« Le 20ème siècle était le siècle de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le 21ème siècle doit être celui du respect des droits de l’homme. » Ramon Mullerat, Président d’ISLP-Europe.
Le soutient du public aux activités de la Cour Pénale Internationale est plus important que jamais. Sans une prise de conscience dynamique et un soutien au niveau mondial, la Cour Pénale Internationale ne saurait être en mesure de devenir cette force mouvante destinée à éradiquer l’impunité des crimes les plus graves que sont les crimes de guerre, le crime d’agression, les crimes contre l’humanité et le génocide.
Le mandat de la CPI est de poursuivre en justice les plus hauts responsables de ces crimes, quels que soient leur rang ou position, ayant ainsi pour but de mettre fin à la culture de l’impunité au sein des pouvoirs politiques et militaires et à leur commission invétérée d’atrocités contre les populations civiles, et ce afin de gagner ou se maintenir au pouvoir. Comme l’Histoire l’a déjà démontré, des textes de lois et une institution officielle ne suffiront pas à promouvoir une telle évolution sociale; l’Humanité toute entière se doit de lui fournir le soutien nécessaire à son succès.
La Cour Pénale Internationale se trouve actuellement à un carrefour: soit elle saura passer outre les lenteurs bureaucratiques et les pressions politiques afin d’émerger en une institution non seulement permanente mais aussi crédible et d’influence, soit elle échouera. La question de confiance est posée. Vu le niveau de complexité des enquêtes engagées par la Cour, et sachant que 14 mandats d’arrêt ont déjà été lancés contre des personnes suspectées d’avoir commis les crimes les plus graves, et que 5 d’entre elles sont déjà détenues à La Haye, la tâche n’est pas des moindre.
L’arrestation de trois suspects par la Police Nationale Congolaise en RDC, celle de Jean-Pierre Bemba par les autorités belges à Bruxelles et celle de Callixte Mbarushimana par la police française à Paris sont d’excellents exemples de coopération des Etats parties avec la Cour. Les personnes contre lesquelles des mandats d’arrêt ont été lancés par la CPI doivent maintenant être vigilantes quand elles voyagent, et les pays acceptant de les accueillir se mettent en porte-à-faux vis-à-vis de leurs obligations internationales, comme cela a été le cas du Kenya cette année après la visite très médiatisée et critiquée du président soudanais Omar Hassan al Bashir.
Mais il y a aussi des défis. Le premier procès en cours devant la CPI, celui de Thomas Lubanga Dyilo, accusé d’avoir recruté, formé et utilisé des enfants en tant que soldats, s’achèvera en principe cette année. Pendant les 21 mois, entrecoupés d’ajournements, qu’a duré ce procès, la Chambre d’Appel de la Cour a, à deux reprises, renversé les décisions de la Chambre de Première Instance selon lesquelles le procès devait être interrompu et l’accusé libéré pour des raisons qui, rétrospectivement en viendront peut-être à être considérées comme les leçons d’un apprentissage juridique et procédurier complexe et laborieux pour chacune des parties.
Le procès d’un des anciens vice-présidents de la République Démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, qui est accusé d’avoir mené ses troupes en République Centre-Africaine où elles auraient commis des violences sexuelles en masse, telles que viols et esclavage sexuel, a déjà été reporté quatre fois en un an. Le procès a démarré le 22 Novembre passé, soit 30 mois après l’arrestation de Jean Pierre Bemba.
Pour ne noter que deux des défis logistiques qui pourraient encore interrompre le travail de cette Chambre, on attend près de 850 candidatures de participation des victimes dans ce procès et la plupart des témoins témoigneront en Sango, une langue qui ne fait pas partie des langues officielles de la Cour. Les mandats d’arrêt émis par la Cour contre Omar Hassan Ahmad al Bashir (les 4 mars 2009 et 12 juillet 2010) ont été largement bafoués et parfois défiés ouvertement par des Etats parties qui ont signés le Statut de Rome et qui ont donc l’obligation juridique de fournir une assistance à la Cour en matière d’arrestations. Il est alarmant de voir que ce qui se passe à la CPI ne fait pas la une du JT, et que très peu de gens parmi le public se demandent «Pourquoi? Comment puis-je aider? Que peut-on faire pour faire progresser les choses?». Grave est le risque que la CPI devienne une énième institution internationale qui ne dispose pas de moyens effectifs pour réaliser son mandat; c’est pourquoi l’humanité entière doit lui fournir tout son soutien aujourd’hui, et non demain.
On pourrait se demander pourquoi la participation active du public constitue un élément si nécessaire et même essentiel au succès de la CPI. Le débat a commencé avec le Statut de Rome, qui est le document fondateur donnant à la CPI toute sa légitimité, signé par 114 Etats parties désormais membres de la Cour. Le Préambule du Statut de Rome stipule que les signataires sont «Déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes»(1).
L’effet de dissuasion et la mise à mort de l’impunité exigent que les consciences sociales changent de manière drastique, ce qui ne sera possible que si, d’une part, les citoyens affectés en premier chef par de tels crimes, soit parce qu’ils en sont les victimes, soit parce qu’ils en sont les auteurs, comprennent le travail de la Cour, reconnaissent son impact sur leurs vies, et respectent la force de chose jugée ; et, d’autre part, les Etats parties se doivent d’accompagner leurs signatures de pouvoirs effectifs et de soutenir la Cour dans son mandat en arrêtant les suspects et en sanctionnant les Etats parties qui violeraient les dispositions du droit pénal international.
Le Statut de Rome stipule aussi que «la Cour Pénale Internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales »(2). Dans le même ordre d’idées, pour que les juridictions pénales nationales soient efficaces et aient une compétence matérielle distincte de celle de la Cour Pénale Internationale, les justiciables de ces juridictions nationales doivent être bien au fait de leur mandat, y adhérer, et pouvoir recourir à ces lois et ces institutions juridiques si nécessaire.
De plus, ces institutions nationales doivent se sentir partir intégrante de la communauté internationale afin de pouvoir s’adapter et évoluer au gré des observations, et parfois des critiques, de cette communauté lorsque ces institutions ne font pas respecter les lois et autres obligations internationales auxquelles elles ont adhéré. La prise de conscience mondiale de la règle de droit, aux niveaux national et international, exigera bien plus que la signature d’un traité, du personnel à la Cour, et la dissémination traditionnelle de l’information par la CPI au public.
Cette prise de conscience mondiale a déjà été considérée comme une priorité par grand nombre d’experts qui y ont trouvé un créneau et se sont spécialisés dans le principe de ‘complémentarité positive’, les formations sur le terrain, la participation des victimes, ou l’adhésion de plus en plus d’Etats parties.
Chacun d’entre eux défend ses perspectives dans le but commun de faire de la Cour un succès. Il y a en fait un nombre impressionnant de spécialistes défenseurs de la CPI, et ces personnes ou ONG sont essentielles à la création et au fonctionnement de la Cour. Le personnel très diversifié de la Cour a fait d’énormes progrès depuis ses débuts, en dépit d’obstacles et de ses faiblesses inhérentes, et ce afin de mettre en place un système de protection des droits de l’accusé, de l’indépendance du procureur, du principe innovateur et unique de participation des victimes aux procédures pénales internationales, et de l’intégrité de ces procédures devant la Cour.
Cependant, ce qui a fait défaut au cours des années est le manque d’intérêt du grand public et de soutien pour la Cour. Cela a permis aux Etats parties de passer outre certains choix politiques difficiles qui doivent pourtant être fait pour que la Cour remplisse son mandat.
Le manque d’intérêt de la part du public a donc laissé la Cour s’embourber dans une mélasse bureaucratique interne, qui a non seulement ralenti mais aussi compliqué les procédures. Cette absence, remarquée dans les pays riches et politiquement stables, a aussi découragé le partenariat qui aurait pu se créer naturellement entre la société civile et les groupes de victimes, les défenseurs des droits de l’homme et les juristes travaillant dans les zones où la CPI opère. Il est indéniable que l’enthousiasme, la participation et l’expertise des ONG internationales, des médias et des universitaires forment les pièces essentielles dont ont besoin les pays dont le système judiciaire national et la société civile ont été détruits par la guerre et la pauvreté et où la coopération, le soutien et des formations dispensées par leurs homologues internationaux sont indispensables à leur reconstruction. L’intérêt, le soutien, et les apports que peut faire le grand public à travers les médias, les politiques, les ONG, et les universitaires sont aussi indispensables à la CPI elle-même.
Le personnel de la CPI doit prendre conscience qu’il dispose d’un réseau mondial composé à la fois des critiques les plus fervents et des supporters les plus invétérés de la Cour, et qui n’acceptera pas moins que ce que le mandat de la Cour promet. Ce réseau est là pour donner son soutien, son énergie et son expertise afin de permettre à la Cour de réaliser son mandat exceptionnel.
La Cour a la tâche herculéenne de devoir mettre fin à l’impunité (en poursuivant un petit nombre de suspects parmi les plus hauts responsables des crimes les plus graves, ce qui incitera à promouvoir une conscience sociale contre l’impunité), une tâche qu’aucune autre institution n’a jamais rêvé d’inscrire à son mandat. La Cour ne peut donc pas fonctionner en autarcie et être efficace; bien au contraire. En effet, elle opère dans les zones du monde les plus difficiles, au coeur de conflits armés parfois longs qui ont détruit toute infrastructure et toute trace d’une société civile quelconque. La Cour dépend donc étroitement du soutien et de la collaboration de ses états membres ainsi que de la confiance et de la collaboration des communautés au sein desquelles elle mène ses enquêtes. Sans le soutient du grand public, la Cour ne dispose que des Etats parties et des populations au sein desquelles se déroulent les enquêtes, et avec qui elle doit tisser des liens.
La real politik d’un côté, et de l’autre l’impunité totale régnant au sein de communautés capables de s’entretuer en commettant les pires crimes, s’élèvent tels deux piliers inébranlables, et contre lesquels aucune institution, quelque soit sa mission et l’enthousiasme de son personnel, ne pourra faire front seule.
Dans la pratique, l’implication du public signifie développer un certain intérêt et incorporer notre foi en la justice internationale dans nos vies professionnelles et personnelles. Nous devons suivre les activités de la Cour (3) et lorsque quelque chose ne fonctionne pas nous devons oser soulever la question publiquement. Nous pouvons participer aux nombreux projets et publications dont le but est de rendre la CPI plus accessible au public (4), et ainsi galvaniser leurs activités avec des perspectives fraîches et des apports nouveaux. Enseigner les droits de l’homme et le droit international dans les écoles et les universités, écrire des chansons sur ces thèmes et produire des films sur les régions où la CPI mène ses enquêtes sont tout autant de moyens créatifs et puissants qui renforcent l’impact de la CPI (5).
Chaque lettre envoyée à la Cour est un témoignage de l’intérêt du public. Chaque programme radio, débat, article de presse ou spot télévisé donnent au personnel de la Cour la conviction qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils disposent d’une communauté dont ils peuvent tirer de l’énergie, et qu’ils ont aussi quelque chose de concret à présenter aux Etats parties, ou aux Nations Unies, afin de solliciter un renfort et des actions de leur part. Aussi, à chaque fois que l’attention du grand public est sur la Cour, il est rappelé aux Etats parties qu’ils ont créé une institution publique qui est redevable devant l’opinion publique. L’implication du public génère une dynamique de progrès qui, à son tour, encourage l’excellence et la transparence, l’analyse critique et un soutient constructif. Tout cela est possible pour la Cour Pénale Internationale. Si la CPI n’exploite pas ce potentiel, il en résultera non pas un échec institutionnel mais un échec du public. Et ce n’est ni l’institution elle-même, ni la petite communauté de juristes qui la suit, mais l’Humanité toute entière qui en pâtira.
(Texte traduit de l’anglais par Sandrine Gaillot)
(1) Préambule du Statut de Rome
(2) Préambule du Statut de Rome
(3) Le site de la Cour Pénale Internationale met à disposition les liens URL nécessaires pour assister aux procès en direct, ainsi que pour suivre les conférences de presses. www.icc-cpi.int .
(4) www.cicc.org; www.ijcentral.org; www.rnw.nl/international-justice; www.lubanga.aegistrust.org; www.lubangatrial.org et www.irfj.org en sont des exemples.
(5) Voir par exemple Blood Coltan http://topdocumentaryfilms/blood-coltan/; The Reckoning http://skylightpictures.com/films/the_reckoning/ et The Greatest Silence http://thegreatestsilence.org
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