La mobilisation a été exceptionnellement rapide et pourtant les critiques n’ont pas manqué, et vont se poursuivre, de la part de ceux qui ne comprennent pas que l’organisation n’ait pas été en place le jour même, avec de l’eau partout, des secouristes à pied d’œuvre, des hôpitaux de secours opérationnels, du stockage de nourriture, et bien sûr des engins de déblaiement. Tout cela s’est pourtant mis en ordre de marche en quelques jours et d’une manière globalement assez exemplaire.
En dépit de la difficulté à aider un Etat faible, sans autorité, on est entré dans une belle mécanique d’horlogerie et plus exactement de perfusion pour aider un million de personnes à reprendre pied et à sortir de l’état de sidération dans lequel la catastrophe avait plongé la ville et ses environs.
L’impasse de la reconstruction
Avant le séisme une grande partie de la ville de Port-au-Prince était un chaos anarchique, sans réseau d’eau, ni d’assainissement correct, souvent sans électricité. Les services du cadastre, qui ne couvraient qu’une faible partie de la ville, ont disparu. Les questions posées : doit-on reconstruire à l’emplacement de Port-au-Prince, avec quelles normes, quel urbanisme, sur des terrains appartenant à qui ? Quelle autorité assurera la définition et l’application de ces nouvelles règles? N’ayant toujours pas trouvé de réponse, il faut parler plutôt en terme de décennies que d’années pour imaginer la reconstruction de la capitale.
Cette capitale a grossi au cours des précédentes décennies, les Haïtiens de l’intérieur venant chercher de l’argent, de l’éducation… de la sécurité. Surdimensionnée, la ville avait escaladé des zones inconstructibles ou la rive littoral insalubre du bidonville de Cité Soleil ou de Martissant, rendant déjà impossible avant le séisme toute politique cohérente d’urbanisme.
Après le séisme, une partie importante de la population, difficile à évaluer, a cherché à trouver refuge à l’intérieur du pays exerçant une forte pression sur des régions exsangues du point de vue des ressources alimentaires, de l’équipement, de l’emploi et des capacités de scolarisation. Quelques semaines plus tard, les gens sont revenus sur Port au Prince asphyxiant à nouveau la ville.
Le redéploiement en région
Alors, le bon sens et quelques voix de la société civile haïtienne ont prôné le redéploiement d’une partie de l’aide pour revitaliser les régions et freiner le retour vers la capitale pensant qu’il fallait saisir là, l’occasion d’un rééquilibrage du pays. Le contexte urbain des villes de l’intérieur offre un cadre plus adapté que la capitale sinistrée à des actions de développement. Dans l’environnement délaissé des campagnes, d’innombrables communautés, de toute obédience, existent et peuvent relayer une aide massive en contribuant à inverser l’exode vers Port-au-Prince.
Une aide non seulement massive, mais répondant à tous les besoins d’une population en grand dénuement. En terme de santé, de nourriture, d’accès à l’eau, d’éducation, de relance agricole, de culture en évitant le saupoudrage des projets et les actions isolées sans coordination entre elles, afin d’atteindre le seuil qui assure un effet d’entraînement économique local. Les grandes ONG françaises qui ont la confiance des donateurs, une bonne connaissance des réalités haïtiennes, souvent un acquis dans des réalisations qui auraient pu être exemplaires (si elles n’avaient pas été isolées), ont été accaparées par l’urgence, l’ampleur de l’aide à apporter aux populations directement sinistrées, le surmenage des équipes.
La concentration des ressources humaines, des moyens financiers, la manne du cash for work (argent contre travail) à très grande échelle s’est cantonné à la capitale enflant à nouveau le mouvement d’exode rural. L’argent manquant, le mouvement va bientôt s’arrêter, le dévouement de centaines d’humanitaires va se reporter sur d’autres fronts, les ressources financières de l’aide à Haïti se trouvant épuisées, laissant Port-au-Prince dans un état de total délabrement, 3% des gravats ayant été évacués en un an…
Une politique volontariste de déploiement intégrée aurait pu être menée en région parallèlement aux actions d’urgence par un consortium d’ONG appartenant à des domaines d’intervention complémentaires, non seulement pour rétablir des conditions de vie décente aux populations, mais pour inciter des habitants de la capitale à rester en province. Une mobilisation significative, en régions, de nos ONG, performantes, professionnelles, partageant les mêmes valeurs, aurait été un facteur d’entraînement pour inciter le déblocage des promesses d’ aides des Etats aujourd’hui paralysées par l’absence de lisibilité des intentions du gouvernement. Elles pouvaient le faire avec une grande légitimité, en lien avec la société civile haïtienne, pour venir durablement en aide à une population incroyablement aguerrie, résistante et encore debout dans cette descente aux enfers toujours plus profonde.
Une occasion manquée ?
Jean-François Lamoureux
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- Haïti, une occasion manquée… – 9 janvier 2011