Frontex et l’Union européenne : responsabilité envers les violations des droits de l’homme

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En dépit de l’importance grandissante de son rôle dans la gestion du phénomène migratoire au niveau européen, il semble que le caractère et les retombées juridiques du rôle exercé par Frontex, l’Agence pour la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne, ne soient pas clairement définis.

Frontex est, par exemple, fréquemment critiqué pour l’absence de cadre juridique gouvernant ses activités. C’est réellement un problème étant donné l’importance de vérifier si, et dans quelle mesure, l’Union européenne peut avoir une responsabilité envers les violations des droits de l’homme perpétrées lors des opérations de contrôle des frontières menées par l’agence européenne Frontex.

L’identification précise de l’entité ou des entités juridiquement responsable(s) des violations de droit de l’homme qui ont frappé un ou plusieurs individus est en effet préjudiciable à l’existence d’un recours efficace pour ces violations.

Les activités de Frontex doivent être insérées dans le cadre des compétences de l’Union européenne dans les domaines de l’immigration et d’asile, développées parallèlement aux côtés de l’évolution et du développement de l’Union européenne elle-même. Selon le règlement de Frontex, le but principal de l’agence est l’amélioration de la gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, bien qu’il soit clairement établi que « la responsabilité des contrôles et de la surveillance des frontières extérieures incombe aux États membres » (1). Pour réaliser son mandat, un certain nombre de missions a été confié à l’agence ; la plus importante d’entre elles est celle de coordonner les opérations conjointes et les projets pilotes (2). Chacune de ces missions repose sur une stratégie opérationnelle mise en place par le directeur général de l’Agence (3).

Selon l’article 3(1), Frontex « évalue, approuve et coordonne les propositions pour les missions conjointes et les projets pilote faites par les États membres ». Il est important de noter qu’initialement, l’initiative de toute opération conjointe devait venir de l’un ou de plusieurs États membres, comme le mentionne l’article 3(1) et à cet égard, l’Agence pouvait seulement « lancer des initiatives ». Cependant et suite aux amendements, le nouvel article 3(2) prévoit que l’Agence « peut elle-même initier et mettre en œuvre » de telles opérations, en accord avec le pays hôte. Des gardes-frontières locaux ou des agents « invités » (agents des corps de gardes-frontières d’autres États membres) sont déployés dans les opérations conjointes : investis de pouvoirs exécutifs, ils demeurent sous le commandement et sous l’autorité du pays hôte (4), à l’exception des mesures disciplinaires qui, elles, relèvent du pays d’origine (5).

Ces opérations impliquent un certain nombre d’activités qui sont réglementées par de nombreux régimes de droit international qui se chevauchent. Le droit de la mer, le droit relatif aux réfugiés, les droits de l’homme et les règles conventionnelles et coutumières se côtoient dans la réglementation des opérations en mer, comprenant les interceptions des navires.

Ce dernier aspect, en particulier, cause de graves problèmes : un certain nombre d’agissements, allant des techniques de dissuasion aux procédés d’expulsions irréfléchies et collectives, sont les plus fréquemment utilisés par les États membres à leurs frontières. De tels actes se retrouvent, dans certains cas, dans les pays tiers sur fond d’accords favorables conclus entre l’État membre de l’Union européenne concerné et un ou plusieurs pays tiers (6).

Ces pratiques semblent être aussi prépondérantes dans le cadre des opérations menées par Frontex. L’Agence est par conséquent sévèrement critiquée en raison de graves et nombreux rapports de violations des droits de l’homme et en particulier, celui du principe de non-refoulement (7).

La situation est, par ailleurs, amplifiée par le fait que les mesures de prévention des entrées des migrants dans les États membres de l’Union européenne apparaissent être la mission la plus importante de Frontex (8).

Dans le cadre de ses opérations, il est donc essentiel que Frontex instaure des règles précises. Bien que le règlement initial de Frontex ne contenait pas de mention spécifique sur les dispositions à appliquer dans le contexte de ses missions ni ne contenait d’informations particulières concernant les droits de l’homme, il est dès à présent clairement précisé et reconnu que Frontex doit se conformer aux « obligations liées à l’accès de la protection internationale, en particulier celles du principe de non-refoulement et celles des droits fondamentaux (9). »

En sa qualité d’Agence de l’Union européenne, il en résulte que les obligations de Frontex sont celles de respecter la législation principale de l’Union européenne, comprenant la charte des droits fondamentaux ainsi que la législation de l’Union européenne sur les contrôles des frontières, notamment le SBC.

En ce qui concerne les États impliqués dans les missions de Frontex, ils sont tous dans l’obligation de prêter assistance à tout individu en situation de danger ou en détresse en mer (10). Le droit de demandeur d’asile, mentionné ci-dessus, et l’interdiction de refoulement, qui sont de première importance dans ce contexte, obligent aussi les États à engager des opérations de contrôle aux frontières (11).

En résumé, les principes fondamentaux qui sont en jeu, surtout ceux relatifs à l’interdiction de refoulement et à l’obligation de sauvetage en mer, doivent être respectés tant par Frontex que par les États membres de l’Union européenne. Néanmoins, comme rapporté très fréquemment par de nombreuses organisations non gouvernementales, les violations des droits de l’homme à l’encontre des migrants surviennent lors des opérations de contrôle aux frontières.

Comme mentionné ci-dessus, il est crucial d’identifier ceux qui sont responsables de ces violations, condition essentielle pour prétendre au droit de recours. Sur ce point, nul doute que les États qui effectuent des opérations de contrôle aux frontières en mer (12), comprenant celles menées par Frontex, seront tenus responsables pour les violations de droits de l’homme subies par des individus sous leurs juridictions (13).

De plus, il peut être utile d’évaluer si, et sur quel fondement, l’Union européenne peut être tenue responsable pour ces agissements ou pour tout acte analogue, étant donné le rôle qu’elle a joué dans ce contexte. S’agissant de la responsabilité de Frontex, il peut être légitimement débattu, de manière générale, que l’agence a le devoir d’assurer le respect des obligations relatives à la protection des droits de l’homme et celles du sauvetage en mer dans le contexte des opérations dont elle s’occupe. Ceci est clairement indiqué dans son règlement.

Par ailleurs, le rôle majeur de Frontex qui est celui d’évaluer, d’approuver et de coordonner les propositions pour de telles opérations ne peut pas être ignoré : la responsabilité de l’Union européenne devrait être reconnue proportionnellement.

Ceci et même si le règlement stipule un commandement exclusif du pays hôte envers les navires déployés dans les opérations conjointes (14). Cet élément représente certainement un critère important qui engagerait la responsabilité des États membres pour les violations survenues dans le contexte de ces opérations, mais ce même élément ne déroge pas à la conclusion précédente. Cet argument peut être soulevé, même plus vigoureusement, en référence aux opérations conjointes mises en œuvre par Frontex sur ses propres décisions et initiatives.

En effet, et en dépit de la responsabilité des États membres de l’Union européenne pour leurs propres actes, Frontex n’est pas relevé de ses responsabilités en sa qualité de coordinateur et il reste pleinement responsable de toutes ses actions et décisions prises sous son mandat (15). Frontex, par exemple, devrait être tenu responsable pour ne pas mettre fin à une opération dès lors qu’il existe une preuve de violations des droits de l’homme (16). En règle générale, la notion de responsabilité devrait être aussi rapprochée du domaine des compétences.

On note que dans le cadre du développement de l’Union européenne, une transmission de compétences non négligeables a été réalisée des États membres vers l’Union européenne, ainsi que dans le domaine du contrôle des frontières (17). Par conséquent et sous cet angle, il est raisonnable de déclarer que la responsabilité de l’Union européenne, à côté de celle des États membres, devrait être aussi reconnue.

En définitive, les obligations de respecter les droits fondamentaux dans le cadre des opérations de contrôle des frontières sont clairement obligatoires pour toutes les entités impliquées dans ces opérations ; toutes ces entités devraient être ainsi tenues responsables pour leurs violations, le cas échéant.

Une autre question, subsiste néanmoins, pour autant que la responsabilité est établie : le manque de solutions efficaces qui reste une difficulté majeure, laissant les individus impuissants à réagir aux violations dont ils peuvent avoir été les victimes. Un dispositif de traitement des plaintes n’existe pas chez Frontex (18).

En outre et à ce stade, il n’est pas possible de porter plainte au ECHR pour une atteinte de la Convention commise par l’Union européenne. Comme les solutions judiciaires sont inexistantes au niveau international, aux fins de tenir les IOs responsables pour les violations de droits de l’homme, les victimes potentielles n’ont alors qu’une seule option, celle des recours internes.

En effet, les recours internes des États membres de l’Union européenne sont les principales instances d’application de la loi de l’Union européenne, comprenant la charte des droits fondamentaux, adressée aux « institutions et corps de l’Union » (19), y compris celles adressées aux agences de l’Union européenne.

Pour conclure et malgré les commentaires renvoyant Frontex comme simple coordinateur des actions des États, l’Agence joue, en définitive, un rôle très important ; ce rôle, sous certaines conditions, peut très bien engager la responsabilité de l’Union européenne selon la loi internationale.

Naturellement, toute conclusion mentionnée ici en matière de responsabilité peut seulement être aléatoire, compte tenu du peu d’informations sur qui se passe lors des opérations conjointes menées par Frontex. Cette observation, cependant, ne retire pas l’importance de clarifier les règlements et les responsabilités de Frontex, ceci restant une condition nécessaire pour le respect de la loi en vigueur. Ceci peut potentiellement et dans une plus large perspective, être bénéfique et améliorer la protection des droits de l’homme pour les individus impliqués dans les opérations de Frontex.

(1) Règlement Frontex, Article 1.

(2) Selon le rapport d’évaluation externe effectué par COWI, délivré le 15 janvier 2009, les opérations conjointes répondent « aux besoins pour plus de 75 % des coûts de fonctionnements de Frontex ».

(3) Règlement Frontex, Article 3(a).

(4) Conférence « La faisabilité d’un corps européen de gardes-frontières : une perspective de praticien », l’académie de droit européen (ERA) & Frontex Varsovie 28-29 octobre 2013.

(5) Droits fondamentaux, Agence, Enjeux de la solidarité de l’Union européenne et des droits fondamentaux de Frontex, publié dans le cadre des droits fondamentaux aux frontières maritimes méridionales de l’Europe (2013).

(6) Ceci est la pratique effectuée par l’Espagne avec le Sénégal et la Mauritanie.

(7) Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeau, Addendum, Mission en Grèce, Nations Unies DOC. A/HRC/23/46/Add.4 (2013), at 5 ; Pro Asyl, Repoussés. Violations systématiques des droits de l’homme contre les réfugiés dans la mer Égée et des côtes gréco-turques, à 4 et séq (2013). UNHCR, Syriens en Grèce : Protection, considérations et Recommandations de UNHCR, 17 avril 2012 : Amnesty International, Frontières Europe –  Violations des droits de l’homme aux frontières grecques avec la Turquie (2011) ; S. Keller, U. Lunacek, B. Lochbihler, H. Flautre, Frontex, Agence qui respecte les droits de l’homme ? des travaux effectués par Migreeurop sur les frontières extérieures européennes, Agence en vue de la révision de son mandat (2011) ; Migreeurop, EMHRN, FIDH? Frontex, entre Grèce et Turquie. À la limite du déni, Rapport de la campagne Frontexit (2014).

(8) FRONTEX, Rapport annuel 2006-2007, at 8, 13 ; voir B. Vandvik, Contrôle des frontières extraterritoriales. Devoir de protection: Une perspective de Ecree, Forum de Droit, Amsterdam (2008).

(9) Règlement de Frontex, Article 1.

(10) Une norme du droit coutumier, codifié aussi dans UNCLOS, article 98. Voir G. Goodwin-Gill, Les réfugiés en droit international 157 (1996).

(11) Voir inter alia, art. 13 of the 1948 Déclaration universelle des droits de l’homme, Nations unies. Doc A/810, and art. 12, Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), 999 UNTS 171.

(12) Voir V. Moreno-Lax, Recherche des responsabilités et secourir les droits: Frontex, Projet de directives pour les opérations conjointes en mer et des demandes d’asile en Méditerranée, REFGOV WP Séries FR, voir : http://refgov.cpdr.ucl.ac.be/?go=publications&cat=1&subcat=8.

(13) Ceci dépend du champ d’application du traité applicable.

(14) Règlement de Frontex, Article 10.

(15) Stratégie des droits fondamentaux de Frontex, adoptée par le comité des directeurs de Frontex le 31 mars 2011.

(16) Id., à 4.

(17) Parlement européen, Direction interne des politiques internes, Droit des citoyens et affaires constitutionnels, Justice, Liberté et Sécurité, Application de la Charte de l’Union européenne des droits fondamentaux et son impact sur les agences en matière de sécurité intérieure de l’Union européenne : Frontex, Europol et le bureau d’aide européen des demandeurs d’asile, Travaux 2011.

(18) Rapport spécial du médiateur européen, enquête de propre initiative OI/5/2012/BEH-MHZ concernant la décision de Frontex du 12 novembre 2013.

(19) Charte de l’Union européenne des droits fondamentaux, Article. 51(1).

 

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La rédaction de Grotius International.

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