Égypte – Rencontre avec les Frères musulmans

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Pierre Piccinin a interviewé  le Docteur Mohamed al-KATATMY, porte-parole des Frères musulmans, qui représente la tendance traditionaliste du mouvement, et Khaled HAMZA, rédacteur en chef du site IKHWANWEB, le site officiel des Frères musulmans, représentant de la tendance progressiste de ce mouvement islamiste…

Pierre Piccinin : la « révolution » égyptienne a entraîné le départ du président Hosni Moubarak. Mais a-t-elle réussi à mettre à bas ce régime dictatorial corrompu?

Docteur Mohamed al-Katatmy: Moubarak a en effet quitté la présidence, mais en désignant ses successeurs. En outre, il conserve l’appui de l’armée. Quant au « nouveau » gouvernement, il comprend beaucoup d’anciens moubarakistes, qui ont toujours fidèlement servi l’ancien régime.

Quel est votre sentiment?

Mohamed al-Katatmy :L’avantage de cette révolution, c’est que tout le peuple y a participé. Aucun groupe n’est resté isolé; tous les Égyptiens ont participé, à commencer, d’ailleurs, par les Frères musulmans, qui ont toujours résisté à la dictature et l’ont payé très cher. Nous avons appelé le peuple à participer et à se battre pour sa liberté. Et le peuple s’en souviendra. Mais la révolution n’est pas tout à fait terminée et nous continuons à avancer, pour transformer complètement l’État égyptien. Pour y arriver, nous sommes prêts à aider le peuple et le peuple égyptien sait qu’il peut compter sur nous, sur notre bonne organisation, sur notre fermeté, sur notre détermination, car le peuple sait bien que nous n’avons jamais abandonné le combat, même dans les moments les plus durs, lorsque nous étions mis en prison, alors que d’autres s’enfuyaient en exil.

Comme vous le dites, Moubarak est parti, mais ce n’est pas assez : il faut que les autres corrompus, ceux qui l’ont soutenu et qui ont profité du système, que tous ceux-là partent aussi. Et puis, il faut changer les mentalités et réformer la société : il faut redonner la fierté aux Égyptien; qu’ils retrouvent confiance en eux, dans leur pays, dans leur culture, dans leurs coutumes. Pour le moment, l’armée a le pouvoir. Bon. Mais elle a promis de le quitter dans six mois et de le laisser à un régime démocratique, à ceux que le peuple égyptien choisira. Jusqu’à maintenant, ce qui se passe va dans la bonne direction, dans le chemin de ce que l’armée a promis. Tant que l’armée tiendra ses promesses, nous accompagnerons pacifiquement le processus de démocratisation.

Mais comment l’opposition pourra-t-elle faire face à la machine d’État de Moubarak qui, dans les faits, est restée au pouvoir, tandis que l’armée encadre étroitement la population? L’opposition n’est pas organisée. Comment pourra-t-elle mobiliser les électeurs, a fortiori si les élections arrivent dans six mois seulement?

Mohamed al-Katatmy : Attention. Ne vous trompez pas. L’opposition est bien organisée. En tout cas, nous, nous le sommes. Cela ne nous dérange pas que les élections aient lieu rapidement. C’est même notre souhait; il ne faut pas que certains militaires prennent goût au pouvoir. Alors, plus vite nous aurons des élections, mieux ce sera. Ceux qui veulent reculer les élections, c’est peut-être parce qu’ils savent que le peuple ne les soutient pas. Nous, nous savons que nous pouvons compter sur le peuple. Vous verrez, si les élections sont honnêtes, que les résultats ne nous décevront pas. Notre seule préoccupation, c’est que le parti de Moubarak contrôlait tout et que ces gens-là continuent de contrôler l’appareil de l’État. La corruption s’est développée partout; des gens malhonnêtes se sont enrichis énormément. Ce sont là les raisons principales de la révolution. Ils ont systématiquement triché aux élections pour garder le pouvoir et ils pourraient recommencer.

Mais nous seront vigilants et, si cela se passe encore comme ça, nous réagirons. Nous ne nous faisons pas d’illusion : il va falloir du temps pour remettre de l’ordre dans ce pays, pour éliminer les corrompus, pour reconstituer l’État; ça va peut-être durer plusieurs années. Mais, six mois, c’est bien assez pour avoir un régime démocratique qui nous permettra de travailler dans ce sens. Ce n’est pas vrai que l’opposition n’est pas structurée. En tout cas, nous, nous sommes prêts. Nous sommes bien organisés et nous pouvons nous aussi compter sur des réseaux solides dans le peuple égyptien.
Donc, six mois, cela nous convient très bien. En six mois, nous pouvons réformer la constitution et avoir un président qui poursuivra la révolution en continuant de réformer l’État. De toute façon, le peuple n’a plus confiance dans les partis. Les gens ne voteront plus pour des partis. Ils voteront pour des personnes. Et, ces personnes, elles sont là.

Mais ne faudrait-il pas laisser plus de temps aux autres mouvements de l’opposition, pour qu’ils puissent s’organiser et se faire connaître?

Mohamed al-Katatmy : C’est comme je le disais : la véritable opposition de toujours est déjà organisée; les gens la connaissent. Les autres peuvent s’organiser, s’ils ont des partisans. Mais je ne sais pas si les jeunes, ceux qui ont fait la révolution, vont vouloir de ces gens-là. Il faut laisser les jeunes décider.

Les liens de l’armée avec le Pentagone laissent entendre qu’elle ne serait pas neutre. Quel jeu l’armée joue-t-elle réellement? Et quelle serait l’influence des États-Unis dans les événements?

Mohamed al-Katatmy : Le régime de Moubarak a bien sûr toujours eu une relation très forte, excellente, avec les États-Unis. C’est vrai. Et certains pensent qu’il n’est donc pas impossible que l’armée joue un double jeu et finisse pas clairement trahir les aspirations du peuple; qu’elle ne joue pas vraiment le jeu de la démocratie. Les États-Unis ont des intérêts importants en Égypte. Mais ils n’ont pas pu empêcher la révolution. Ils n’ont pas pu empêcher le renversement de Moubarak. Ils auraient bien voulu, mais ils se sont rendu compte que ce n’était plus possible. Alors, bien sûr, ils espèrent que les amis de Moubarak restent au pouvoir, pour qu’ils puissent continuer à contrôler notre pays comme avant. Mais nous ne les laisserons pas faire.

La révolution a eu lieu, sans qu’ils puissent intervenir. Tout s’est passé très vite et les États-Unis ne l’ont même pas vu venir. Et ils n’ont pas pu utiliser l’armée pour protéger Moubarak; nous ne les laisserons pas l’utiliser pour arrêter la révolution. Comme je le disais, l’armée, jusqu’à présent, a l’air de vouloir respecter le processus de démocratisation; elle le met en oeuvre et, tant que cela se passe ainsi, nous lui donnons notre confiance. Mais nous la mettons en garde : elle le regretterait fortement, si elle trahissait le peuple.

Les États-Unis seraient donc prêts à renoncer au contrôle du Canal de Suez et au soutien que l’Égypte apportait à Israël, leur meilleur allié dans la région?

Mohamed al-Katatmy : C’est là le danger. En effet… Même si le processus démocratique se passe de manière juste, lorsque les élections auront lieu, il est possible que quelqu’un, soutenu par les États-Unis, essaie de tricher et de s’imposer. Même en jouant sur un tout petit pourcentage. Mais nous y serons attentifs : avec le peuple, nous ne laisserons pas les choses se passer ainsi. Nous nous opposerons à ces élections si elles sont truquées. Maintenant, avec l’appui du peuple, nous pouvons mettre la pression sur ceux qui prennent les décisions. Nous sommes là pour aider le peuple à s’organiser et à continuer la révolution dans le bon sens.

Comme vous le savez, les Frères musulmans inquiètent, en Occident. Le spectre de l’islamisme, de l’intégrisme religieux, la menace terroriste… Que feriez-vous si les élections vous donnaient le pouvoir en Égypte?

Mohamed al-Katatmy : Nous, les Frères musulmans, nous ne cherchons pas particulièrement le pouvoir. Certains d’entre nous pensent même qu’il ne faut pas présenter de candidat à la présidence. Mais, si le peuple nous donne la majorité au parlement, nous gouvernerons, dans le respect du choix du peuple. Si le peuple veut que nous ayons le pouvoir, c’est parce qu’il pense que ce que nous proposons lui convient. Donc, si le peuple égyptien vote pour nous et nous donne la majorité, nous assumerons nos responsabilités et le choix du peuple; et nous accomplirons sa volonté.

Mais notre but n’est pas de prendre le pouvoir en Égypte. Sauf si le processus démocratique nous mène au pouvoir. Ce que nous proposons, ce sont des réformes pour améliorer la vie des Égyptiens, pour leur rendre leur fierté d’être égyptiens, pour leur rendre une morale et un sens à leur vie.

Les Frères musulmans ont-ils des rapports privilégiés avec le Hamas, à Gaza, le Hezbollah, au Liban, ou l’Iran?

Mohamed al-Katatmy : Absolument aucun! Aucun! Notre idéologie est tout à fait différente et nous n’avons aucun rapport avec eux.

L’idée des Frères musulmans n’est donc pas d’établir en Égypte une république islamique et d’imposer la charia, la loi coranique?

Mohamed al-Katatmy : Je n’ai pas dit cela non plus… En réalité les choses sont plus complexes. Nous sommes contre un État religieux. Nous sommes pour un État laïc. Nous sommes contre un État qui serait dirigé par des religieux, comme les Ayatollahs en Iran. Nous sommes pour la laïcité, pour un État où c’est le peuple qui gouverne tout, et non les religieux. Cela, c’est l’idéologie des Frères musulmans. Mais nous sommes respectueux de la loi enseignée dans le Coran. Comme je disais, c’est le peuple qui doit décider.

Et concernant Israël et l’occupation des territoires palestiniens? Quelle serait la position d’un parlement égyptien où les Frères musulmans obtiendraient la majorité des sièges?

Mohamed al-Katatmy : Il est bien certain que, si l’Égypte devient démocratique, le peuple égyptien ne laissera plus Israël se comporter avec nos frères de Palestine comme elle se comporte maintenant.

Moubarak, qui était le serviteur des Américains et des Israéliens, non seulement a laissé faire, mais, en plus, il a aidé Israël à réprimer la juste révolte des Palestiniens. Il a fait la guerre aux combattants arabes qui se battaient pour la liberté de la terre arabe. Nous avons toujours dénoncé cette trahison; c’est pour cela que nous avons été mis en prison. Maintenant, il est bien certain que tout cela va aller autrement. Notre position a toujours été ferme et nous n’en avons jamais changé : les Palestiniens ont accepté de partager la Palestine. Ils ont accepté que les Juifs aient un État. Ils ont accepté d’avoir, eux, un État avec les frontières de 1967.

Ce n’est plus à eux de faire des concessions, à présent. C’est Israël qui a volé toute la terre aux Palestiniens. Et c’est la politique israélienne de prendre tous les jours un peu plus de terre et d’installer de nouvelles colonies. C’est donc Israël qui refuse de faire la paix avec les Palestiniens. Nous devons agir en fonction de cette situation.

Je pose ma question autrement : si l’Égypte parvient à prendre son indépendance de l’influence états-unienne et si vous remportez les élections, quelle politique, quelles actions, concrètes, mettrez-vous en oeuvre pour régler la question palestinienne?

Mohamed al-Katatmy : Je viens de répondre, déjà, à votre question : nos intentions sont claires et ne changeront pas. Pour le reste, c’est le peuple qui décidera, si la démocratie advient. Ce ne sont pas les Frères musulmans qui doivent décider. C’est le peuple! Nous donnons notre position, mais, la décision finale, c’est le peuple qui la prendra.

Qu’ajouteriez-vous, au terme de cet entretien? Quel message souhaiteriez-vous délivrer à l’Europe, pour nous permettre de mieux comprendre le sens profond de la révolution égyptienne?

Mohamed al-Katatmy : Toutes ces révolutions, en Tunisie, en Égypte, vont transformer les gouvernements des États arabes. On va donc avoir un nouveau Moyen-Orient. Et pas celui que voulaient les États-Unis! Un nouveau Moyen-Orient, plus libre, où les États pourront mener leur propre politique, libérés des influences américaine et israélienne. Malgré les relations historiques très longues que l’Empire arabe, puis les États arabes ont eues avec l’Europe, l’Europe, aujourd’hui, suit toujours la politique américaine. Malgré que l’Europe a plus d’intérêts avec le monde arabe, elle suit toujours les États-Unis et fait ce qu’ils décident pour elle.

Ne serait-il pas temps que l’Europe considère les Arabes comme des partenaires, politiques et économiques? Ne serait-ce pas mieux pour les deux côtés? Nous sommes voisins! Tout proches l’un de l’autre! « En Occident, vous avez peur des Frères musulmans, mais c’est à cause de la propagande de l’extrême-droite et des sionistes… Vos médias et vos politiciens sont à genoux devant le lobby juif. »

Khaled HAMZA, la « révolution » a chassé le président Moubarak, mais l’armée a récupéré le pouvoir et les anciens partisans du régime sont toujours aux commandes. Comment percevez-vous la situation actuelle en Égypte? La « révolution » est-elle un échec?

Khaled HAMZA : Non, la révolution n’est pas un échec. Je pense même que la révolution a eu des résultats importants et a déjà atteint une bonne partie de ses objectifs. Bien sûr, nous sommes conscients qu’il y a des traitres, qui essaient de favoriser une contre-révolution.

Mais le peuple est très attentif à cela et nous savons qui sont les traitres. Et nous avons différents plans pour faire face à ces actes antirévolutionnaires. Ce qui nous rassure, c’est que la majorité des gens, en Égypte, est du côté de la révolution. Nous pouvons donc mobiliser facilement les gens, ici, sur la place Tahrir, et relancer la révolution; et pas seulement les Frères musulmans, mais aussi de nombreux partisans. Mais nous savons que Moubarak a aussi de nombreux partisans, qui voudraient s’opposer à ce qu’il soit jugé et que justice soit faite. Aussi, nous militons tous les jours et nous informons les gens pour qu’ils restent sur leurs gardes et ne laissent pas la révolution s’éteindre. Donc, ce que vous dites est vrai, mais nous sommes certains de pouvoir faire face.

Mais comment l’opposition pourra-t-elle faire face à la machine d’État de Moubarak qui, dans les faits, est restée au pouvoir, tandis que l’armée encadre étroitement la population? L’opposition n’est pas organisée. Comment pourra-t-elle relancer la révolution?

Khaled HAMZA : Nous sommes plutôt confiants dans l’armée, en réalité, car elle n’a pas été corrompue par le régime de Moubarak; et nous avons confiance dans le processus qui est organisé maintenant par l’armée égyptienne. L’armée, c’est très différent de la police, du ministère de l’intérieur et de tous les tenants du régime de Moubarak. Mais nous ne sommes pas non plus naïfs : nous gardons un oeil sur ce que fait l’armée et nous nous assurons qu’elle va bien dans le sens voulu par le peuple. Je ne crois pas que l’armée soit contre la révolution. Par contre, la mafia de Moubarak, la police, les hommes d’affaires corrompus, bref tous ceux qui ont profité des faveurs de Moubarak, eux, ils sont dangereux; et nous sommes en train de faire un nettoyage révolutionnaire de ces gens-là. Nous voulons qu’ils soient jugés et nous voulons qu’ils restituent à l’État l’argent qu’ils lui ont volé.

Pour cela, nous avons commencé à les dénoncer dans nos médias : nous faisons tout ce qu’il faut pour maintenir en vie l’esprit de la révolution et ne pas laisser les gens se rendormir. Nous sommes bien organisés de notre côté et, si l’armée tient sa promesse, nous arriverons à nous débarrasser de la mafia de Moubarak.

Pourtant, lorsque je suis arrivé au Caire, il y a quelques jours, après la chute de Moubarak, j’ai constaté que c’est l’armée qui a fait évacuer la place Tahrir. C’est l’armée qui a arrêté les derniers manifestants qui refusaient de la quitter. Et, en ce moment, c’est elle qui surveille les manifestations. Cela donne l’impression que l’armée veut faire croire qu’elle est avec le peuple, mais, en réalité, qu’elle protège le régime et se tient prête à réagir au moindre débordement.
N’êtes-vous pas un peu trop optimiste?

Khaled HAMZA : Oui. Vous avez peut-être raison. Mais, si les choses sont ainsi et que l’armée ne laisse pas la révolution aller jusqu’à sont terme, alors, les gens seront à nouveau dans les rues, par millions, et manifesteront jusqu’à ce que leurs exigences soient acceptées. Pour répondre plus concrètement à votre question, je dirais que, effectivement, nous savons que l’opposition a du mal à s’organiser et que les partis politiques sont très faibles en Égypte. Mais nous, nous sommes en mesure de guider le peuple et de les informer, si les choses devaient tourner mal.

Je veux être bien clair : les Frères musulmans n’ont pas l’ambition de contrôler la scène politique égyptienne. Mais il est un fait qu’il faut une opposition active et solide en Égypte. Et les jeunes, place Tahrir, nous soutiennent et nous acceptent; c’est dans notre intérêt  de travailler ensemble. Nous ne voulons pas contrôler le parlement. Nous voulons laisser l’opportunité à d’autres partis politiques de s’exprimer. Mais je crois que nous aurons au moins un tiers des sièges au parlement. Au moins, nous serons assez forts pour empêcher les ennemis de la révolution de faire revenir le pays en arrière.

Et les liens de l’armée avec le Pentagone et l’influence que les États-Unis pourraient avoir sur les événements ne vous inquiètent pas?

Khaled HAMZA : Non, cela ne nous fait pas peur. L’armée a été très proche de Washington, effectivement, mais elle doit maintenant choisir entre Washington et les droits des Égyptiens. Elle ne peut pas éternellement s’opposer au peuple. Les gens veulent maintenant être indépendants de l’administration américaine et l’armée ne peut plus faire ce qu’elle faisait quand Moubarak était au pouvoir, servir les intérêts de l’Amérique et collaborer avec elle, au détriment du peuple égyptien.

Je le répète : si l’armée trahissait la révolution, nous saurions mobiliser des millions de personnes pour reprendre la rue. Les Frères musulmans sont bien au courant des accords qui avaient été passés entre les États-Unis et le gouvernement égyptien; et nous saurons mettre de l’ordre dans tout cela.

Vous semblez très sûrs de votre force. C’est d’ailleurs ce qui inquiète beaucoup d’observateurs, en Europe, qui craignent l’islamisme et l’instauration en Égypte d’une république sur le modèle iranien. Que leur répondez-vous?

Khaled HAMZA : Tout d’abord, qu’il y a de nombreux points de vue différents au sein du mouvement des Frères musulmans. En Occident, vous avez peur des Frères musulmans, mais c’est à cause de la propagande le l’extrême-droite et des sionistes. En fait, ce sont les musulmans qui devraient avoir peur de ce qui se passe en Occident, c’est-à-dire de l’attitude de plus en plus islamophobe, radicale, non seulement d’une partie de votre population, mais même de vos gouvernements. Vos médias ne sont pas libres. Vous le savez. Le lobby sioniste est très puissant dans votre pays, la Belgique. Il l’est aussi en France. Nous le savons bien, ici. Nous sommes bien informés.

Et vous ne pouvez pas dire ce que vous voulez. Vos médias et vos politiciens sont à genoux devant le lobby juif. D’ailleurs, en Europe, il y a des lois qui interdisent aux universités de faire de la recherche sur la Shoah et sur les chambres à gaz, non? Ce sont donc vos politiciens qui vous dictent ce qu’est la vérité historique et ce que vous devez enseigner à vos étudiants. Ils vous dictent ce que vous devez croire et penser. Vous êtes historien. Vous trouvez cela normal? Cette situation vous convient? Vous appelez cela « la liberté de pensée » et « la liberté d’expression »? Vous-même, n’avez-vous pas eu quelques ennuis pour avoir critiqué les meurtres commis par Israël en Palestine? Vous voyez donc bien que vous n’êtes pas libre de dire ce que vous voulez… En vérité, nos intentions sont tout à fait démocratiques : nous voulons mener l’Égypte vers la démocratie, uniquement par des réformes parlementaires.

Nous défendons la liberté, la liberté de croire et de parler. Et nous défendons la laïcité de l’État. Tout cela est exprimé sur notre site web officiel, grâce auquel nous espérons combattre l’islamophobie et les mensonges qui sont répandus contre les Frères musulmans. Il n’y a donc aucune raison d’avoir peur des Frères musulmans. Les Frères musulmans ne sont finalement pas très différents des partis politiques chrétiens que vous avez en Europe occidentale, de la démocratie chrétienne.

Vous représentez la tendance progressiste de l’organisation des Frères musulmans. Mais il y a les partisans d’une attitude plus radicale, plus traditionaliste. Ne voudront-ils pas, eux, si vous accédez au pouvoir, transformer l’Égypte en une république islamique ?

Khaled HAMZA : Non ; ce n’est pas notre but. Tous les documents politiques que nous avons produits le disent : nous sommes pour la pluralité politique, pour la laïcité de l’État et pour des réformes politiques pacifiques. Les mots charia et djihad font très peur en Occident et certains les associent volontiers aux Frères musulmans. Mais, pour nous, la charia ne signifie pas qu’il faille imposer des lois aux gens ; la charia, c’est plutôt une inspiration, qui mène à la justice et à l’égalité, à la liberté. Vous voyez, c’est exactement comme à l’époque de la révolution française ! Je vous le redis : ne vous laissez pas influencer par certains médias occidentaux qui agissent avec des intentions malhonnêtes pour discréditer les Frères musulmans ; nous croyons sincèrement en la démocratie. Tout ce que nous voulons, c’est mettre un terme à la dictature et au régime de Moubarak. Et nous ne voulons pas répéter l’expérience iranienne ou l’expérience soudanaise.

Si vous voulez nous comparer à un mouvement que vous connaissez probablement mieux, je dirais que nous sommes très semblables à l’AKP en Turquie. Et nous pouvons rassurer le monde entier sur nos intentions. Pour être rassurés, je leur dit : attendez et vous verrez.

Et quelle sera votre position dans le conflit israélo-palestinien, si la révolution aboutit ?

Khaled HAMZA : Je tiens à dire tout de suite que nous sommes pour le respect des traités passés par l’Égypte avec Israël et que nous ne voulons attaquer personne. Mais, si l’Égypte est attaquée, nous nous défendrons. Et nous ne pouvons plus rester silencieux à propos de la souffrance des Palestiniens. Nous utiliserons donc tous les moyens légaux pour parvenir à imposer la justice au Moyen-Orient, une justice égale pour tous. Notre message s’adresse aux leaders occidentaux : ne laissez plus Israël vous acheter des armes et s’attaquer aux Palestiniens et découper leur terre. Cela rendrait déjà plus difficile pour les Israéliens l’organisation de l’oppression des Palestiniens. Au contraire, faites pression sur Israël pour que cet État respecte le droit international et les décisions de l’ONU.

Le XXIème siècle sera-t-il le siècle du monde arabe ?

Khaled HAMZA : Je le crois. Il est temps que les peuples arabes fassent entendre leur voix. C’est comme en Europe dans les années 90’. Nous devons nous lever, comme ils l’ont fait en Europe de l’Est, et nous devons faire tomber notre mur de Berlin. Nous devons nous battre contre les régimes totalitaires et nos dictateurs. Nous ne sommes pas en train de faire une révolution islamique, comme en Iran. C’est une révolution pour tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, une révolution pacifique, non-violente, contre l’oppression qui existait de la part du gouvernement égyptien sur le peuple égyptien. Son avenir est dans les mains des Arabes et nous ne voulons absolument pas d’une ingérence occidentale dans nos affaires.

La révolution a été faite uniquement par le sang de nos martyrs. Ils ont ouvert une ère meilleure pour les Égyptiens et l’Égypte sera un exemple pour les autres pays arabes. Mais l’Égypte peut aussi être un excellent modèle pour les jeunes européens…

 

Pierre Piccinin

Pierre Piccinin

Pierre Piccinin, professeur d’histoire et de science politique à l’Ecole européenne de Bruxelles I. Domaine de recherche: histoire ancienne et contemporaine et particulièrement du Moyen-Orient.