Birmanie – Nargis : le rôle des associations birmanes

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Les Birmans se sont mobilisés dès les premières heures…


Grotius.fr publie le témoignage de deux représentants d’associations birmanes… Nous les appellerons « T » et « M » car ils ne peuvent témoigner sous leurs vrais noms… Retour sur mai 2008… Quelle est, enfin, la situation 12 mois après le passage du cyclone?

Qu’avez-vous fait, vous et votre association, après le cyclone Nargis ?

M : Tout d’abord, je dois dire que notre association et nos équipes ont fait partie des victimes. Le toit de notre bureau de Rangoon a été arraché et notre bureau local à Myaungma a été détruit. Cinq membres de notre association ont perdu la vie. Tous nos staffs du bureau de Myaungma ont perdu des membres de leurs familles et leurs maisons ont été détruites. Ils les ont parfois vu mourir ou ont vu mourir des amis et collègues (tout le monde a essayé de s’accrocher aux arbres, certains ont réussi à tenir, d’autres ne l’ont pas pu et ont été entrainés par les eaux). Encore aujourd’hui, notre équipe reste traumatisée. La plupart de nos membres se sont tout de suite impliqués dans les actions d’aide d’urgence et les distributions. D’autres ont souhaité ensuite quitter la zone car ils y avaient tout perdu.

Citons quelque chose de positif dans cette catastrophe : la collaboration avec les autorités locales. Au niveau national et international, tout était bloqué. Mais au niveau local, les responsables étaient avant tout des birmans qui souhaitaient eux aussi venir en aide aux autres Birmans. Ils ont fait de leur mieux pour nous faciliter l’accès aux sinistrés et permettre leur approvisionnement.

Note de la rédaction:
L’association de M. est reconnue par la  junte et a été en mesure de développer des actions de grande ampleur :
– Distribution de nourriture et des produits de première nécessité (pendant 2 mois), approvisionnement en eau potable et en comprimés de décontamination, soutien psychologique aux victimes, organisation d’activités pour les enfants et prise en charge des orphelins, prise en charge médicale et coordination de l’aide dans certains camps.
– Distribution de matériaux de construction pour que les familles puissent commencer à reconstruire leurs maisons et des écoles.
– Programmes générateurs de revenus et distribution de semences pour que les rescapés (1500 à 2000 familles ont été concernées) puissent reprendre une activité économique et subvenir par eux mêmes à leurs besoins. Enfin mise en place d’un programme en direction des pêcheurs (bateaux et filets de pêche).

T : Nous sommes intervenus par le biais de groupes locaux et des personnes formées aux techniques du développement. Nous avons servi de lien entre les bailleurs et ces groupes et avons eu un rôle de coordination. Nous avons eu un choix moral à faire. Nous ne sommes pas enregistrés en Birmanie et agissons incognito. Cela est très difficile à faire dans le cadre d’action d’urgence et d’actions directes auprès des communautés. Mais nous ne pouvions pas de pas répondre aux besoins dans cette situation exceptionnelle. Finalement nous avons décidé d’intervenir. Mais nous nous sommes fait repérés et avons dû interrompre notre programme. Nous passons maintenant exclusivement par des partenaires locaux et moins nombreux qu’au début des secours.

Note de la rédaction :
L’association de T. a permis d’approvisionner 4500 foyers en denrées alimentaires et biens de première nécessité et a proposé des prêts à 400 foyers pour qu’ils puissent reprendre une activité agricole ou commerciale. Un soutien a aussi été apporté dans le domaine de l’éducation : fournitures scolaires pour 5000 élèves, construction de 4 écoles temporaires et de sanitaires dans 8 écoles). L’appui à la reconstruction a concerné au total 28 villages (puits, ponts, bâtiments religieux, centres communautaires…) et action essentielle, l’association a proposé des activités de formation pour permettre aux communautés de gérer elles mêmes les projets de réhabilitation.

Quelle est la situation 12 mois après Nargis? Quels sont les besoins?

M :
Les besoins demeurent importants. Grâce aux programmes mis en place, beaucoup a pu déjà être accompli mais certaines catégories de la population sont exclues de ces actions. Par exemple, de nombreuses actions visant à aider les populations à retrouver leurs moyens de production se sont concentrées sur les pêcheurs et les cultivateurs de riz. Rien n’est prévu pour les autres travailleurs : travailleurs journaliers, petits vendeurs, petits métiers (tisseuses, cordonniers, gérants de petites boutiques et épiceries…). Or la plupart des victimes ont été des femmes et des enfants. Il y a donc maintenant des villages entiers d’hommes seuls. Aujourd’hui, ils ont quitté ces villages pour aller reconstruire leur maison ailleurs et ils sont très isolés… Nous avions honte car tous les dons de vêtements que nous avons reçus étaient des habits pour femmes et enfants ! Nous ne pouvions pas leur donner ! Un autre problème est qu’au mois de juin, ce sera la rentrée scolaire. Il se pourrait que le gouvernement supprime les frais d’inscription mais les parents doivent quand même payer pour les livres et l’uniforme. Beaucoup ne pourront pas inscrire leurs enfants à l’école. Déjà l’année dernière avec Nargis, beaucoup d’enfants ont été déscolarisés.

Il y a eu une autre catastrophe similaire, un glissement de terrain suite à des inondations dans l’extrême Nord du pays (ndlr : Nog Mung, au Nord de l’Etat Kachin). Tous les champs de riz ont été détruits. Il y a eu peu de pertes humaines mais à cause de la destruction de la récolte, il y aura beaucoup de victimes de la famine. Personne n’en a parlé. Nous même avons eu du mal à avoir des informations car la zone est très éloignée et c’est seulement quatre mois après ce glissement de terrain que nous avons pu agir mais cela ne sera pas suffisant.

T : Le principal problème reste la reconstruction des maisons. Toutes les familles n’auront pas un toit d’ici la saison des pluies (qui débutera en mai-juin). Nous essayons d’accélérer la reconstruction et d’organiser d’ores et déjà l’accueil dans les églises et les monastères bouddhistes.

Quelle est la situation à Rangoon ?

M :
Il n’y plus d’arbres, il n’y a plus d’ombres. L’été va être terriblement chaud !

T :
Les banlieues pauvres de Rangoon ont aussi été très touchées mais n’ont reçu aucune aide humanitaire qui s’est concentrée sur les camps dans la zone du Delta. Ces banlieues ont été oubliées. Beaucoup de maisons et d’abris doivent être reconstruits dans les bidonvilles qui entourent Rangoon.

Que pensez-vous du travail de l’ONU et de ses agences et de celui des ONG internationales ?

M :
Beaucoup a été fait finalement. Et nous avons pu mettre sur pied une bonne coordination au niveau local, au niveau des camps. Finalement ces organisations ont pu avoir accès à de nombreuses zones. Et grâce à la coordination dans les camps, il n’y a pas eu de chevauchement des actions ou de double-financements.

T : Nous ne travaillons pas dans les mêmes communautés. Nous, nous avons été là où les ONG internationales n’étaient pas.

Note de la rédaction :
Actuellement beaucoup d’ONG internationales ont pu développer des programmes de réhabilitation dans la région du Delta. Les procédures se sont considérablement assouplies dans cette zone pour permettre aux acteurs humanitaires internationaux d’y intervenir. L’accès à certaines zones reste cependant interdit. Citons par exemple les difficultés rencontrées par MSF Hollande et par MDM dans la mise en oeuvre de leurs programmes, dans le Nord du pays, auprès des personnes droguées et malades du sida.


Quel regard portez-vous sur le travail des médias étrangers pendant Nargis ?


M :
Quand Nargis s’est abattu sur le pays, j’étais en France. En lisant les journaux, j’ai pu avoir des informations détaillées et mesurer l’ampleur des destructions et des pertes humaines. Du coup, je me suis sentie tellement triste et malheureuse d’être loin de la Birmanie…. En France, j’ai noté aussi que l’information donnée était très politique. Ca, ce sont, les priorités des Français plus que les nôtres. Il y avait beaucoup d’analyses politiques et l’accent était mis sur les difficultés de communication avec la junte et les blocages persistants. Avec ces commentaires, j’ai bien peur que les bailleurs ont été découragés de nous aider… On ne parlait pas de tout ce qui était fait. Dès le 1er jour, il y a eu des aides aux victimes par notre association, d’autres associations locales et les structures religieuses, chrétiennes et bouddhistes. Il y avait une vraie mobilisation. De retour au pays, j’ai pu constater que, sur place, nous étions peu informés de l’étendue de la catastrophe.

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La rédaction de Grotius International.

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