Dès 1862, soit plusieurs mois avant l’adoption de résolutions portant sur la création de comités de secours, Henry Dunant cherche à en créer un à Paris. Il suit ainsi la première suggestion faite dans son livre Un souvenir de Solférino qu’il vient juste de publier. De nombreuses personnes en vue approuvent l’initiative de Dunant qui insiste sur la stricte neutralité religieuse et politique que doit avoir le futur comité.
Après la Conférence d’octobre 1863 où sont adoptées les fameuses Résolutions, Dunant reprend ses démarches à Paris. En effet, les délégués français présents à la Conférence de Genève n’avaient pas caché leur opposition à la création de sociétés composées de volontaires chargés d’aller œuvrer sur les champs de bataille. Aussi, avait-il fallu toute l’habileté d’un Maunoir, membre du Comité de Genève, pour qu’ils acceptent de prendre part aux débats de manière positive. Contrairement à Napoléon III, le maréchal Randon, ministre de la Guerre, a désapprouvé le livre de Dunant qu’il avait perçu comme étant dirigé contre la France car Dunant y montre les insuffisances des services sanitaires des armées. A l’époque en effet, «la supériorité des institutions sanitaires» françaises est reconnue par tous. Aussi, ne fallait-il rien attendre des Français.
Randon s’oppose fermement au projet de Dunant, mais celui-ci reçoit une aide décisive de l’empereur qui, en décembre 1863, lui fait adresser une lettre dans laquelle il lui dit tout le bien qu’il pense de son projet et que le maréchal Randon devra autoriser des officiers d’un grade élevé à devenir membre du futur comité. Le ministère de la Guerre doit donc changer d’attitude vis-à-vis du Genevois. Randon se soumet, mais de mauvaise grâce. Par écrit, il s’enquiert auprès de Dunant du but du comité, des personnes qui en feront partie, de l’attribution de la présidence, ou encore du lieu de réunion. Dunant s’abstient de répondre aux questions du ministre et se propose de le rencontrer lors de son prochain passage à Paris. Puis, le 21 mai 1864, en tant que secrétaire de la Conférence d’octobre 1863, il envoie une circulaire à 60 personnes pour qu’elles participent le 25 du mois à une «réunion préparatoire» en vue de la création d’un comité français.
Dunant a envoyé sa circulaire à des bonapartistes, des légitimistes, des orléanistes et des républicains. Il réussit ainsi à réunir autour de lui «tout ce que Paris [compte] d’illustrations politiques, financières, scientifiques, mondaines et militaires». Il ne fallait en effet pas que l’on put penser que la future société avait épousé tel ou tel parti politique, ou même telle ou telle religion.
Une organisation juridique et administrative du comité élaborée par Dunant
Lors de la réunion du 25 mai 1863, Dunant insiste sur l’importance de l’enjeu. En août prochain, doit se réunir la Conférence diplomatique devant adopter la première Convention de Genève posant notamment le principe de la neutralité des personnels sanitaires. La France, qui apporte sa caution à cette Conférence, se doit de posséder un comité de secours.
Mais Dunant ne veut pas heurter les susceptibilités françaises. Aussi, indique-t-il que le comité n’aura pas, comme celui de la Prusse, à demander des améliorations aux services sanitaires des armées. En revanche, il pourra par exemple encourager et récompenser les inventions des particuliers tendant au perfectionnement des moyens de transport des blessés, des fourgons chirurgicaux ou encore des ambulances volantes.
Puis, Dunant présente un projet de règlement organisant le fonctionnement du futur «Comité Central français» calqué sur les dix Résolutions de 1863 auxquelles le comité s’engage à adhérer. L’article 1er prévoit qu’il «existe à Paris un Comité central français qui a pour objet de concourir, par tous les moyens en son pouvoir, au soulagement des blessés et des malades sur les champs de bataille et dans les hôpitaux». L’article 2 mentionne la création de sections un peu partout dans le pays. Le comité français, prévoit-il, établira des relations avec le Comité de Genève et les comités nationaux.
L’auditoire du Genevois approuve le discours introductif et le règlement. Aussi, une «Commission spéciale» est-elle tout de suite créée et placée sous le protectorat de l’empereur. Puis la Société se constitue définitivement le 11 mars 1865 lors de l’adoption de ses statuts. Ceux-ci reprennent les dispositions prévues par Dunant. La Société adhère aux Résolutions de 1863 et au Traité de 1864. En 1866, elle est déclarée établissement d’utilité publique après avoir modifié son nom pour étendre ses compétences aux blessés et aux malades des armées de mer ; elle s’intitule «Société de secours aux blessés des armées de terre et de mer».
Une Société qui subit les conséquences des difficultés intérieures françaises
Après la défaite militaire de 1870 et le bouleversement politique qui a suivi, la Société française de secours est mise en accusation. On lui reproche, son absence de préparation en 1870 et surtout, on l’accuse d’être un vestige de l’empire déchu. En outre, les femmes, qui ont pris une grande part dans l’œuvre de la Croix-Rouge, souhaitent occuper une place autre que celle qui leur réservée. En 1867, avait été créé au sein de la Société, un Comité de dames. Pourtant, après la guerre franco-allemande, se posaient des questions relatives au rôle des femmes dans la Société, à leur instruction ou encore à leur appartenance sociale. D’où un schisme en 1879 au sein de la Société de secours et la création d’une autre société, laquelle connaît à son tour une scission en 1881.
En 1879, en effet, le docteur Duchaussoy crée une société de sensibilité républicaine — l’Association des Dames françaises — rivale de la Société de secours. Un décret de 1886 lui confie les mêmes responsabilités que celles attribuées à la Société née en 1864. De plus, elle est autorisée à arborer le drapeau blanc à croix rouge. En 1881, une autre société, l’Union des Femmes de France est fondée par Mme Kœchlin-Schwarz, qui est aussi reconnue d’utilité publique et peut également utiliser le signe de la croix rouge. Les deux sociétés dissidentes de la première sont perçues comme étant plutôt anticléricales et républicaines. Leur composition diffère un peu de celle créée par Dunant, qui a un recrutement plus aristocratique et bénéficie du soutien de l’Eglise. Néanmoins, ces différences demeurent ténues.
Cette situation est inadmissible pour Genève, gardien de la Charte de la Croix-Rouge — formée par les Résolutions de 1863 —, qui prévoit, on l’a vu, la création dans un Etat d’une seule Société nationale. Aussi, Paris est-il accusé d’hérésie par Genève durant plusieurs années. La fédération des trois sociétés paraît finalement être la seule solution qui puisse convenir à toutes les parties. Mais celle-ci n’intervient qu’en 1907 grâce au jurisconsulte Louis Renault. Un accord, signé par les trois sociétés le 21 janvier 1907, constitue un «Conseil central de la Société française de secours aux blessés militaires». Son président est celui de la Société de secours aux blessés militaires. Sa principale mission est de représenter la «Croix-Rouge française» dans ses relations internationales, notamment avec le Comité international de la Croix-Rouge.
En revanche, il n’intervient pas dans l’administration intérieure de chacune des sociétés qui conservent ainsi leur autonomie. Plus tard, l’accord du 20 janvier 1913 confirme la primauté de la Société de secours, mais permet à chacune des sociétés de conserver leurs noms respectifs. L’accord prévoit qu’en cas de guerre, le Comité central doit se réunir d’urgence pour décider des mesures à adopter afin de donner plus d’efficacité aux efforts communs pour seconder le service sanitaire des armées. Peu de mois séparaient alors la Croix-Rouge française de la première guerre mondiale.
Bibliographie
H. Dunant, Mémoires, Lausanne, L’Age d’homme, 1971
V. Harouel, Genève-Paris, 1863-1918, Le droit humanitaire en construction, Genève, SHD, CICR, CRF, 2003
Véronique Harouel-Bureloup
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