«Les guerres asymétriques : conflits d’hier et d’aujourd’hui, terrorisme et nouvelles menaces» (IRIS/Dalloz)

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Par Thomas Poulin

Le livre de Barthélémy Courmont et Darko Ribnikar – «Les guerres asymétriques : conflits d’hier et d’aujourd’hui, terrorisme et nouvelles menace» – publié une première fois en 2002, a été réédité en 2009 avec l’ambition de «pousser la réflexion plus loin, alors que la notion d’asymétrie a pris de l’importance, et s’impose désormais dans tous les débats stratégiques». Le livre de Courmont et Ribnikar est composé de dix chapitres abordant chacun une dimension précise des guerres asymétriques.

Les chapitres sont divisés en deux parties traitant respectivement de l’histoire de l’asymétrie et de son avenir. La première, qui comprend les chapitres un à quatre, traite des leçons tirées des expériences passées et définit les contours théoriques de l’asymétrie. La deuxième partie qui s’intitule «les nouvelles menaces et leur avenir» tente de déterminer les tendances lourdes dans l’évolution contemporaine de l’asymétrie.

Le premier chapitre définit théoriquement les notions de dissymétrie et d’asymétrie qui sont «des concepts indissociables l’un de l’autre» (p. 37). La dissymétrie est la recherche, par l’un des belligérants, de la supériorité, de l’avantage décisif, que ce soit qualitativement ou quantitativement. Parce qu’elle demande des moyens importants, la dissymétrie est une stratégie qui est normalement réservée aux États.

L’asymétrie, quant à elle, «consiste à refuser les règles du combat imposées par l’adversaire, rendant ainsi toutes les opérations imprévisibles» (p. 41). Cela implique l’utilisation à la fois «de forces non prévues à cet effet […], d’armes contre lesquels les moyens de défense ne sont pas toujours adaptés […], de méthodes qui refusent la guerre conventionnelle […] et de l’effet de surprise» (p.41). L’objectif étant d’exploiter les faiblesses de son adversaire afin de maximiser son effet de nuisance.

Étant donné le potentiel de nuisance d’une petite force utilisant des tactiques asymétriques, elles sont surtout l’apanage des groupes non étatiques. Dans la première partie, les auteurs identifient aussi deux phases à l’élaboration d’une théorie de l’asymétrie. La première découle de la pratique de la guérilla sur le terrain.

Ses principaux contributeurs sont de célèbres révolutionnaires comme Mao Zedong et Ernesto «Che» Guevara. Les stratégies militaires de guérilla qu’ils ont développées sont fondées sur l’utilisation et le perfectionnement de tactiques asymétriques. Conséquemment à l’importance accrue que l’asymétrie a prise dans le dernier quart du XXe siècle, une deuxième phase de théorisation de l’asymétrie s’est développée. Celle?ci est fondée principalement sur l’étude académique et s’intéresse à des question comme la prolifération des armes de destruction massive et le terrorisme. En raison de ses succès militaires, et parce qu’elle fournit la possibilité de frapper directement au coeur de son adversaire, l’asymétrie est devenue un moyen de guerre largement utilisé à travers le monde.

L’asymétrie, dont l’efficacité a été longtemps limitée en raison des moyens militaires utilisés(1), s’est largement développée à partir du Moyen-Age en raison de l’amélioration des armes de jet, principalement l’arbalète et plus tard le fusil. Qu’ils soient confrontés aux révoltes paysannes chinoises, aux Boers en Afrique du Sud, aux Cosaques russes ou aux Tchétchènes, les grands empires «ont eu à subir les moyens asymétriques de leurs adversaires, avec parfois des conséquences tragiques» (p.79).

L’asymétrie a aussi joué un rôle central dans le mouvement de décolonisation, effectivement, «ce sont des actions de guérilla qui ont mené à mal les forces armées coloniales» (p.89). La superpuissance américaine a elle aussi fait les frais de la guerre asymétrique. À cause de leur position dans le monde, les États?Unis ont dû faire face à plusieurs adversaires asymétriques qui ont mis à rude épreuve son avantage dissymétrique bien avant la Guerre froide, comme aux Philippines, au Vietnam ou au Liban. Cependant, au début des années 1990, ils se sont retrouvés de plus en plus dans des environnements conflictuels pour lesquels leurs forces armées n’étaient pas bien adaptées. Des fiascos comme celui de la Somalie en sont un exemple.

Même dans le plus conventionnel des conflits post-guerre froide, la première Guerre du Golfe, «l’utilisation de Scud contre Israël se révéla un chef-d’oeuvre de l’asymétrie et permit de faire douter les forces coalisées pendant un moment» (p.123). Même le Kosovo, présenté comme une victoire de la doctrine zéro mort, a démontré les capacités très limitées des frappes aériennes à hautes altitudes, et des technologies de la révolution dans les affaires militaires (RAM) en générale, contre des adversaires asymétriques.

Cette crise de la dissymétrie américaine est analysée dans la deuxième partie du livre. Le chapitre cinq examine l’utilisation de la technologie par les puissances occidentales ainsi que des lacunes des quatre écoles de pensée la RAM(2), notamment les limites des frappes aériennes et les difficultés du combat urbain. Les auteurs identifient «trois types de conflits asymétriques contemporains [qui] voient s’opposer une force moderne et une guérilla : l’Irak, l’Afghanistan et les récents conflits opposant Israël et le Hamas, puis le Hezbollah» (p. 205?206).

Le chapitre six fait l’analyse en détail du conflit en Irak. Les auteurs y décrivent les différentes composantes de l’insurrection (laïc, nationaliste, islamique) qui s’est développée suite à la victoire facile de 2003; les nombreuses tactiques asymétriques qu’ils utilisent (voitures piégées, attaques suicides, objets explosifs improvisés); ainsi que l’évolution du conflit vers un conflit intra-étatique.

La partie la plus intéressante de ce chapitre est sans doute celle qui décrit la bataille politique pour le renouvellement de la doctrine contre?insurrectionnelle américaine qui s’est soldée par l’adoption d’un nouveau field manual(3). «Le manuel cite un ensemble de principes qui semble exactement le contraire de ce que fait l’armée américaine en Irak depuis 2003» (p.252). Cette nouvelle stratégie est avant tout fondée sur la réduction des dommages collatéraux, le renforcement des liens de confiance avec la population, la responsabilisation du gouvernement irakien, ainsi que l’amélioration de la collecte de renseignements et de la compréhension sociopolitique du conflit.

Le chapitre sept porte sur la relation entre le terrorisme islamiste et l’asymétrie, notamment sur son origine chez les Assassins et sur la nouvelle menace que constitue le terrorisme international dans le monde après le 11 septembre.

Par son caractère non étatique et son absence de localisation géographique(4), ce type de terrorisme pose «une menace indécelable» (p.284) à la sécurité occidentale. Et ce, en plus des menaces posées par la prolifération des armes de destruction massive décrite dans le dernier chapitre. Que ce soit avec les armes biologiques, chimiques et nucléaires, ou encore les Hight Altitude Electromagnetic pulses, le risque que des acteurs mal intentionnés utilisent ces moyens pour causer d’importants dégâts est réduit, mais reste très réel. La prolifération des menaces asymétriques rend très difficile la tâche d’assurer la sécurité dans les pays occidentaux qui sont mal outillés pour y faire face. Les acteurs non étatiques usant de tactiques asymétriques posent aussi un danger à l’intégrité de plusieurs États faibles.

Bref, les États-Unis se trouvent dans une situation où ils sont difficilement capables d’assurer leur sécurité et celle de leurs alliés devant ces nouveaux défis asymétriques. À moyen terme, cela risque de sérieusement compromettre leur rôle prédominant dans le système de sécurité internationale contemporain. Certains lecteurs seront peut?être quelque peu déçus que le livre n’élabore pas en profondeur le rôle important de l’asymétrie dans les conflits africains, à l’exception du cas de la Somalie qui est traité dans le chapitre trois en raison de l’implication américaine.

Pourtant, l’asymétrie est une caractéristique commune à un nombre très important de conflits africains. Plusieurs acteurs asymétriques particulièrement déstabilisateurs, comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) et les milices Janjawid, ont développé un genre de conflit asymétrique qui possède les principales caractéristiques décrites par le livre (support régional, accès à des sources de revenus, nature des acteurs), mais aussi certains traits particuliers qu’il aurait été intéressant d’aborder, dont, entre autres, l’utilisation d’enfants soldats, l’importance accrus des ressources naturelles et la présence répandue d’opérations de paix.

« Les guerres asymétriques : conflits d’hier et d’aujourd’hui, terrorisme et nouvelles menaces », de Barthélémy Courmont et Darko Ribnikar, offre une analyse rigoureuse d’un type de conflit qui représente le type d’environnement auquel font face les forces armées étatiques. Le livre a le mérite de faire une très bonne présentation théorique et mise en contexte historique de l’asymétrie.

Plusieurs des leçons dégagées par les auteurs sont pertinentes pour l’ensemble des efforts de consolidation de la paix. Pour la plupart, les missions de paix récentes sont déployées dans des pays qui sortent de conflits en grande partie asymétriques et, dans plusieurs cas, les troupes déployées font directement face à des violences asymétriques qui compromettent souvent le succès des efforts internationaux.

(Publication ROP)

Courmont, Barthélémy et Darko Ribnikar, «Les guerres asymétriques : conflits d’hier et d’aujourd’hui, terrorisme et nouvelles menaces», 2009, Paris : IRIS/Dalloz, 2e édition, 426.

Thomas POULIN, B.A. science politique (UQAM) – Auxiliaire de recherche au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix (ROP).

(1) Les batailles rangées de l’antiquité limite en effet grandement l’efficacité et même la possibilité d’utiliser des tactiques asymétriques. (Courmont et Rabnikar p. 60)

(2) L’école du système des systèmes, L’école de la connaissance dominante des champs de bataille, l’école de la portée et du pouvoir globaux et l’école de la vulnérabilité. (Courmont et Rabnikar p. 180)

(3) U.S. Army and Marine Corps. The U.S. Army/Marine Corps Counterinsurgency Field Manual. Chicago: University of Chicago Press, 2007. 472p.

(4)
Ces caractéristiques limitent aussi l’ampleur des actions que peut entreprendre ce type de terrorisme. Des activités trop vastes, trop voyantes compromettent en effet sérieusement le caractère invisible de la menace. (Courmont et Rabnikar p. 300-305)

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