Kidnapping d’humanitaire : la relation entre ONG et les familles comme part essentielle du soutien aux otages

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Quels sont les leviers dont dispose une ONG pour réduire l’impact psychologique d’un kidnapping sur des otages et leur famille.  En quoi le soutien des familles est-il une des composantes essentielles du soutien psychologique des otages ? Comment permettre le meilleur retour possible à l’otage sur le plan psychologique par l’accompagnement de sa famille tout le long de la crise et la préparation d’un dispositif de sortie/récupération adapté. Exemples et propositions de bonnes pratiques en la matière.

 Quel impact pour les familles et les otages?

 Un kidnapping est un drame, pour les otages bien sûr, qui se voient privés du contrôle de leur vie pendant un temps incertain et confrontés aux limites de leur résistance, mais aussi pour les familles soumises à l’impuissance, l’angoisse et plongées dans une histoire qui les dépasse et les bouleverse.

Ce trajet est celui de la soumission aux événements, aux ravisseurs et à leur volonté, c’est l’épreuve de l’impuissance et de l’attente, des fausses bonnes nouvelles aussi, des menaces incertaines, des pressions et du chantage émotionnel. Enfin c’est aussi l’épreuve du silence.

Pour les otages, la culpabilité d’infliger cette situation à leur famille est immense, comme a pu en témoigner Jean-Louis Normandin : C’est d’avoir fait souffrir nos proches qui nous rend coupables. On s’imagine très bien ce qu’est la vie de celui qui attend, c’est difficilement supportable. »  de même, tous les otages que j’ai pu accompagner racontent cette inquiétude majeure pour leurs proches. Je me rappelle de cette expatriée, kidnappée depuis plusieurs mois et qui, bénéficiant miraculeusement d’un contact téléphonique direct avec son père, a entamé cet échange de quelques secondes en tentant de le réconforter: « Papa il faut avoir du courage ». Le père nous disant par la suite que c’était un comble, tout de même !

Etre otage c’est donc aussi s’angoisser pour ses parents, se demander s’ils vont bien, s’ils tiennent le coup, s’ils sont informés, s’ils comprennent, sont entourés, gardent espoir…

C’est face à cela que l’ONG, fidèle à ses valeurs, sa qualité d’association et donc riche des acteurs qui la composent peut faire la différence : entourer les familles, les soutenir nourrir l’absence et l’impuissance par une présence, solide et confiante.

Soutenir leurs familles c’est également soutenir les otages… Il s’agit donc de remplir ce devoir d’humanitaire engagé mais aussi d’employeur: les risques auxquels s’exposent les expatriés, même en toute conscience, impliquent de la part de l’ONG une prise en charge, la plus humaine et réconfortante possible, de leurs familles. Cela doit même être une promesse faite à chaque expatrié partant sur une mission humanitaire où couve ce type de risques.

 Quels objectifs se fixer autour de quels principes ?

Tout d’abord celui d’assurer une présence soutenue auprès des familles, afin de leur transmettre le maximum d’informations, répondre à leurs questions et leurs besoins, mais également détecter leurs difficultés, soutenir et accompagner leurs états émotionnels, les protéger de certains dégâts collatéraux inattendus.

Cela ne peut être possible que par la construction d’un contact de qualité, mélange de :

– Reconnaissance : Montrer qu’il y a au sein de l’association une véritable reconnaissance de leur détresse. Cela passe par une bonne qualité d’écoute.

– Régularité : Le rythme des contacts entre l’ONG et les familles doit être soutenu, adapté et flexible.

– Disponibilité : Faire en sorte de se rendre disponible pour répondre aux demandes / besoins / questions éventuelles.

– Franchise : Tenir un discours clair et franc, en expliquant de façon transparente la logique de tri et le travail sur l’information qui peut être fait afin de les préserver de certains aléas (rumeurs…) comme de les préparer à tous les scenarii probables.

Et instaurer ainsi une confiance entre eux et l’ONG permettant de fortifier la résistance des otages : le soin donné aux familles atténue le sentiment de culpabilité des otages pendant leur captivité s’ils en ont connaissance mais aussi à leur libération.

La communauté de lien entre l’ONG et les familles crée ainsi un espace d’accueil enveloppant et positif à la libération, déterminant lorsqu’il faut réintégrer la communauté de vivants.

 Le contact

En établissant un lien avec eux dès les premiers jours du kidnapping et durant toute la prise d’otage. Tous les jours, un membre de l’ONG entre en contact avec chacune des familles, tous les jours il fait un point de la situation, récolte les questions et répond à leurs interrogations.

L’ONG constituera ainsi dés les premiers jours de captivité, une équipe dédiée à ces contacts quotidiens. Elle veillera à former et accompagner ces membres, à assurer des rotations pour les ménager, les débriefer régulièrement.

A intervalles réguliers l’ONG réunit physiquement les familles et leur propose de passer en revue la période écoulée, de prendre du recul et d’analyser la situation. C’est l’occasion d’échanger et aussi de se soutenir entre elles, l’occasion de désamorcer les « crises de confiance » et renouveler celle-ci. S’il faut aller à leur rencontre à d’autres moments, un membre de l’ONG se déplace, quel que soit le pays ; s’il faut ajouter une ressource supplémentaire l’ONG le trouve.

On ouvrira aussi, grâce à ce lien, la possibilité de les préserver des rumeurs et circulations d’informations contradictoires qui émaillent ce type de crise et dont l’impact émotionnel peut être violent. De même on pourra contenir les initiatives hasardeuses et risquées que certains peuvent envisager, ou encore les préparer à certaines situations potentiellement délicates ou douloureuses (contact avec la presse, les autorités, gérer les voisins, les amis, parfois présents, parfois pressants).

 L’information

On l’a dit, il est important de nourrir l’attente avec de la compréhension, de l’information. Il s’agit donc de permettre aux familles de se pencher plus en détail, si elles le souhaitent sur le travail de l’ONG, celui de leur fils, fille. Il faut favoriser les échanges avec d’autres expatriés ayant occupé les mêmes fonctions, étant allés dans les mêmes pays, les mêmes missions, sur les mêmes programmes… une question émerge souvent qui a trait aux risques pris par les expatriés en regard des enjeux. Il n’est donc pas rare que les familles souhaitent mieux connaître les tenants et aboutissants de l’engagement de leur proche et qui donneront peut-être un peu de sens au drame.

De même, le contexte, le pays, la géopolitique locale, la culture et l’histoire du pays dans lequel ils ont été kidnappés sont des éléments qui peuvent susciter des curiosités et des intérêts afin de permettre de mieux comprendre les enjeux, peut-être de se faire une image plus précise de la captivité de leur enfant.

On veillera enfin et surtout à les informer au maximum sur le contexte et le suivi opérationnel de la gestion de crise. C’est-à-dire leur expliquer les logiques et les rapports de force qui sous-tendent ce genre de négociation, discuter les analyses, les hypothèses, confronter les points de vue… Cela permet de les rendre acteurs, de les impliquer.

Mais attention, il ne s’agira pas de tous leur dire, sans tri ni vérification, sans analyse ni recul. Délivrer une information qui a du sens, répondre aux questions sur ces thèmes est capital et nécessaire pour les familles, et qui mieux que l’ONG peut remplir cette mission.

La trace

En rédigeant un ‘journal de bord famille’ qui pose par écrit la totalité des contacts (téléphoniques quotidiens, physiques lors de réunion…). Ce journal de bord est un outil capital, source de capitalisation future notamment pour les otages, afin :

– De pouvoir leur transmettre la totalité des échanges effectués avec leur famille,

– De leur rendre la part manquée de leur histoire durant leur captivité = re-parcourir jour après jour ce kidnapping mais du point de vue de l’extérieur, du point de vue de l’ONG et de leurs proches.

– De démontrer le soin pris des familles par l’ONG

– Pour l’ONG, au long cours : garder traces des échanges et donc des évolutions, des informations transmises etc…

En constituant un ‘journal de bord média’. Un tel incident provoque immanquablement des retombés médiatiques, mêmes si celles-ci sont souvent évitées au maximum par l’ONG. Au minimum un communiqué de presse est produit et quelques articles çà et là. Il convient de rester en veille sur toute publication ayant trait de près ou de loin au kidnapping et de compiler l’ensemble des retombées médiatiques. Puis de le transmettre aux otages à leur libération, leur rendant par le même coup une autre part manquante de leur histoire.

La libération

Une libération se prépare, c’est fondamental. Elle se préparer au sein de l’ONG, elle se prépare au sein de la famille. Retrouver des captifs fraîchement libérés dont l’état physique et psychologique sera forcément entamé, est une nouvelle angoisse. Va-t-il être le même, va-t-ils être détruit, joyeux, malade, normal, handicapé, traumatisé… ? Vais-je le reconnaître ? Ces questions tournent et pèsent. Charge une fois encore à l’ONG de préparer les familles, de les armer et d’encadrer ces retrouvailles. Les familles auront un rôle déterminant dans la suite et l’avenir, c’est pour cela qu’il leur faudra être pleinement disponibles afin de devenir des tuteurs de résilience pour leur fils, fille, frère ou sœur.

Dans les premiers temps de la libération, tous les acteurs sont importants (Famille, ONG, psy, amis…), chacun représentant une communauté avec lequel il faut renouer ; et tous ensemble participe  à :

  1. Réintroduire les otages libérés dans un espace et un temps normaux
  2. Amorcer le nécessaire recouvrement de leur autonomie, leur libre arbitre
  3. Les conforter en tant que personnes qui ne sont plus abandonnées
  4. Inciter à la verbalisation, trouver une écoute, partager des récits
  5. Combler le besoin d’information
  6. Réduire les sentiments d’impuissance, d’échec et de culpabilité
  7. Informer en dédramatisant les symptômes à venir
  8. Repérer les sujets fragiles
  9. Tenter de mettre un point final à l’aventure
  10. Les préparer à la suite (retour / familles / média / projets avec l’ ONG etc…)

Afin de remplir ces objectifs, le dispositif de sortie nécessite du temps et de la progressivité. Plusieurs étapes dans ce retour à la lumière et le bruit seront prévues. Les familles et les otages doivent être débriefés séparément puis ensemble avec un tiers externe, psychologue et familier de ce genre de situation complexe. Etre libre après une longue captivité est très violent. Renouer avec les autres, les siens est une étape à ne pas rater. Les ex-otages, comme les familles, ont besoin de cadre dans cette liberté soudaine et ne peuvent accueillir sans difficulté ces émotions intenses et multiples.

L’ONG est donc un acteur incontournable du soutien psychologique. Cette aide essentielle, n’est pas que médicale ou psy, elle est aussi solidaire. En étant simplement ce qu’elle est, l’ONG porte en elle des moyens puissants qui peuvent faire la différence dans cette épreuve du kidnapping.


Cyril Cosar

Cyril Cosar

Cyril Cosar, psychologue, a occupé pendant près de 6 ans la responsabilité du soutien psychologique des humanitaires à Action Contre la Faim. Il en est administrateur depuis 2010.