Elections législatives: sale temps pour la démocratie ukrainienne

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Le Parti des régions, organisé autour du Président Viktor Ianoukovitch, a remporté les élections législatives ukrainiennes dimanche 28 octobre. Les fraudes, selon de nombreux observateurs, ont été massives. La société civile et la sphère humanitaire, qui dénoncent depuis des années le recul des droits de l’Homme dans le pays et l’accélération des difficultés sociales, sanitaires et économiques, n’attendent pas grand chose de cette nouvelle séquence politique.

« En prenant en compte les abus de pouvoir et le rôle excessif de l’argent dans cette élection, il semble que les progrès démocratiques qui avaient été observés reculent en Ukraine ». La sentence est sévère, et elle n’est pas le fruit d’une opposition frustrée d’avoir perdu les élections législatives dimanche dernier. Ces mots sont ceux de Walburga Habsburg Douglas, représentante de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), chargée de surveiller le bon déroulement du scrutin en Ukraine. L’organisation, connue pour sa tempérance à toute épreuve, voire son hypocrisie selon ses détracteurs, n’a pas pu cette fois-ci se contenter d’un mol satisfecit devant l’ampleur des fraudes. Le Conseil de l’Europe, également mobilisé pour la surveillance de cette campagne parlementaire, a lui aussi estimé que « les Ukrainiens méritaient mieux »

Les résultats donnent donc le Parti des régions, formation de l’actuel président Viktor Ianoukovitch, vainqueur, avec 32 % des voix (résultats provisoires). Suivent l’alliance Batkivchtchina formée autour du parti de l’ancienne Premier ministre, Ioulia Timochenko, qui recueille 24 % des suffrages, puis les communistes avec 14 % des voix.

Le parti Udar de Vitali Klischko arrive en quatrième position (13 %), suivi par le parti nationaliste et droitier Svoboda (9%). Le scrutin a été, selon plusieurs observateurs, largement falsifié, notamment par le biais du vote à domicile. Ces urnes volantes, qui se déplacent de maisons de retraites en hôpitaux, ont fait le plein. Bourrage à l’heure du dépouillement, non respect des règles en vigueur dans les bureaux de vote, intimidation de certains électeurs… Le tableau n’est pourtant pas fondamentalement différent des élections précédentes, et à l’aune de ce qui se pratique toujours dans de nombreuses républiques post-soviétiques. Mais l’emprisonnement de Ioulia Timochenko en 2011, figure de la révolution orange appréciée à l’Ouest, a sûrement joué un rôle dans le durcissement des critiques à l’encontre du pouvoir ukrainien. «On ne devrait pas avoir à se rendre en prison pour prendre des nouvelles d’importantes figures politiques dans le pays », a noté l’OSCE dans son rapport final.

 Victoire sans gloire

Ukrainska Pravda, journal en ligne ukrainien reconnu, résumait dans un article, publié deux jours après le scrutin, le sentiment général : « Le triomphe sans joie du parti des Régions ». Le score des vainqueurs, au vu des fraudes constatées, n’a effectivement rien de glorieux. La formation présidentielle a engrangé dans les limites de son électorat traditionnel, plutôt vieillissant. « Ce parti s’appuie sur les couches les plus vulnérables de la population, comme les retraités. Ces derniers ont par exemple perçu l’augmentation des pensions de 10 euros par mois comme une grande bénédiction et sont prêts à aller voter pour ça, analyse Serguey Lechtchenko, journaliste vedette d’Ukrainska Pravda, célèbre pour ses enquêtes sur la corruption au sommet de l’Etat. De plus, par le vote de la loi sur les langues (élargissant les droits d’utilisation du russe au niveau régional, promulguée par le Président en août, ndlr), le Parti des régions a également mobilisé fortement son électorat, qui préfère « ses » bandits, que les bandits « étrangers » de l’opposition. » C’est donc loin d’être un blanc-seing pour le Parlement à venir, qui va devoir composer avec une opposition certes désunie, mais pas complètement décapitée.

Aujourd’hui, la principale faiblesse des partis d’opposition réside dans l’ambition de ses dirigeants qui rêvent avant tout de la présidentielle de 2015 et dans le manque d’enthousiasme qu’ils soulèvent au sein de la population : « Malgré l’Euro 2012, la croissance économique a disparu dans notre pays, poursuit Sergey Lechtchenko. Le clan autour de Ianoukovich continue de récupérer tous les actifs qu’il souhaite, sans privatisation transparente et compétitive. Pour autant, il n’y a aucun indice qui laisse penser qu’une explosion sociale soit possible, ou qu’une nouvelle révolution orange puisse voir le jour, car le peuple est passif. »

 Affaiblissement de la société civile

Outre les difficultés économiques, ces deux dernières années, marquées par le retour de Viktor Ianoulovitch au sommet de l’Etat et par la fin de l’ère orange, n’ont pas non plus été roses pour la société civile ukrainienne et pour la liberté de la presse en particulier. Mais pour Iryna Slavinska, critique littéraire, intellectuelle engagée dans la défense de la culture ukrainienne et journaliste pour TVI (interdite de diffusion sur le câble par le pouvoir en place), la victoire du Parti des régions ne changera rien dans le domaine de l’indépendance des médias.

Le ver est dans le fruit depuis longtemps : « Les cinq dernières années ont été celles de la perte des libertés. Aujourd’hui, on observe une « poutinisation » de la presse. Les propriétaires des médias les plus importants sont très proches de Ianoukovitch. La première chaîne, qui couvre presque tout le territoire, est financée par l’Etat et ne propose à son auditoire que des louanges à Ianoukovitch. Les chaînes indépendantes sont menacées par une censure indirecte. Mais il reste des médias indépendants, surtout sur internet. Le cas de TVI montre qu’une partie des spectateurs continue de regarder cette chaîne sur son site. Ukrainska Pravda, qui n’existe que sur internet, est aujourd’hui le média le plus lu avec 500 000 lecteurs par jour au minimum. » Des îlots de résistance existent donc, mais on mesure mal le véritable impact, dans un pays où la pénétration numérique reste encore assez faible (le taux de personnes connectées oscille autour de 33 %, contre 79 % pour la France).

L’affaiblissement généralisé de la société civile ukrainienne n’est pas le seul fait du pouvoir en place. La fin du régime orange, symbolisée par la lutte acharnée que se sont livrés l’ancien président Viktor Iouchenko et Ioulia Timochenko, a été, elle-aussi, marquée par la corruption, l’autoritarisme et les reculs démocratiques. Le phénomène s’est par contre depuis largement emballé : « Tout le monde peut constater au quotidien la mise en place d’une vraie verticale du pouvoir, qui s’est construite en un rien de temps, assure Iryna Slavinska. Mais Ianoukovitch  se fiche de l’opinion publique ».

Résultat ? « Les Ukrainiens deviennent soit plus agressifs, soit plus indifférents. Beaucoup ont perdu le réflexe d’être solidaire, chacun reste tout seul face aux problèmes. Je le vois surtout dans dans la faiblesse des protestations historiquement importantes comme les grèves des retraités, des pensionnaires de Tchernobyl, des propriétaires des entreprises privés, les manifestations contre la légalisation de la langue russe ou contre la restriction des droits des LGBT ».

De nombreuses ONG et organisations internationales ont pourtant pris position, au cours de la campagne législative, pour rappeler le pouvoir à ses obligations. Le Groupe pour la défense des droits de l’Homme de Kharkiv, l’un des plus actifs du pays, a ainsi relayé l’aveuglement de l’équipe dirigeante sur la question des droits de l’Homme, dans un compte-rendu publié quatre jours avant le scrutin : « Le gouvernement parle beaucoup des lois contre les discriminations, contre le trafic humain ou pour un meilleur accès à l’information.

Cependant, les officiels ne mentionnent jamais que la plupart de ces lois ne sont pas réellement appliquées. Les rapports alternatifs montrent une considérable détérioration dans la sphère du respect des droits de l’homme, incluant la possibilité de recourir à la justice de manière équitable, la protection contre la menace de torture et la liberté de parole. » Les médiatiques Femen, outre leur implantation en France (http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/09/18/les-femen-inaugurent-un-centre-d-entrainement-en-plein-c-ur-de-paris_1761931_3224.html), ont également multiplié les happenings en Ukraine, tout comme les associations de défense du droit des homosexuels, qui ont tenté de sensibiliser l’opinion à travers des événements festifs face à une loi jugée scélérate sur la « propagande homosexuelle ».

Dans la sphère humanitaire et sanitaire, plusieurs ONG et organisations internationales ont aussi profité de la séquence électorale pour ouvrir le débat sur le manque de moyens alloués aux traitements contre le sida, la tuberculose, ou les hépatites virales dans le pays, à travers la campagne « Député altruiste » (http://www.milliard.org.ua/en/). Ils espèrent ainsi peser sur le vote du budget 2013 et souligner le manque de volonté politique actuel. Tous restent cependant très prudents sur la nouvelle période politique qui s’annonce. « La ministre de la Santé semble se mobiliser, elle est allée à Genève récemment et elle a rencontré l’ONU sida et d’autres organisations internationales.

On peut espérer que ce déplacement va se concrétiser en actes, même si rien ne nous assure qu’elle va rester à son poste, confie une française engagée dans la lutte contre le sida, véritable fléau en Ukraine. Les entraves qui nous concerne n’ont rien de nouveau – importante bureaucratie, lois et réglementation qui changent souvent, peu de volonté politique, mais aussi assez peu de volonté du coté des organisations ukrainienne de lutte contre le VIH ». Comme le milieu des affaires, qui se plaint d’un racket généralisé et en constante augmentation, ONG locales et organisations humanitaires internationales font le dos rond, en espérant que la situation n’empire pas, et qu’une partie des promesses de campagne soient malgré tout tenues. Le Parti des régions, comme le président en 2010, a martelé ces derniers mois son envie de « stabiliser le pays ». Une ambition à minima.

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec est journaliste indépendante, spécialiste de l’espace post-soviétique. Elle a vécu et travaillé en Asie centrale puis en Ukraine où elle a été correspondante pendant quatre ans de Libération, Ouest-France, Le Temps et Le Soir, collaboré avec Géo, Terra Eco, et coréalisé des reportages pour RFI et la RSR. Basée aujourd’hui à Paris, elle collabore avec Regards, le Monde diplomatique, Libération, Médiapart, Syndicalisme Hebdo, Le journal des enfants etc… Elle coordonne également le pôle Eurasie de Grotius International, Géopolitiques de l’humanitaire.

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