L’irruption des droits de l’homme dans l’ordre économique international: Mythe ou réalité

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Droits de l'homme dans l'ordre économique mondialLe thème de la protection des droits de l’homme connaît depuis quelques années une percée remarquable dans le discours des organisations internationales et des opérateurs économiques transnationaux, alimentant une intense réflexion sur l’irruption des droits fondamentaux dans l’ordre économique international. Le présent ouvrage de Mahmoud Mohamed Salah, « L’irruption des droits de l’homme dans l’ordre économique international: Mythe ou réalité » (Ed. LGDJ – Lextenso) en dresse un bilan exhaustif et critique.

L’introduction (p. 1-5) revient sur la définition des notions utilisées et éclaire les raisons qui, historiquement, ont conduit au développement séparé de l’ordre économique international et des droits de l’homme. Elle soulève les interrogations que suscite l’intérêt croissant des principaux acteurs de l’ordre économique international pour les droits de l’homme, depuis le tournant des années 1990 : cet intérêt peut-il dépasser le stade des simples déclarations d’intention et se traduire par une prise en compte effective de tous les droits, aujourd’hui consacrés par le droit international des droits de l’homme ?

Le modèle qui inspire le fonctionnement de l’ordre économique international permet-il une telle intégration ?

Si la nécessité de contrôler les excès de la mondialisation afin de la rendre plus humaine, plus acceptable ne peut qu’alimenter le discours « intégrationniste », il existe dans le même temps, une tendance en sens contraire qui se traduit par un retour aux fondamentaux de la doctrine libérale, traditionnellement hostile à la soumission de l’activité économique à des normes relevant des considérations extra-économiques.

Cette tendance s’exprime plus clairement dans le discours des oracles des marchés financiers que sont les agences de notation, dans celui des banques centrales et dans la politiques de gouvernements contraints par la « nécessité financière » à des cures d’austérité.

Elle invite à la prudence dans l’évaluation de « l’irruption des droits de l’homme dans l’ordre économique international ». C’est en tout cas dans cette optique que s’inscrivent les réflexions développées dans ce livre qui s’articule autour de deux parties

La première partie (p. 17-166) est consacrée à la prise en compte «problématique» des droits de l’homme par ceux qu’on appelle communément les piliers de l’ordre économique international, à savoir, les institutions issues des Accords de Bretton Woods de 1944 (la BIRD et le FMI) et l’OMC, qui a succédé au Gatt de 1947.

Elle comporte deux chapitres. Le premier (p. 21-117) traite de l’évolution des rapports que les institutions financières internationales entretiennent avec le thème des droits de l’homme. Il montre que si le mandat de ces institutions a été conçu de manière à ce que leurs interventions soient exclusivement guidées par des considérations économiques et si, ces mêmes institutions ont élaboré et souvent « imposé » aux pays qui avaient besoin de leur assistance, des politiques économiques fondées sur une conception de la rationalité économique ignorante du principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme, elles ont été confrontées, depuis le début des années 1990, à l’ascension, au sein de la Communauté internationale, et notamment, au sein du système des Nations Unies auquel elles se rattachent, de nouveaux paradigmes de développements fondés sur l’intégration des droits de l’homme et du développement économique.

Le concept de développement durable, fondé sur l’interdépendance des questions économiques, sociales et environnementales a ainsi été consacré par un nombre impressionnant de conventions internationales et par les législations de la très grande majorité des Etats.

Face à cette nouvelle donne, la BIRD et le FMI, sans renier leur mandat, inchangé depuis 1944, ont amorcé une évolution qui, par touches successives, les a amenées à flirter ouvertement avec des thèmes qui relèvent de la protection des droits de l’homme (Etats de droit, bonne gouvernance, lutte contre la pauvreté, lutte contre la corruption…) au sens large.

La question est celle de la portée de cette évolution. Celle-ci a certes débouché sur quelques initiatives heureuses (comme l’annulation de la dette des pays les plus pauvres) mais n’a pas fondamentalement changé les règles du jeu de l’ordre économique international.

L’ouvrage consacre des développements conséquents (p. 74-96) au sujet presque tabou de la mise en jeu de la responsabilité juridique des institutions financières internationales pour la violation des droits de l’homme ou pour l’atteinte au principe de l’indépendance des Etats et des peuples (cf. le traitement de la crise des dettes souveraines).

Sur ces deux points, il s’efforce de rester sur le terrain du droit en examinant si, du point de vue des règles du droit international positif, la responsabilité des institutions financières peut sérieusement être envisagée.

Le deuxième chapitre (p. 119-166) porte sur les rapports que l’OMC, véritable institution mondialisée, entretient avec les droits de l’homme. Il montre qu’au-delà d’un discours plus ouvert sur certains thèmes comme celui des enjeux environnementaux ou celui de la protection de la santé (avec notamment, un fléchissement de la rigidité initiale de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) pour tenir compte de certaines pandémies dans les pays pauvres), l’OMC est avant tout l’Organe chargé de veiller à l’effectivité des règles visant à assurer la libéralisation du commerce international. Ce propos est en outre illustré par l’étude des méthodes mises en œuvre par l’ORD, l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

La deuxième PARTIE (p. 167-296) du livre est consacrée à l’intrusion des droits de l’homme dans le champ d’activité des sociétés transnationales. Elle comporte également deux chapitres. Le premier (p. 177-237) porte sur l’encadrement limité des activités de ces sociétés par le droit international des droits de l’homme. Cette situation s’explique par plusieurs considérations.

En premier lieu, le droit international des droits de l’homme a surtout été conçu comme un droit imposant des obligations aux Etats et non aux personnes privées. Les sociétés transnationales ne sont pas d’ailleurs considérées comme des sujets de l’ordre juridique international et ce, en dépit de leur importance et de leur influence qui dépassent de loin celles de beaucoup d’Etats. Dans le même ordre d’idées, l’ouvrage montre comment du fait du pouvoir qu’elles tiennent de la puissance de leurs réseaux, de la diversification de leur domaine d’activité et de leur mobilité, ces sociétés peuvent être à l’origine de la violation de la plupart des droits de l’homme.

En second lieu, la concurrence que les Etats se livrent pour s’attirer la grâce des investisseurs (constitués pour l’essentiel par ces sociétés) a pour conséquence d’étoffer les règles qui les protègent au détriment de celles qui fixent leurs obligations en matière de droits de l’homme

Enfin, pour éviter une réglementation étatique ou internationale qui peut les enchaîner, ces sociétés ont recouru à une réglementation douce, sous la forme de codes de conduite, de chartes éthiques, d’accords volontaires avec les communautés locales, etc. A cela il faut ajouter tous les instruments de soft law émanant d’organisations internationales (Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE, Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales, Pacte mondial de l’ONU de 2000…) qui visent à obtenir l’engagement de respecter les droits de l’homme sur une base purement volontaire

La portée juridique de ces instruments est fort variable. Elle est cependant loin d’être nulle. La question est celle de savoir si les divers instruments que l’on regroupe aujourd’hui sous la rubrique de la RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise) et qui en pratique sont suivis par les seules entreprises du Nord ne créent pas des distorsions de concurrence au profit des entreprises asiatiques qui rechignent encore à intégrer la culture des droits de l’homme.

Le deuxième chapitre (p. 239-296) est consacré à la justiciabilité limitée des droits de l’homme à l’égard des sociétés transnationales. Elle montre que les systèmes juridiques nationaux sont finalement peu ouverts au principe de la compétence universelle (qui est le plus approprié pour éviter l’impunité des violations graves du droit international) et que les pays (comme la Belgique et l’Espagne) qui ont consacré ce principe ont été obligés de faire marche arrière.

De même, aux USA, si les tribunaux ont exhumé une loi datant de 1789 (L’Alien Tort Claims Act) qui a permis, ces dernières années, d’engager des poursuites contre des sociétés multinationales pour les violations des droits de l’homme commises par elles à l’étranger, suscitant ainsi de grands espoirs chez les défenseurs des droits humains, une décision récente de la Cour fédérale d’appel du Deuxième Circuit scelle le retour à la case départ puisqu’elle déclare irrecevable l’action formée contre une société multinationale, en l’occurrence la Société Shell, sur le fondement de cette loi au motif que le droit international ne contient pas de règles imposant des responsabilités aux personnes morales de droit privé.

Au total, l’intégration des droits de l’homme dans l’ordre économique international est donc loin d’être acquise.

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La rédaction de Grotius International.

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