Conflits et climat : les journalistes nigériens sont fatalistes

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Par Oumarou Keita

Au Niger, les conflits intercommunautaires, d’une intensité variable, n’ont eu de cesse depuis une vingtaine d’années de se multiplier. On se rappelle de Toda, il y a un peu plus de dix ans… Dans cette bourgade peulh de la région de Maradi, plus d’une centaine de personnes ont été froidement assassinées. Une forte émotion s’était emparée des Nigériens, qui s’étaient promis : «plus jamais de Toda».

La terre, les pâturages étaient la cause de cette tuerie. De telles violences où sédentaires et nomades en viennent aux mains, ou sortent des armes blanches, et de plus en plus d’armes à feu défrayent régulièrement la chronique. Mais les médias s’arrêtent très souvent au «factuel» : le nombre de victimes, l’émotion suscitée… Les journalistes désigneront un coupable, celui qui le premier a tiré. Et ne s’interrogeront pas – ou trop rapidement, sur les causes profondes du conflit : la gestion des terres et des points d’eau. Les journalistes, eux aussi, sont devenus fatalistes…

Cette dimension des conflits – bouleversement climatique et gestion des ressources naturelles, est extrêmement difficile à saisir. Comment un journaliste peut-il l’introduire dans un article, un compte-rendu, sans avoir l’air d’enfoncer des portes ouvertes du genre : les sables progressent, les bons pâturages se raréfient et l’eau, dans certaines de nos régions, que ce soit pour les animaux ou les hommes, manque cruellement. Certes, bon nombre de nos confrères ont été «sensibilisés»… Quel journal de la place n’a pas reçu quelques subsides d’une coopération, d’une fondation ou d’une ONG pour publier un supplément «environnement» ?

Combien de Toda depuis lors ? Dans le département de Boboye (région de Dosso), le même scénario est en place : l’exploitation des terres, des pâturages et des mares est un enjeu capital. Combien de vies humaines a-t-on perdu pour ça ? A partir de quel moment la cohabitation pacifique entre communautés différentes, pourtant légendaire, a-elle été mise en péril ?

Récemment, c’est dans le département de Ouallam, non loin de la frontière malienne, que deux communautés, qui vivaient jusque là en symbiose, en sont venues à se déchirer. Le collectif des organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie (CODDHD) a diligenté une mission d’investigation dans la zone. Tout a commencé le 23 août 2009 lorsqu’un camion de transport en commun, qui avait quitté la commune rurale de Balleyara pour se rendre à Banibangou, a été attaqué par un groupe d’assaillants d’ethnie peulh, des nomades, munis d’armes à feu.

Sept passagers d’ethnie Djerma ont été froidement abattus sur place. La communauté Djerma, des sédentaires,  a organisé des représailles sanglantes chez les peulh. Le bilan est lourd : 13 tués, 5 blessés graves, et 10 chefs de famille ainsi que 44 autres personnes portés disparus. Là encore, sous couvert d’affrontements interethniques se cachent des problèmes d’accès à la terre, aux mares… Des affrontements qui révèlent en fait l’absence de développement socio-économique et la grande pauvreté de ces régions.

On se souvient aussi de l’année 2006… A l’Est du pays, à la frontière tchadienne, des problèmes entre arabes Mohamids, qui détiennent le gros du bétail de la zone, et les autochtones ont failli dégénérer en conflit ethnique. Il était reproché aux Mohamids d’exercer une forte pression sur des terres déjà arides pour faire paître leurs animaux et d’occuper les quelques points d’eau qui servent aux populations. Les autochtones se sont «souvenus» que les Mohamids sont un jour venus du Soudan. Ils étaient donc des étrangers…

Les médias jouent-ils leur rôle ?

Les médias, qu’ils soient publics ou privés, concentrés essentiellement dans une capitale qui vit aux rythmes de soubresauts politiques et des rumeurs, ne remplissent pas leur mission. Les conflits intercommunautaires enregistrés ces derniers temps sont le plus souvent révélés par les organisations de défense des droits de l’Homme. Les journaux, radios etc… sont restés sur le bord de la route, se contentant de reprendre les communiqués de presse de ces organisations. Conséquence, la source des conflits et leur profondeur  échappent complètement à l’analyse. Les organes de presse s’arrêtent aux apparences : la connotation ethnique du conflit et sa politisation, ou disons l’utilisation qui parfois en est faite par des politiciens locaux ou des administrations… Loin de tout apaisement et d’un travail d’explication, ces médias participent à une dramatisation, jusqu’à, comme on dit, jeter de l’huile sur le feu.

Michel Ben Arrous de l’Institut africain de géographie politique de Dakar (Sénégal) s’interroge sur ce traitement des conflits par la presse : «comment les médias traitent-ils la dimension régionale des conflits ? Qu’en perçoivent-ils ? Comment la fameuse loi de proximité, c’est-à-dire la priorité supposée être donnée par le public pour des informations qui concernent son environnement le plus immédiat, oriente-t-elle la couverture des conflits et leur compréhension ?»

«En tant qu’instructeurs, éducateurs et informateurs, il est reconnu que les médias jouent un rôle dynamique et aident la société à faire face aux problèmes multiples que sont le chômage croissant, la corruption endémique, la pandémie du sida, les conflits, la mondialisation…» écrivait le journaliste sénégalais Abdou Latif Coulibaly. Les médias jouent-ils ce rôle ? Les journalistes ont-ils (déjà) baissé les bras ?

Oumarou Keita, journaliste au journal Le Républicain à Niamey

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