U.E : crise financière et aide au développement

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Par Alexandre Polack d’Action Aid International… La confédération européenne des ONGs d’urgence et de développement, Concord, vient de publier pour la 4ème année consécutive le rapport Aidwatch. Aidwatch surveille de façon constante les progrès de la qualité et de la quantité de l’aide fournie pas les Etats membres de l’Union Européenne et la Commission Européenne.

Alors que les pays en développement sont frappés par une triple crise, crise alimentaire, crise économique et crise énergétique, certains pays développés comme l’Italie, l’Irlande, l’Estonie et la Lettonie ont déjà réduit leur budget et leur aide au développement alors qu’en temps de crise, l’aide est plus importante que jamais. L’Europe a la possibilité d’avoir un impact décisif sur la vie des plus pauvres du monde et de mettre fin au cercle vicieux de la pauvreté pour des millions d’êtres humains.

Cependant, de nombreuses voix commencent à s’élever pour dénoncer l’aide au développement en partant du constat que l’aide en tant que solution pour engendrer la croissance et lutter contre la pauvreté en Afrique a échoué. En effet, des trillions de dollars ont été investis en Afrique sans grand succès, la situation dans ces pays ne s’est pas améliorée et la pauvreté est plus présente que jamais.

En réaction au livre de Dambisa Moyo,  L’aide est morte: pourquoi l’aide ne donne pas les résultats escomptés, et pourquoi l’Afrique devrait explorer d’autres voies, le Premier Ministre Rwandais Paul Kagamé a déclaré que l’aide au développement « devrait être un support aux projets mis en place par les Etats eux-mêmes et que personne ne devrait assumer qu’ils savent mieux ce qui est bon pour nous que nous-mêmes ». Les pays en développement devraient prendre eux-mêmes les décisions qui les concernent et leur développement. De même, l’aide devrait bénéficier directement aux plus pauvres et non pas aux pays donateurs qui touchent directement ou indirectement les retombées positives de leur aide, en liant l’aide à l’achat de biens produits dans les pays donateurs.

Action Aid a démontré par des études sur le terrain, que l’assistance technique apportée par des consultants originaires de pays développés comptait pour un quart de l’aide officielle totale au développement. Le coût d’un consultant, environ 1000 $ par jour, est 2 fois le salaire annuel moyen dans les pays les moins avancés. De plus, ces fonds ne permettent pas un transfert de capacité vers les pays en développement. L’aide technique est pilotée par les donateurs et pauvrement mise en œuvre et ainsi n’apporte aucun bénéfice à ceux qui en ont le plus besoin.

Quelles priorités ?

L’aide européenne souffre encore et toujours d’un problème d’efficacité. En dépit des promesses et des engagements pris lors du Sommet d’Accra en septembre 2008 avec la signature du programme d’action de Accra, aucun progrès significatif n’a été observé et la plupart des donateurs ne mettent pas en œuvre les engagements pris. La encore, il s’agit clairement d’un manque de volonté politique. L’aide continue d’être orientée par les bailleurs de fonds en fonction de leurs propres priorités et non celles des pays en développement.

Si les pays Européens se donnaient les moyens de corriger ces défauts, les dirigeants et citoyens africains, ainsi que leurs homologues européens seraient plus convaincus que l’aide est efficace et contribue à la réduction de la pauvreté.

L’aide au développent fonctionne et est efficace quand elle est prévisible, transparente, mise en œuvre localement et ciblée vers ceux qui en ont le plus besoin et plus particulièrement les femmes. Depuis que les objectifs de développement pour le millénaire ont été adoptés en 2000, 2 millions de vies on été sauvées chaque année grâce aux campagnes de vaccination et 41 millions d’enfants supplémentaires sont scolarisés. Ces exemples montrent que l’aide au développement fait une différence dans la vie de millions de pauvres à travers le monde. L’Union européenne qui fournit prés de 60% de l’aide mondiale au développent, a majoritairement contribué à ces progrès. Cependant, l’aide européenne est en déclin, tant en terme de quantité qu’en terme de qualité.

Les promesses faites en 2005 par les pays de l’UE ne se concrétisent pas. Les 15 pays de l’Union Européenne se sont engagés à donner  individuellement au moins 0,51% (avec une moyenne collective de 0,56%) du Revenu National Brut au titre d’aide au développement d’ici 2010 et 0,7% d’ici 2015. Les 12 nouveaux Etats membres de l’UE se sont engagés à donner 0,17% du RNB en aide d’ici 2010 et 0,33% en 2015.

Les chiffres 2008 du rapport Aidwatch montrent que l’aide réelle apportée par l’Europe n’a augmenté que légèrement passant de 0,33% en 2007 a 0,34% en 2008 bien loin de l’objectif commun de 0,56% à atteindre en 2010. Pour que l’UE atteigne l’objectif fixé, il faudrait une augmentation de plus de 20 milliards d’Euros au cours des deux prochaines années.  De plus, si les tendances actuelles se poursuivent, à savoir ne pas augmenter l’APD, les pays Européens n’auront pas réussi à fournir d’ici 2010, 39 milliards d’Euros promis aux pays en développement en raison de leur pratique de gonfler l’aide et également par manque de ciblage des objectifs officiels. Ce montant  serait suffisant pour augmenter d’un quart le revenu journalier de 380 millions d’Africains vivant dans la pauvreté absolue.

Respect des engagements

Les pays donateurs utilisent la crise économique mondiale et ses répercussions sur la baisse de leurs revenus pour justifier les coupes dans le budget alloué à l’aide au développement. Or, la crise ne justifie absolument pas ces coupes budgétaires. En effet, il suffit de regarder les millions déboursés pour sauver les banques à travers le monde pour se rendre compte que cette excuse n’est pas valable. L’an dernier, la France a consacré 45 fois plus de fonds à la sauvegarde du système bancaire que son aide totale au développement. A la mi-février, les pays développés avaient consacré plus de 43% de leur PIB pour aider et relancer leur système financier. Cela représente plus de 100 fois la moyenne européenne de l’aide publique au développement pour 2008 (0,40% de Revenu National Brut). Ne pas honorer les engagements pris en matière d’aide au développement n’est pas un manque de ressources mais bel et bien un manque flagrant de volonté politique. Au delà de l’aide au développement, il convient aussi de souligner l’absence de cohérence des politiques européennes qui ont des impacts négatifs sur le développement et mettent en péril les progrès réalisés grâce à l’aide.  Le cas des agrocarburants est un bon exemple.

En 2008 l’Union Européenne a adopté en 2008 une Directive cadre sur les énergies renouvelables qui fixe une part minimum de 10 % d’énergies renouvelables (au premier rang desquelles les agrocarburants) dans le secteur des transports à l’horizon 2020.  Pourtant, elle ne prend pas en compte que pour parvenir aux 10 % d’énergies renouvelables fixés par le texte, les 27 devraient donc se tourner vers l’importation d’ agrocarburants, ce qui soulève de nombreuses questions. En effet, Action Aid a documenté que dans de nombreux pays en développement les entreprises du Nord acquièrent des terres agricoles à bas prix pour produire des agrocarburants et privent ainsi les communautés locales de l’accès a la terre mais aussi de l’accès à ses ressources et ainsi met en péril la sécurité alimentaire de ces communautés. Or, l’an dernier le nombre de personnes souffrant le plus sévèrement de malnutrition a atteint 100 millions et donc, il est plus que nécessaire de ne pas accentuer cette tendance avec des politiques européennes nuisibles.

Droits de douane

De même, les accords commerciaux inégaux tels que les Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraibes et Pacifiques (ACP), endommagent plus le développement qu’ils n’ont un impact positif. En consacrant le libre-échange, les APE abolissent les droits de douane sur les produits européens destinés au marché africain et mettent un terme aux dispositifs d’indemnisation des produits agricoles et des minerais. La suppression de ces avantages risque de déstabiliser les économies africaines déjà malmenées. Et la liste est encore longue, exonérations fiscales des multinationales européennes, subventions agricoles qui défavorisent les pays en développement exportateurs de produits agricoles.

En ces temps de crise l’aide européenne est plus importante que jamais et les gouvernements européens doivent agir et respecter les engagements pris mais également mettre en place des calendriers contraignants d’année en année pour atteindre leurs objectifs. De plus, il faut enfin mettre en pratique les engagements de mettre l’égalité des genres et revaloriser la place des femmes pour qu’elles soient au cœur de la coopération au développement. Enfin, l’Union Européenne doit revoir l’ensemble de ses politiques ayant un impact direct ou indirect sur le développement afin de s’assurer que les gains obtenus d’un coté ne sont pas systématiquement remis en question par des politiques commerciales, agricoles et financières injustes.

Alexandre Polack est directeur des campagnes et des affaires européennes à Action Aid International.

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La rédaction de Grotius International.

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