Français pour que les medias lui accorde une certaine importance ? Il serait alors intéressant de leur rappeler que pendant des décennies, leurs grands pères ont exploité le phosphate de ce bassin minier et que si les populations de la région sont aujourd’hui pauvres, c’est en partie la responsabilité de la France!

D’un autre côté, ne peut-on pas dire que les medias français ont le devoir d’informer les français sur la politique dictatoriale de Ben Ali que leurs présidents n’ont cessée de soutenir?

En effet, malgré les rapports des organisations de défense des droits humains, tous accablants pour le régime tunisien, Chirac et Sarkozy, notamment, ont, plus d’une fois, fait l’éloge de leur ami dictateur.

Les Tunisiens ne sont pas près d’oublier la fameuse déclaration de Chirac sur le ‘’miracle’’ tunisien ou celle où il énumérait les droits les plus élémentaires, garantis selon lui en Tunisie et dont on peut se contenter: le droit de manger, le droit d’avoir un logis, le droit d’aller à l’école.

Si Chirac voulait ainsi dire que les droits politiques étaient un luxe en Tunisie, Son successeur, Sarkozy, lui, a fait un pas en avant, en déclarant que des progrès remarquables en matière de respect des droits et des libertés en Tunisie étaient un fait. Quoi de plus encourageant pour un dictateur?

Radhia Nasraoui est avocate tunisienne et présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie.

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La rédaction de Grotius International.

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