Dans la fureur de Port-au-Prince, il est des personnes qui redonnent espoir : elles délivrent tellement d’humanité et de positivité qu’on a envie de les croire, et de les suivre.
BelO en fait partie. Pourtant, en tant que chanteur très populaire, il pourrait s’être transformé en une « personne importante » avec ses signes ostentatoires de richesse et de pouvoir : 4X4, villa barricadée, lunettes de soleil ciglées et vestes cintrées. Mais non, BelO habite dans une maison simple, non loin de là où il a grandit, sans murs infranchissables rehaussés de barbelés agressifs, sans garde armé rébarbatif. Juste « Plouf » le chaton pour rompre la tranquillité des lieux, juste quelques notes de musique pour rappeler que la maison est celle d’artistes.
« On a besoin de plus d’ambassadeurs pour changer l’image d’Haïti »
BelO (surnom qu’on lui a toujours donné, pour Jean-Belony Murat) a 33 ans et se dit né artiste. C’est à 11 ans qu’il a su qu’il voulait être « chanteur professionnel ». Une vocation qui a inquiété sa mère, ce qu’on veut bien comprendre : la chanson, c’est beaucoup d’espoirs mais peu de réussite. C’est aussi un milieu plein de tentations néfastes telles que la drogue, la violence, etc.
Mais on n’enlève pas une idée à celui qui se sent « en mission » : celle de faire entendre sa voix par la musique. S’établit donc un pacte familial : si BelO termine ses études en comptabilité, il peut faire de la musique. Ce compromis permis au jeune homme, sous la garantie d’être studieux, de pouvoir se donner pleinement à son art : des cours de récré où il exerce sa voix jusqu’à l’élaboration de tout un corpus de chansons à travers maintes représentations publiques. Armé d’une guitare, d’un sacré sens du rythme des mots et d’une voix raggae soul, le jeune homme rencontre vite le succès. Il prépare son premier album de 1998 à 2005, avec les conseils et l’appui de collègues, tout en obtenant son diplôme de sciences comptables… Pari réussi : les études terminées, il peut maintenant s’épanouir sur son chemin d’artiste. D’autant plus que, alors que son album rencontre déjà un grand succès en Haïti où tout le monde danse sur « Jasmine », BelO gagne le prix RFI découvertes[1]. Propulsé sur la scène internationalle mais toujours très ancré en Haïti, il part alors jouer tout autour du monde, et s’impose comme une voix haïtiennes contemporaine.
« Des fois les gens venaient par pitié et, arrivés sur place, ils découvraient un artiste complet ».
Plutôt que de s’appesantir sur les plaies d’Haïti -« tout le monde les connait »-, BelO parle de ce qui va, émettant tout au plus des propositions. C’est d’ailleurs cette ligne de conduite qu’il a décidé de suivre après le séisme : présent en Guadeloupe quand la terre tremblait non loin, il a d’abord pensé rentrer dans son pays natal… puis s’est dit qu’il serait plus utile pour Haïti s’il témoignait pour elle. S’il chantait et récoltait des fonds. S’il montrait un autre visage de son île.
Il entame alors une série de concerts caritatifs et est accueilli dans de multiples pays, tout en sachant que, parfois, le public vient le voir par empathie pour les Haïtiens, voire même par pitié. Son but est de faire repartir ces mêmes personnes avec la satisfaction d’avoir découvert un ambassadeur d’Haïti qui les aura fait danser et rêver. Pari réussi une nouvelle fois : amassant des fonds, valorisant son pays à l’étranger, sa voix transporte le public et l’impose encore plus comme auteur-compositeur-interprète.
« Au niveau international, j’essaie de projeter une image positive »
Tout en continuant ses voyages à travers le monde, BelO retourne chez lui à Port-au-Prince en septembre 2010, bâtit sa nouvelle maison dans son quartier d’enfance, et continue sa vie d’artiste.
La musique pour lui sert à s’exprimer et à dénoncer ce qui ne va pas dans la société. Dénoncer, mais pas viser ou affliger de politique son auditoire : il préfère dire qu’il « parle du social ». BelO a pour mission de montrer l’unité de la population plus que la séparation qui caractérise la politique haïtienne, laquelle oppose uns aux autres sans jamais réaliser que la plus grande force est d’être ensemble.
Mais BelO parle de réalité aussi : Cité Soleil et la plage, les enfants des rues et l’école, le labeur quotidien et la joie des vendeuses de mangue. S’il n’occulte pas les problèmes, il préfère parler de solutions, d’alternatives. Et rompre avec les grands mythes qui assombrissent son pays dans le regard des étrangers : misère, dictature, violence, vodou.
« Je crois que c’est bien si les autres ne comprennent pas le vodou : sinon, Haïti ne serait pas devenue la première République Noire indépendante »
Le vodou ? bien sûr tout Haïti en est infusé. Il sait que cela attire autant que cela fait peur : le vodou est mystérieux… et n’est-ce pas mieux ?
Lui-même issu d’une famille vodouisante –son père était hougan (prêtre), BelO dit qu’il ne maîtrise pas bien l’aspect religieux du vodou… Mais que son aspect culturel lui ouvre les portes de l’inspiration et de l’expression musicale : il existe prêt de 105 rythmes vodous, qui ont été transmis par les esclaves à travers les générations. Ces sonorités héritées de l’Afrique (où elles ont souvent été oubliées depuis) ont convergé sur l’île à travers les bateaux du commerce triangulaire qui peupla Haïti pendant des siècles.
C’est ainsi que la musique de BelO n’a pas « un » style : c’est une musique métisse, qui fusionne les origines et compose une mosaïque musicale, agrémentée des découvertes mélodiques récoltées à travers le monde et lors des échanges avec les musiciens qui accueillent l’artiste.
BelO, artiste Haïtien, nous rappelle que son pays résonne d’une densité extraordinaire de musiciens, d’écrivains, de peintre, de poètes, d’intellectuels, et de doux rêveurs, qui chacun à leur manière composent un symphonie culturelle exceptionnelle. Des voix qui reflètent la si complexe réalité haïtienne, au-delà des clichés et des malheurs : des voix qu’il faut savoir écouter et qui rappellent qu’Haïti est, avant tout, terre de création, d’espoirs et d’espérances.
Site officiel de BelO : http://www.belohaiti.com/html/slideshow.php
[1] Prix remporté à Douala, au Cameroun.
Alice Corbet
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