Droits de l’homme et liberté de la presse en Afrique

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« Un goût amer dans la bouche… »

Par Robert Ménard

Droits de l’homme et liberté de la presse : voilà un couple qui ne semble guère, a priori, poser de problèmes. Bien au contraire… Comment défendre les libertés sans une presse indépendante, pluraliste ? Comment s’assurer de la sécurité des journalistes sans un Etat de droit, sans un respect minimum des droits humains, comme il est de bon ton de dire dans la novlangue des ONG ? Bref, un parfait sujet de dissertation pour l’un de ces innombrables colloques annoncés à grand renfort de banderoles dans les artères de toute capitale africaine qui se respecte. Un succès garanti si les per diem sont de la partie… Fermez le ban, il n’y a rien à ajouter.

Pas si simple pourtant si l’on veut bien y regarder de plus près et se débarrasser de ces lunettes que chaussent la plupart de ceux qui se penchent sur le continent : aveuglés par leur mauvaise conscience, ils finissent par ne plus voir ce qui saute aux yeux. Mais gêne les défenseurs des droits de l’homme que nous sommes.

D’abord, il faut bien le dire, la liberté de la presse peut être la pire des choses. J’ai encore en tête le rapport 1993 de Reporters sans frontières dans lequel nous saluions le Rwanda qui venait d’autoriser les radios privées.

Et de prendre l’exemple de… Radio libre des mille collines, aujourd’hui de sinistre réputation. Du coup, nous avons inventé le concept de « médias de la haine » pour rendre compte de ce dévoiement de l’information en un instrument de propagande et, même pire, de crime, de guerre.

Un cas limite, me direz-vous. Pas si sûr. Regardez ce qui s’est passé en Côte d’ivoire. La tentation est toujours là d’instrumentaliser la presse au service des causes les plus folles. Et les journalistes sont nombreux qui sont prêts à se vendre pour une poignée de francs CFA. Parce qu’il faut bien le dire, la grande majorité de la presse en Afrique s’offre au plus généreux.

Je me souviens de ces journaux camerounais qui publiaient en une des listes de prétendus homosexuels, façon efficace, on le sait, de disqualifier un adversaire dans des pays où les relations entre même sexe restent un crime.

Autre exemple, lors d’une visite à la prison de Kinshasa. J’allais m’y enquérir du sort d’un confrère détenu pour des articles dérangeants pour le pouvoir mais guère «sourcés», pour ne pas dire mensongers.  Après les échanges de circonstance, j’osais une question sur un papier concernant Reporters sans frontières et qui me semblait avoir un rapport très lointain avec la réalité, une litote pour ne pas parler de diffamation.

Mais nous étions dans une prison et je décidai de ne pas aggraver le cas de notre directeur de publication. J’obtins une réponse d’une rare franchise : il fallait bien se nourrir, me répliqua ce garçon que j’avais de plus en plus de mal à appeler un confrère. Je ne vais pas poursuivre dans ce genre de récits. Ils sont nombreux, trop nombreux. Et disent à quel point la liberté de la presse n’est pas toujours synonyme d’information de qualité – nous le savons tous – et peut se transformer en ennemi de ces droits de l’homme que les médias, même les pires, ont tout de suite à la bouche dès qu’on les met en cause.

Mais j’irai plus loin. Faute de marché – manque de lecteurs, manque de pub, manque aussi de journalistes formés et même, tout simplement, honnêtes -, la presse africaine est trop souvent obligée d’aller chercher ses financements du côté des hommes politiques, basculant ainsi avec armes et bagages dans des clans, des coteries qui ne reculent devant rien pour conquérir ce pouvoir, sésame de tous les trafics, de tous les passe-droits. On l’a vu, ces dernières années, avec la tribalisation rampante, la gangrène ethnique qui s’est emparée de bon nombre de titres d’Afrique subsaharienne.

On pourra toujours se rassurer en mettant en avant les résistants, les héros, ceux qui paient de leur liberté un refus obstiné des combines et des magouilles. Ces hommes et ces femmes sont alors l’alibi de toute une profession qui se réclame des droits de l’homme, de la liberté de la presse, de la société civile et que sais-je encore, pour cacher des pratiques peu reluisantes. Finira-t-on par regretter le temps des monopoles de l‘Etat sur les médias comme de plus en plus d’Africains disent, à moitié sérieux, regretter l’époque du parti unique, corrompu, liberticide certes, mais assurant un minimum de sécurité ? Je n’oserais aller jusque-là.

Tribalisation rampante…

Mais, de la même façon que l’organisation d’élections plus ou moins transparentes ne me semble pas forcément être le garant d’un fonctionnement apaisé d’une société, je doute que la seule liberté de la presse suffise à offrir aux défenseurs sincères des droits de l’homme et aux victimes qu’ils sont censés défendre les tribunes, les avocats qu’ils méritent.

Trop de journalistes ont failli pour qu’ils puissent se refaire une virginité en appelant à la rescousse leurs opinions publiques du seul fait qu’ils sont les victimes d’un clan qui n’est pas celui auquel ils ont fait allégeance. Trop pessimiste ? Je ne le crois pas. Il y a quelques mois, je retrouvais pour la Journée de la liberté de la presse quelques-uns de mes amis journalistes africains. Ils étaient une petite dizaine. Vous les connaissez, ils ont tous ou presque été emprisonnés à un moment ou à un autre.

Alors qu’à la tribune, les apparatchiks de l’Unesco tentaient désespérément de donner du souffle à des discours usés d’avoir trop servi, nous évoquions leur quotidien, du Niger au Bénin,  de la RDC au Mali. Dire qu’ils étaient découragés est un euphémisme. Mais eux comme moi, une fois interrogés par d’autres confrères sur cette liberté de la presse que nous défendons depuis des années, nous retrouvions des accents qui, parfois, me semblaient sonner faux. Non, les journalistes ne sont pas toujours, loin s’en faut, de bons défenseurs des droits de l’homme.

Et la liberté de la presse couvre trop souvent des comportements peu ragoûtants. Disons-le franchement si nous ne voulons pas avoir, un jour, le sentiment de préférer la langue de bois à ces vérités pas toujours agréables à entendre. J’ai trop souvent aujourd’hui un goût amer dans la bouche.

Robert Ménard, fondateur et ancien secrétaire général de Reporters sans frontières.

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