« Turquoise », la controverse en bande-dessinée

0
148

Couverture de la bande dessinée TurquoiseBien loin d’être un pamphlet, la bande-dessinée proposée par Frédéric Debomy et Olivier Bramanti se contente d’opposer la réalité du génocide rwandais aux discours tenus en 1994 par les autorités et la télévision françaises.

Ce n’est pas la première bande-dessinée qui ose se pencher sur le génocide rwandais. Déogratias du belge Jean-Philippe Stassen ou la série Rwanda 1994 de Masioni, Grenier et Raph s’y étaient déjà essayé. Comme pour les chercheurs ou les journalistes, chacun a sensibilité. Certains sont interpellés par le génocide lui-même. D’autres, par l’implication française aux côtés des responsables de l’ancien régime rwandais.

Le scénariste de bande-dessinée, Frédéric Debomy, s’est lui concentré sur l’opération Turquoise et sur ce qu’en disaient les médias français à l’époque et en particulier la télévision. Il a entrepris des recherches à l’Institut National de l’Audiovisuel, s’est intéressé au contexte. Et il en tire aujourd’hui un ouvrage « Turquoise » publié aux cahiers dessinés. Ses textes sont illustrés par les dessins d’Olivier Bramanti, très sobres et toujours dans l’évocation. Frédéric Debomy insiste, c’est bel et bien une bande-dessinée, même si son éditeur ne le considère pas comme tel ou qu’il échappe aux traditionnels règles du genre.

On y suit d’abord une jeune Tutsie. Épargnée par un militaire rwandais pour une raison inconnue du lecteur et qui n’a finalement que peu d’importance, elle devient un témoin privilégié de cette période tragique de l’histoire du pays. Elle sera la seule rescapée de sa colline. C’est à travers ses yeux qu’on découvre les tueries.

Les génocidaires lui parlent très ouvertement, comme si elle ne devait pas survivre. Hommes comme femmes lui expliquent leurs motivations. Au moment du déploiement de l’opération Turquoise, en juin 1994, elle se retrouve sur les routes, dans le grand exode vers le Zaire, les populations hutues fuyant devant l’avancée des rebelles du FPR, le Front Patriotique Rwandais dirigé par Paul Kagamé, aujourd’hui président du Rwanda. C’est un autre page du récit qui s’ouvre. On part du point de vue de la narratrice. Les journalistes peu nombreux jusque-là arrivent au Rwanda à la faveur du déploiement français. Les images se font plus précises, rappelant de la télévision. Et pourtant, un seul dessin est calqué sur une image ayant été réellement diffusée. Le changement de ton est abrupt. La réalité décrite aussi. Le pays des droits de l’homme est le seul à se porter au secours d’une population en situation de guerre civile qui vit une catastrophe humanitaire. Reportages. Discours des officiels français. Et des questions, beaucoup de questions.

Le caractère tardif de l’intervention, ses motivations réelles, la manière dont le génocide était présenté aux soldats de l’opération Turquoise… Sans grande révélation pour ceux qui connaissent la période, la juxtaposition du texte et des dessins n’en demeure pas moins édifiant.

Sonia Rolley

Sonia Rolley

Sonia Rolley est journaliste indépendante, auteure de «Retour du Tchad – Carnet d’une correspondante» chez Actes Sud (2010).

Sonia Rolley

Derniers articles parSonia Rolley (voir tous)