La CPI contre El Béchir… Les «pour» et les «contre» dans la presse nigérienne

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Au Niger, le caractère historique du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais, le général Omar El Béchir, n’a pas échappé aux éditorialistes.

C’est la première fois que la CPI délivre un mandat d’arrêt international contre un chef d’Etat en exercice. Longtemps attendue, la décision est tombée le 4 mars dernier. Le président soudanais est sous le coup de poursuite pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre les populations civiles du Darfour où depuis 2003, ce sont plus de 300.000 morts qui auraient été enregistrés et autant de populations déplacées. Les divergences d’appréciation et d’analyse sur l’émission de ce mandat observées au niveau des Etats africains se retrouvent, comme en échos, dans la presse du continent. Il en est ainsi au Niger, où la presse nationale y va de ses analyses. Certains journaux reviennent sur les crimes de génocide dont les Etats-Unis accusaient le gouvernement de El Béchir.

Si de telles tragédies ont eu lieu, c’est en raison de la passivité de tous ces acteurs qui, aujourd’hui, se montrent prompts à réclamer la tête d’El Béchir. Du reste, historiquement, ils n’ont absolument rien fait pour prévenir de tels drames : citons le génocide au Rwanda qui s’est déroulé sous le regard passif des forces occidentales, les massacres au Darfour bien sûr, mais citons aussi l’invasion meurtrière de l’Irak par les Etats-Unis ou plus récemment l’intervention israélienne en Palestine où de très nombreux civils, y compris des enfants et des vieillards, ont péri sous les bombardements de l’aviation israélienne.

En observant un silence complice, en laissant faire, les « justiciers » d’aujourd’hui, qui se cachent derrière la CPI, y ont donc pris part. Leur responsabilité ne saurait être éludée dans ce décompte macabre. Dans cette analyse, certains confrères considèrent que la CPI est instrumentalisée par les grandes puissances occidentales, notamment les Etats-Unis, qui, bien que n’ayant pas signé le protocole d’adhésion à cette Cour, n’en tirent pas moins les dividendes. On peut lire cette interrogation au Niger : « et si la CPI était un tribunal au service de l’impérialisme ? (occidental s’entend)». Les motivations des puissances occidentales ne seraient alors qu’économiques…

Il s’agirait de punir un Soudan qui fait la part trop belle (de ses richesses pétrolières et minières) aux Chinois… Dans ces commentaires, comme pour les appuyer, les journalistes nigériens ne manquent pas de relever les prises de position du président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, du chef de l’Etat sénégalais Abdoulaye Wade… La CPI, c’est la justice du Blanc…

A l’inverse, d’autres confrères apprécient positivement ce mandat d’arrêt qui doit théoriquement mettre fin au sort subi par les populations darfouriennes. Il y a longtemps que les Etats-Unis reprochent au gouvernement soudanais d’être à l’origine de crime de génocide contre les populations civiles au Darfour. Même si elle n’a pas retenu ce chef d’inculpation, la CPI a rendu responsable le président soudanais de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les charges sont donc lourdes, et prennent en compte les préoccupations exprimées par des organisations de défense des droits de l’Homme : viols, exterminations, tortures, rapts, meurtres.

Mais même lorsque la presse se « frotte les mains » de cette décision du Procureur, elle note que « si ces violations massives des droits de l’Homme ont pu être possibles, dans la durée, cela tient principalement à l’indolence des pays africains et de la communauté internationale. » L’Union africaine est restée incroyablement circonspecte, la Ligue arabe ouvertement favorable au régime dictatorial de El Béchir tandis que la Chine, membre du conseil de sécurité des Nations unies, met sur la balance les énormes profits qu’elle tire en vendant du matériel de guerre au régime soudanais.

Sur le fond, tous les organes de presse du Niger s’accordent pour écrire et dire que « l’impunité qui profite aux régimes totalitaires, comme celui du Soudan, avec la complicité active de la communauté internationale, ne doit plus avoir droit de cité pour que les droits humains soient sauvegardés. C’est un avertissement pour tous les régimes qui violent massivement les droits humains. » Le leader islamiste qu’on ne saurait accusé de connivence avec l’occident, Hassan El Tourabi, récemment libéré, a réitéré ce pour quoi il a été jeté en prison par son adversaire intime : le général El Béchir est moralement responsable des massacres au Darfour et il doit pour cela répondre de ses actes.

Oumarou Keita

Oumarou Keita

Oumarou Keita est journaliste (Niger).