Au Honduras : le « Jeu du pays à risque »…

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Carte du HondurasDe notre envoyé spécial au Honduras… Juin 2009: pour la première fois depuis les années soixante dix en Amérique latine, un coup d’Etat se déroule au Honduras.  Arrêté, le président légitime Zélaya est destitué, puis expulsé du pays, comme nombre d’opposants et d’intellectuels refusant de cautionner le nouveau pouvoir…

Pour les humanitaires et les nombreuses coopérations investies depuis longtemps dans ce petit pays sous perfusion internationale, le coup est rude. Comment faire pour passer outre les antagonismes politiques et continuer à apporter une aide durable au développement dans un pays politiquement instable, et depuis longtemps gangréné par la violence, la corruption et le narcotrafic ?

Dos Rios : une petite commune de 5000 habitants perdue au fond de l’Olancho, une des régions les plus pauvres du Honduras. Comme son nom l’indique, Dos Rios est parcouru par deux rivières, qui chaque année, menacent de déborder et de quitter leur lit. Depuis une dizaine d’années, les effets du dérèglement climatique se font ressentir de façon dramatique. «Avant, il y avait quatre saisons, ici, témoigne Ramon Antonio, le président du Comité chargé de la prévention des risques du village. Aujourd’hui il n’y en a plus que deux, dont celle des pluies, plus courte et plus violente que dans le passé, suivie d’une longue période sèche». Un phénomène qui était encore jusqu’à il y a quelques années aggravé par la fragilisation des sols liée à la pratique traditionnelle de la culture sur brûlis. D’où des inondations fréquentes et des pertes considérables en récoltes et en matériel.

C’est pourquoi les habitants de Dos Rios, comme de nombreuses autres communes dépendant de San Sebastian, ont décidé de réagir et de s’intégrer dans un vaste programme de prévention des risques et de reforestation de leur zone, initié par les Croix-Rouge Suisse et Hondurienne. Cartographie des zones inondables et plans d’évacuation en cas de montée des eaux, plantation de nouveaux arbres pour consolider les sols, centres de santé : les techniques sont simples à mettre en place, participatives (les informations données par les familles servent par exemple à l’amélioration de l’identification des zones à risques), et redoutablement efficaces. «Très rapidement, nous avons eu d’excellents résultats, confirme Ramon Antonio. Les dégâts sont désormais moins importants lorsqu’il y a une montée des eaux».

Cartographie des risques . ® Gaël Grilhot

Néanmoins, si tout ou presque repose sur l’implication des communautés villageoises, ainsi que de l’investissement des ONG et des différentes structures d’aide au développement, la mise en place de tels projets nécessite tout de même l’accord, et même la participation de certains services de l’Etat, comme le secrétariat à la Santé ou le ministère de l’Education nationale. Ainsi des cours de sensibilisation des enfants à l’écosystème et à la reforestation sont administrés depuis quelques années dans les écoles de la région, et du matériel de sensibilisation devrait être distribué cette année dont un intéressant jeu de l’oie géant intitulé le «Jeu du pays du risque». Mais au Honduras, les risques ne dépendent pas seulement des caprices récurrents de la météo, et le pays a bien du mal à se remettre d’une autre tempête, politique celle là qui a secoué le pays en 2009, et a failli remettre en cause la continuité de ces projets de développement.

Pesanteurs politiques et corruption…

«Durant la crise politique de l’année passée, explique Rudi Van Planta, Directeur permanent adjoint de la Coopération Suisse en Amérique centrale (…) nous avons décidé de continuer sur tous les projets en cours tout en maintenant un dialogue permanent avec les autorités.» Le diplomate se veut désormais rassurant, et selon lui la situation est maintenant «pratiquement normalisée, depuis l’élection du nouveau président en janvier 2010». Son compatriote Claudio Stauffer,  coordinateur de la Croix-Rouge Suisse, est un peu plus nuancé. Selon lui, «la polarisation politique du pays est encore un frein à la bonne mise en oeuvre de ce programme». Et parmi les nombreux antagonismes qui demeurent, «il y a notamment encore une grande méfiance des municipalités, vis-à-vis du pouvoir central», explique-t-il.

A Dos Rios, cette défiance est palpable. Les communes et municipalités, qui s’organisent traditionnellement en structures communautaires pour prendre les décisions les concernant, craignent une mainmise plus importante de l’Etat. Selon un des représentants des municipalités de San Sebastian, «il y a bien un Plan national de gestion des risques, explique-t-il, et des lois ont été adoptées pour limiter la déforestation, mais il n’y a pas de concertation avec les municipalités (et) nous craignons pour notre autonomie», précise-t-il avec discrétion. Prenant exemple sur un projet barrage hydroélectrique, il évoque ainsi des prises de décision centralisées, qui nuisent aux populations locales. La corruption jouant selon lui un rôle important.

L’Etat hondurien, sous la pression internationale, et ne pouvant juguler l’exode rural important lié aux catastrophes climatiques, a certes pris des mesures législatives allant dans le sens des programmes en cours. Mais au Honduras, c’est bien souvent la loi du plus fort qui domine, et ce ne sont pas les quelques projets expérimentaux – fussent-ils de plus en plus nombreux – qui stopperont la volonté d’extension des terres cultivables. Bien au contraire, les défenseurs de la reforestation font toujours les frais de ces appétits fonciers (assassinats, harcèlements, menaces…).

Mais Claudio Stauffer en est persuadé, cette méthode est la meilleure pour préserver les petites structures paysannes honduriennes et éviter l’exode rural. Et selon lui, si il ne faut pas rompre tous les liens avec le gouvernement central, «il est plus que nécessaire de privilégier la coopération avec les communautés de villageois et les municipalités.» Sûrement la façon la plus simple d’arriver un jour sur la case «Arrivée» du Jeu du pays du risque.

Gaël Grilhot, envoyé spécial.


Colonia San Francisco : la Croix-Rouge en première ligne

Financièrement, le Honduras ne peut pas faire grand chose pour juguler les conséquences de l’exode rural. Là encore, des communautés s’organisent néanmoins, faisant appel aux grosses ONG internationales et à l’argent de l’aide au développement, pour tenter de maintenir un semblant de vie sociale dans des quartiers où la violence est omniprésente.

Un véritable «coupe-gorge». C’est le premier mot qui vous vient à l’esprit, lorsque vous entrez dans cette zone densément peuplée de la périphérie de Tegucigalpa. Routes en terre, petits immeubles et habitations hérissées de barbelés, regards défiants : la Colonia San Francisco est un endroit peu recommandable, surtout la nuit, où il y a fréquemment des règlements de compte. Ici, la pauvreté, l’alcool et la consommation de drogues entraînent un accroissement de la violence, surtout chez les jeunes. Une évolution inquiétante, dans un pays touché par le phénomène des maras, ces bandes de jeunes armés et violents qui imposent leur loi dans certaines zones du pays.

En 2008, des responsables des cinq communes qui composent la colonie ont décidé de mettre en place des structures de soutien, de prévention contre la violence juvénile, et des ateliers de formation. Ludothèques, centre antidrogue, écoute psychologique et même, salle de sport : toutes ces structures (la plupart du temps gérées par des femmes), occupent chacune un bâtiment, créant des formes de refuges dans le quartier pour échapper à un environnement hostile. «Beaucoup de jeunes adultes arrivent des campagnes en espérant trouver un emploi, explique Alex Diaz, un volontaire de la Croix-Rouge chargé de la santé dans l’un de ces centres, mais comme ils n’en trouvent pas, ils se tournent bien souvent vers la délinquance.»

L’exode rural et les mauvaises conditions d’installations provoquent naturellement des pathologies importantes. Eau non potable, violences domestiques, ou encore maladies liées à la dépression, comme le diabète, sont en effet des phénomènes courants contre lesquels il est difficile de lutter dans un tel environnement.

L’initiative récente n’a pour l’instant pas attiré d’hostilité de la part de la criminalité locale. «Le fait que cela vienne de structures communautaires crée une certaine forme de respect, explique l’un des responsables de la Croix- Rouge, qui soutient ce programme. Mais des interrogations se posent à terme sur certaines de ces installations récentes, comme le centre de prévention anti-drogue.»

150 familles sont pour le moment bénéficiaires de ce programme, c’est bien, mais c’est trop peu explique Marlène Jimenez, travailleur social qui s’occupe de la médiation au sein des familles «Dans le groupe qui fréquente les centres, la violence peut-être jugulée», explique-t-elle. «Mais dans le reste du quartier, elle perdure et même s’accentue», c’est pourquoi «le travail individualisé (le porte à porte, ndlr) est nécessaire, pour combattre la démotivation».

G.G

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

Gaël Grilhot

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