« Agir à tout prix ? Négociations humanitaires : l’expérience de Médecins Sans Frontières »

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A l’occasion de son quarantième anniversaire, MSF dévoile son expérience des négociations humanitaires dans le livre « Agir à tout prix ? » qui s’inscrit dans la continuité de la réflexion initiée par l’association en 1992 avec la série d’ouvrages « Populations en danger ». Retraçant l’évolution de ses ambitions, des obstacles auxquels elle s’est heurtée et des manœuvres politiques ayant permis (ou non) de les surmonter, ce livre entend contribuer au débat sur les pratiques et les objectifs de l’action humanitaire contemporaine.

Assassinats, enlèvements, expulsions, restrictions, voire interdictions de mouvement, silence imposé : voilà quelques-uns des obstacles que rencontrent les ONG qui tentent de venir au secours de populations affectées par la guerre, les épidémies ou les catastrophes naturelles.

Ces événements sont-ils en augmentation, traduisant un rétrécissement de « l’espace humanitaire » ? C’est ce qu’affirment de nombreux acteurs de l’aide depuis le début des années 2000. La confusion entre militaires et humanitaires, accentuée par le regain d’interventionnisme militaire occidental post-11 septembre, s’accompagnerait d’une réaffirmation de souveraineté des Etats postcoloniaux et d’un discrédit des organismes d’aide.

Dans le livre Agir à tout prix ?, Médecins Sans Frontières propose une autre lecture des difficultés rencontrées par les acteurs humanitaires : contrairement au discours victimaire déplorant un « rétrécissement de l’espace », exonérant ainsi les acteurs de secours de toute responsabilité dans la conquête et la défense de leur espace de travail, cet ouvrage démontre qu’il n’y pas de périmètre d’action légitime de l’action humanitaire, valable en tous temps et en tous lieux, dont la reconnaissance irait de soi une fois le brouillard de la confusion militaro-humanitaire dissipé et les humanitaires protégés de toute contamination politique. Il existe en revanche un espace de négociations, de rapports de forces et d’intérêts entre acteurs de l’aide et autorités.

La récupération de l’aide, dénoncée par de nombreux praticiens et observateurs de l’action humanitaire n’est donc pas un détournement de sa vocation, mais bien la condition première de son existence. Loin d’être le produit d’une virginité politique de façade ou de l’autorité juridico-morale prêtée aux normes humanitaires, la marge de manœuvre des organismes d’aide se négocie. Elle dépend de leur capacité à se rendre utiles, à repérer les alliances tactiques avec toute forme de pouvoir – gouvernement, armée, combattants, groupes d’intérêts, institutions – susceptible d’encourager leur action.

Comment s’assurer que les négociations dans lesquelles MSF s’engage débouchent sur un accord acceptable à ses yeux ? Telle est la question centrale de ce livre qui propose une lecture critique des expériences de négociation de l’association. Les auteurs, qui dans leur grande majorité, ont été des acteurs directs des interventions menées par MSF se sont appuyés sur les archives de l’association, des entretiens, et leur propre expérience pour mener cette exploration.

La première partie du livre est consacrée à une douzaine de récits appartenant à l’histoire récente de l’association, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Yémen, en Ethiopie, au Nigéria, en Somalie, au Pakistan, en Afrique du Sud, en Birmanie, en Inde, en Palestine et en France. Elle montre ce que produit la rencontre entre les intérêts tantôt divergents, tantôt convergents de MSF et de ses interlocuteurs – un mouvement politico-militaire utilisant l’aide humanitaire pour construire sa légitimité locale et internationale, des Etats cherchant à isoler ou à renforcer un régime, des militaires refusant toute distinction entre combattants et non-combattants, des autorités plus préoccupées des conséquences politiques d’une épidémie que de son impact sur la santé, ou encore des mouvements d’activistes défendant un projet de réforme de leur société.

Les auteurs des chapitres de la deuxième partie du livre éclairent l’évolution des choix de MSF au contact de ses expériences mais aussi des idéologies associées à quarante années d’histoire de guerres, de santé publique, et de catastrophes naturelles.

Cet aperçu de l’histoire longue et contemporaine de l’association, met en évidence les conditions d’une autonomie politique pour un acteur humanitaire comme MSF : être en mesure de choisir ses alliances en fonction de ses objectifs, sans lien d’allégeance ni souci de loyauté. En ce sens, MSF est un partenaire instable et infidèle. Sa labilité se justifie par la nécessité de repérer l’ouverture d’espaces politiques qui lui sont favorables, c’est-à-dire des moments où elle peut espérer contribuer à diminuer le nombre de morts et l’intensité des souffrances. Cet impératif d’efficacité médicale doit s’accompagner d’une volonté de peser de tout son poids, matériel ou symbolique, afin de dialoguer librement avec la population, de contrôler la chaîne de secours et de réévaluer la situation en cours de route. Dans toutes les situations, il s’agit d’être en mesure de savoir à quelle politique l’association participe et de se tenir à distance de la limite, floue mais bien réelle, au-delà de laquelle l’aide aux victimes se transforme insensiblement en soutien à leurs oppresseurs.

« Agir à tout prix ? Négociations humanitaires : l’expérience de Médecins Sans Frontières» sous la direction de Claire Magone, Michaël Neuman, Fabrice Weissman.

 

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La rédaction de Grotius International.

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