Union africaine : une justice continentale en construction

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Dans l’attente d’une cour pénale, la Cour africaine des peuples et des droits de l’homme d’Arusha en Tanzanie reste l’unique juridiction suprême à l’échelle du continent, où des solutions exceptionnelles ont parfois été trouvées pour rendre la justice.  

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Les dirigeants politiques du continent sont nombreux à fustiger la Cour pénale internationale, que certains n’hésitent pas à qualifier de « cour des Africains » en raison de la nature des dossiers jugés à La Haye. Alors que le mécontentement monte, l’Union africaine (UA) prend, elle, le taureau par les cornes : l’année 2012 a vu des avancées significatives vers la naissance d’une cour pénale africaine, même si beaucoup reste encore à faire. En juillet 2012, une proposition a ainsi été faite durant le sommet de l’Union africaine : celle de fusionner la Cour africaine des peuples et des droits de l’homme – qui siège à Arusha en Tanzanie depuis 2006 – avec la Cour de justice de l’UA. Trois sections verraient le jour : affaires générales, droits de l’homme et droit pénal international afin d’en faire une juridiction apte à juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, et les génocides. Mais une telle décision, et surtout ce qu’elle implique en termes de coûts et d’équipes, ne se prend pas à la légère et l’Union africaine, si elle a pondu un protocole, a préféré repousser toute planification concrète, à 2013, sans en dire beaucoup plus.
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Selon le Sud-Africain Allan Wallis, un avocat de Johannesburg, spécialiste des questions de droit international, la promesse d’une telle cour reste plutôt complexe à tenir pour l’UA. « Le problème, disait-il en 2012 à l’agence de presse Irin, c’est que la création d’une telle institution peut prendre plusieurs années. » Des vœux aux actes, il s’est en effet écoulé une décennie dans le cas de la Cour des peuples et des droits de l’homme d’Arusha qui n’a démarré officiellement ses travaux qu’en 2008, soit 10 ans après le protocole de lancement de 1998.

« Techniquement, poursuit M. Wallis, la cour pourrait encourager la “recherche du forum le plus favorable” en offrant le choix entre une cour pénale africaine et la CPI. » Autrement dit, l’accusé pourrait choisir la cour la plus clémente à ses yeux. M. Wallis n’omettant pas au passage les délais de jugement, pouvant durer plusieurs années. Les coûts, eux, ne pourraient pas totalement être supportés par l’UA, selon un meeting de mai 2012 réunissant les ministres de la Justice de plusieurs Etats du continent, relançant la question de la faisabilité de la cour pénale. Sans oublier que certains pays pourraient aussi ne pas verser de subventions…

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Quoiqu’il en soit, même si cette cour voit le jour, il faudra que les pays africains ratifient les accords, et ces démarches représentent bien ce qui pourrait freiner l’efficience de cette juridiction. Si le Statut de Rome a été validé par 33 Etats africains – qui peuvent donc saisir la CPI -, ce n’est pas le cas de la Cour africaine des peuples et des droits de l’homme d’Arusha, dirigée par la Ghanéenne Justice Sophia Akuffo depuis septembre 2012. En effet, près de 10 ans après la création officielle de la cour, à peine la moitié des Etats africains (26 sur 54) ont ratifié le protocole. Un protocole qui stipule par ailleurs que les Etats doivent par la suite publier une déclaration, dans laquelle ils s’engagent à ce que leurs citoyens puissent, le cas échéant, saisir la cour. Et c’est là que le bât blesse, puisque depuis 2004, sur 26 ratifications, seulement 6 ont été jusqu’à la déclaration : le Burkina Faso, le Mali, le Ghana, le Malawi, le Rwanda et la Tanzanie. Un nombre bien petit pour donner du poids et de l’influence à la cour.

Le travail de la juridiction se partage entre 11 juges originaires des pays du continent. Ils se divisent les dossiers en fonction de leur origine géographique. Depuis 2008, une vingtaine de requêtes ont atterri sur la table des juges : la moitié a été finalisée, le reste est en attente. Mais pour la présidente, Mme Akuffo, la cour souffre cruellement de visibilité et de notoriété. Son prédécesseur, le Burundais Gérard Niyungeko, en appelait déjà au Parlement panafricain afin de pousser les Etats à ratifier le protocole de 1998. C’est dans le but d’accroitre le champ d’action de la cour que plusieurs magistrats visitent aussi les pays n’ayant pas encore daigné ratifier quoique ce soit ou officialiser leur déclaration.

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La force de la Cour d’Arusha, c’est surtout de pouvoir juger au-delà des individus et organisations des pays qui lui ont accordé leur confiance. Son mandat l’ autorise, en effet, à traiter les dossiers qui lui sont transmis par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples de Banjul en Gambie. Sur le site Internet de la Cour d’Arusha, l’ensemble des plaignants sont recensés et ils viennent de nombreux pays : Sénégal, Congo, Maroc, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Algérie, Libye, ou encore Soudan. A ce titre, la coopération fonctionne plutôt bien. L’UA cherche d’ailleurs à renforcer la collaboration entre les deux institutions. En 2012, à Alger, lors de la première édition de la rencontre entre la commission et la cour, des accords ont été passés pour faire progresser les droits humains sur le continent.

Allié précieux de la Cour d’Arusha, la Commission de Banjul existe depuis 1987. L’article 45 de l’UA lui a défini trois champs d’action : la promotion des droits de l’homme et des peuples, la défense des droits et l’interprétation de la charte africaine des droits de l’homme. Composée de 11 membres élus pour 6 ans renouvelables, la commission travaille sur l’ensemble du continent mais avec un principe : les commissaires ne s’occupent pas de leur pays d’origine. Ainsi, la présidente, la Nigériane Catherine Dupe Atoki, couvre l’Egypte, le Soudan, la Gambie, l’Ethiopie et le Libéria tout en étant la responsable du comité travaillant sur la prévention de la torture en Afrique. La Commission sert aussi de conseil pour les organisations non gouvernementales en les poussant ou non à saisir la Cour d’Arusha en cas, notamment, de violations de la charte. Le Mouvement burkinabé des droits de l’homme ou les syndicats d’enseignants du Gabon ont ainsi été orientés vers Arusha où leur cas ont pu être jugé en 2011.

L’absence d’une cour pénale africaine peut aussi déboucher sur des situations où l’Union africaine et les Nations unies ont fait preuve de compromis pour arriver à juger les crimes sur le continent. L’exemple le plus pertinent d’une justice en Afrique reste sûrement celui du Rwanda, à travers le Tribunal pénal international (TPIR) d’Arusha chargé de juger les génocidaires hutus responsables de la mort d’au moins 800 000 personnes, parmi les tutsis et hutus modérés, entre avril et juillet 1994. Outre le Rwanda, le cas de la Sierra Leone est aussi révélateur que le succès est au rendez-vous si la volonté existe. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, à la différence de celui pour le Rwanda, a été installé dans le pays même où avaient été commis les délits. Il visait à juger l’ancien président du Libéria Charles Taylor, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Sierra Leone et condamné en 2012 à 50 ans de prison.
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Le cas du Tchadien Hissène Habré en est un autre. L’ancien dictateur – qui a régné de juin 1982 à décembre 1990 – était soupçonné de crimes contre l’humanité et de tortures sur son peuple. Réfugié au Sénégal depuis 1990, à Dakar, espérant échapper à la justice, la tenue de son procès s’était toujours confrontée aux imbroglios administratifs et juridiques. Mais l’année 2012 amarqué un tournant. En effet, fin août, un accord a pu être trouvé entre l’UA et le Sénégal pour constituer des chambres spéciales afin de le juger : le tribunal a été inauguré en février dernier au Sénégal. Du côté de l’Association des victimes d’Habré, c’est le soulagement. « J’ai attendu ce jour pendant 22 ans. Je veux voir Habré comparaître devant la justice avant que d’autres victimes ne meurent », témoignait Souleymane Guengueng, le président de l’Association en février dernier. Sept millions d’euros ont été nécessaires à la création du tribunal : le Tchad et l’UA y ont contribué pour plus de la moitié. La possibilité de juger Habré ouvre de nouvelles perspectives pour les victimes d’autres criminels. Elles peuvent d’une certaine façon retrouver confiance en la justice sur le continent.
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Et la justice africaine face aux crises humanitaires ?

En cas de catastrophe humanitaire de grande ampleur, l’UA peut faire jouer son Conseil de paix et de sécurité, créé en 2003, qui décide de la légitimité d’intervenir. Composé d’une quinzaine de membres, désignés pour deux ou trois ans, il faut les accords des deux tiers des votants pour une intervention. Une force de maintien de la paix peut vite être dépêchée avec l’aide de plusieurs armées continentales, s’il le faut. Une cellule de veille permanente existe au sein du Conseil de sécurité et de paix.

Dans ces crises, surtout pour les plus graves d’entre elles, se pose la question de la justice. Les responsables échappent encore trop souvent à leur procès, faute d’une grande cour pénale africaine. La CPI, même si elle est parfois critiquée, ne peut pas tout. La Cour d’Arusha, elle, n’a pas tous les mandats pour juger et elle n’est de plus pas habilitée à se rendre dans tous les pays, faute de voir ratifier son protocole. Certaines des pires crises humanitaires, comme celles récurrentes dans le Kivu, risquent encore de ne pas voir leurs éléments déclencheurs devant la justice.
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Arnaud Bébien

Arnaud Bébien

Arnaud Bébien est journaliste (Tanzanie)