Israël, Goldstone et tout le reste…

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Par Gideon Levy du journal Haaretz…

Rapport après rapport, toujours la même image. Rapport après rapport, la même conclusion. Israël a commis des crimes de guerre lors de l’opération “Plomb durci” à Gaza. Le dernier rapport était aussi le plus sévère : Richard Goldstone, un juriste international très apprécié, et un militant sioniste dans sa communauté juive en Afrique du Sud, a dirigé une commission chargée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies d’enquêter sur le conflit à Gaza. Cette fois, la communauté internationale pourrait même éventuellement agir après la publication du rapport.

Le monde était écoeuré par l’attitude d’Israël à Gaza, et la plupart des Israéliens affirmaient que ce n’était qu’une petite pluie. Israël faisait couler du sang à Gaza et on disait aux Israéliens que c’était de l’eau. Rapport après rapport, le monde disait ce qu’il avait à dire et la majorité des Israéliens sont toujours profondément convaincus que leur armée, les FID, est l’armée la plus morale du monde, et rien d’autre.

Voilà la force d’un lavage de cerveaux extrêmement efficace. Voilà le résultat d’un système médiatique verrouillé dans la soi-disante seule démocratie du Moyen Orient. Après 42 ans d’occupation et d’invasion brutale et 1400 victimes à Gaza, pour la plupart des civils innocents, les Israéliens sont toujours très fiers d’eux-mêmes.

Il y a eu dans l’histoire des peuples et des Etats qui ont fait bien pire que ce qu’Israël a fait enduré aux Palestiniens, mais il semble qu’il n’y ait jamais eu un peuple qui se sente aussi irréprochable et juste sur ce qui a été commis en son nom. Les Sri-lankais, les Soudanais, les Serbes et les Sud-Africains n’ont jamais affirmé que leur armée est la plus morale du monde. Les Israéliens le font. Cela pourrait changer maintenant, grâce au rapport courageux et complet de Goldstone. La première réaction d’Israël, tant du côté officiel que de celui de la rue, a été comme toujours de tenter d’accuser le messager et d’ignorer le message.

Avec Goldstone, cela s’est avéré beaucoup plus compliqué que d’habitude, tant il est grotesque de reprocher à un militant sioniste qui était engagé dans de multiples activités en Israël et dont la fille a vécu plus de dix ans dans le pays et parle couramment l’hébreu, d’être anti-sémite. Cette fois, la bonne vieille méthode de la propagande israélienne ne pouvait pas fonctionner, mais à n’importe quelle occasion, Goldstone apparaissait comme un Juif anti-sémite.

Très peu de réactions israéliennes évoquait le contenu du rapport, avec son message. On ne parlait que de son auteur. Mais si l’appel lancé par Goldstone dans un article du New York Times de poursuivre en justice des officiers israéliens devenait réalité, si la CPI se décidait à se pencher sur les conclusions du rapport Goldstone, alors les Israéliens devraient en tirer de pénibles leçons. Seules des actions comme celles-ci, par le biais de la justice sur la scène internationale, pourraient inciter les décideurs et l’opinion publique israélienne à réfléchir à deux fois avant d’attaquer à nouveau violemment une population civile sans défense, comme ils l’ont fait lors de l’opération “Plomb durci”. Vu sous cet angle, les Israéliens devraient être reconnaissants envers le juge Goldstone : il va peut-être réussir là où tous les autres ont échoué; à savoir, placer un miroir en face de la société israélienne, de l’armée et du gouvernement, et leur dire, “regardez, voilà à quoi vous ressemblez vraiment”.

Le rapport Goldstone pourrait aussi être enterré comme tous les rapports précédents. La voix venue des Etats-Unis, l’acteur clé, accentue le risque que c’est en fait ce qui pourrait se passer. Il est grand temps que la communauté internationale ne suive plus aveuglément et machinalement les Etats-Unis; il est grand temps de rappeler à Barack Obama sur quelles promesses électorales il a été élu et ce qu’attend le monde de son mandat; il est grand temps d’élever la voix pour que le rapport Goldstone ne soit pas enterré. Il est important pour la communauté internationale, il est important pour le peuple palestinien, il est important pour Israël que toutes les allégations soient jugées là où elles doivent être jugées, à la Cour pénale internationale.

Après l’opération “Plomb durci”, un seul soldat a été poursuivi en justice en Israël, pour le crime absurde d’avoir volé une carte de crédit à un Palestinien; quant à la mise à mort de 1400 personnes, aux démolitions de milliers de maisons et à l’utisation d’armes illégales, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte. Selon la convention de Genève, quand l’Etat responsable ne soumet pas à sa juridiction ce genre de faits suspects, la communauté internationale a non seulement le droit mais aussi le devoir de se prononcer. Ignorer Goldstone se traduira par de nouvelles opérations “plomb durci”. La mise en oeuvre de ses conclusions pourrait au moins empêcher certaines d’entre elles. La décision appartient maintenant à la communauté internationale.

Les Israéliens assurent que la communauté internationale a deux niveaux, qu’elle ignore certains crimes de guerre dans le monde comme ceux des Américains et de l’OTAN commis en Afghanistan et qu’elle parvient à les justifier, et en même temps qu’elle refuse de laver Israël de tout soupçon. Imaginez l’assassin qui a tué un enfant de trois ans et qui déclare devant le tribunal : “que voulez-vous ? Il y a des milliers d’enfants tués dans le monde entier. Je suis innocent.”

Gideon Levy est chroniqueur au quotidien Haaretz (Tel-Aviv)

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La rédaction de Grotius International.

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