La deuxième conférence nationale humanitaire (CNH) se tient le 31 mars 2014 à Paris (voir le dossier de présentation ci-contre). En 2011, lors de la première CNH, ONG et Etat français ont posé les bases d’un dialogue et d’une concertation permanente. ONG et Etat sont confrontés à des évolutions et des enjeux majeurs… Entretien avec Didier Le Bret, Directeur du Centre de Crise – MAEE.
JJ Louarn : La deuxième CNH soulignera la diversité des acteurs de l’humanitaire. Pourquoi cette ouverture?
Didier Le Bret: Cette ouverture élargie – aux élus régionaux, nationaux, aux acteurs de la coopération décentralisée, à des acteurs du Sud, correspond vraiment à un souhait de la communauté des humanitaires en général. C’est un grand rendez-vous dont l’objectif est de réunir une diversité d’acteurs autour d’une même table pour aborder les thématiques qui sont au cœur de l’action humanitaire et aborder aussi des situations concrètes : Syrie, Mali, Centrafrique etc.
Aujourd’hui, il y a ce constat : le paysage humanitaire s’est singulièrement diversifié. Les ONG demeurent les acteurs de l’intervention, de l’urgence les plus importants, mais il faut compter aussi avec les collectivités territoriales, avec la recherche qui joue un rôle essentiel, avec les entreprises et les fondations d’entreprises etc. Comment, avec le concours de la puissance publique, ces acteurs -ensemble peuvent-ils être le plus efficaces possible ? Nous nous poserons cette question.
La CNH de 2014 sera le moment et le lieu de revenir sur la mise en œuvre de la stratégie nationale, de revenir sur les engagements que nous avons souscrits en 2011 lors de la première conférence.
JJ Louarn : Le dialogue voulu en 2011 entre ONG et Etat français et qui s’est concrétisé par la première CNH est un acquis aujourd’hui…
DLB : Absolument, ce dialogue est permanent. Dès que nous sommes confrontés à une crise et à sa gestion, nous le faisons vraiment en parfaite harmonie.
Concernant la mise en œuvre de la stratégie nationale, ce qui est important pour nous, c’est de vérifier avec la communauté des ONG que nous sommes bien sur notre cœur de métier, c’est-à-dire arriver à cibler en priorité les populations les plus vulnérables, celles qui sont directement impactées par les crises. Un des grands engagements que nous avions pris en 2011 est de penser la « bonne action humanitaire », c’est-à-dire de comprendre dans quelle mesure nous sommes capables – tous, de préparer aussi « le coup d’après », d’amorcer des stratégies, des cycles vertueux.
JJL : Vous avez cité la Syrie, la Centrafrique, le Mali, voilà trois pays où il est devenu très difficile de travailler. Alors même si l’aide humanitaire n’a jamais complètement cessé, ce sont des terrains extrêmement dangereux. Des communiqués de presse d’ONG évoquent une aide entravée… C’est un euphémisme.
DLB : Nous aborderons effectivement ces questions durant la conférence du 31 mars. C’est un point majeur. Mais en fonction des crises, les humanitaires sont passés d’intervenants neutres, ce qu’ils s’efforcent toujours d’être , à des intervenants perçus à tort comme étant partie aux différents intérêts en jeu, et généralement ciblés en tant que tels. La réflexion sur les questions de sécurité est aujourd’hui primordiale.
JJL : Diriez-vous que les principes humanitaires – neutralité, impartialité, indépendance, sont toujours valides, un soutien dans l’opérationnel ?
DLB : Je le crois que plus que jamais. Ce sont des principes fondamentaux et fondateurs aussi du droit humanitaire et de son efficacité. Pour toucher les populations, il faut vraiment que l’ensemble des protagonistes aient la certitude que l’action humanitaire n’a pas d’autres visées, qu’il n’y a pas d’arrière-pensées, qu’il n’y a pas d’agendas autres que seulement soulager la détresse des civils – victimes, soit des catastrophes, soit des conflits politiques, soit de conflits inter-étatiques. Mais la mise en œuvre de ces principes n’est pas aisée dans des contextes complexes, et aujourd’hui il y a une volonté d’instrumentaliser l’aide.
JJL : Dans ces zones grises… ou rouges, où sévit un banditisme-terrorisme, le personnel local ou expatrié non occidental est lui-même devenu une cible…
DLB : Absolument, c’est clair. Aujourd’hui, c’est l’action humanitaire dans son ensemble qui est ciblée, y compris donc les personnels nationaux ou qui ne sont pas des personnels de la nationalité de l’ONG.
JJL : L’inquiétude des ONG se porte aujourd’hui sur l’avenir d’ECHO. Et plus largement sur le financement de l’action humanitaire. De quelle façon la puissance publique française peut-elle là accompagner la communauté humanitaire ? Question difficile et douloureuse nous le savons tous et personne n’a malheureusement de baguette magique. Cependant…
DLB : Cette inquiétude, comme vous le dîtes, est bien là. Il faudrait évoquer la concentration de plus en plus forte des financements sur quelques ONG, et ce de façon à réduire, en tout cas pour les gros bailleurs que sont ECHO, Bruxelles ou d’autres, les coûts de transaction. Cette tendance à confier de plus en plus de gros projets à un nombre très restreint d’ONG peut se faire au détriment d’acteurs du secteur. C’est le cas en France où il y a des ONG qui ont une taille critique tout à fait honorable, et certaines d’entre elles font un très bon travail, mais elles n’ont ni l’envergure de MSF, de Médecins du Monde ou de Handicap. Source d’inquiétude, donc oui, très clairement. Allons-nous assister à un mouvement de restructuration interne des ONG françaises dans les prochaines années ? Comment faut-il se préparer à ces évolutions ?
A notre niveau, nous essayons de contribuer au financement des ONG. Leurs fonds sont aujourd’hui très largement communautaires et multilatéraux. Les subventions publiques de l’Etat français ne sont pas nécessairement majoritaires. Nous considérons que nous avons là une responsabilité, tout comme dans la coordination générale.
JJL : Quelles autres évolutions de l’action humanitaire doivent aujourd’hui faire l’objet d’une attention particulière ?
DLB : Deux enjeux me paraissent importants… Le premier : comment préparer un mouvement humanitaire au Sud ? C’est une responsabilité des ONG du Nord d’avoir des partenaires au Sud avec lesquels elles puissent travailler dans la durée, et puis à terme inscrire clairement dans leur action le renforcement des capacités de ces nouveaux acteurs.
Le deuxième : comment articuler le traitement de l’urgence avec les questions de fond qui sont liées au développement, à la stabilité politique, à la stabilisation tout court des institutions et de leur renforcement ? Les humanitaires ne peuvent pas tout faire et n’ont pas vocation à tout faire. Ils doivent être efficaces là où ils peuvent l’être, c’est-à-dire apporter vraiment les premiers secours aux populations.
Il faut donc se poser des bonnes questions : savoir combien de temps on reste, avec quels moyens on intervient, en faisant en sorte qu’il y ait le moins de conséquences ou d’externalités négatives, comme on disait autrefois, sur le développement du pays, et ne pas non plus enfermer un pays dans une espèce d’assistanat qui se ferait au détriment de toute réflexion de fond sur les vrais ressorts du développement. C’est aussi aux humanitaires d’accepter et d’assumer ce type de réflexion, de façon à ce qu’on ne soit pas dans une logique étanche où la main gauche ignore ce que fait la main droite, où les humanitaires disent « écoutez, notre job c’est d’intervenir massivement sur une crise et puis peu importe si demain on a siphonné tous les professionnels de la santé ». En fait, on aurait sorti ces professionnels locaux des quelques structures privées qui existaient ou des structures publiques. On contribue ainsi à un déséquilibre qui à terme s’avère presque plus terrible que la situation initiale. Il faut accepter de se poser toutes ces questions.
JJ Louarn : Faut-il préserver ce paysage humanitaire français qui est si historiquement particulier ?
DLB : Le préserver oui, dans le sens où c’est important qu’il y ait une diversité d’acteurs. Maintenant ce paysage humanitaire français fera comme toutes les structures vivantes, humaines ou sociales : il s’adaptera. Les défis sont là. Il ne faut pas être dans une espèce de logique un peu tétanisée de nostalgie. Les ONG ont des atouts, elles ont notamment une façon de faire, un savoir-faire – je pense à l’intervention dans le secteur de la santé, qui est reconnu. Les spécificités doivent être maintenues. Après, rien n’empêche de réfléchir à l’avenir sereinement et d’anticiper les changements.
Jean-Jacques Louarn
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