Une campagne, un support…
Tous les trois ans, depuis 1997, le plus grand forum mondial sur l’eau se réunit. Cette année il se tiendra en France, à Marseille. Les organisateurs entendent mobiliser « les imaginations, les innovations, les compétences et les savoir-faire, pour faire avancer la cause de l’eau ». Ainsi, du 12 au 17 mars, nombre d’acteurs locaux, régionaux et mondiaux, s’évertueront à faire de l’eau un sujet en tête des agendas politiques et peut-être des têtes de gondoles humanitaires.
Ambition loin d’être gagnée, lorsque l’on connaît déjà toutes les difficultés à faire mondialement émerger nombre de questions liées au développement durable voire au développement tout court (à ne pas confondre avec croissance). Le droit à l’eau (reconnu par 189 États au sein de l’ONU, il y a un an) doit être garanti et mis en œuvre selon les organisateurs, c’est leur«première priorité » parmi 12 priorités d’action et 3 conditions de succès. C’est dans ce contexte que l’ONG Solidarités International à décider de lancer une campagne de communication intitulée « la minute ».
Se faire entendre avec une minute de silence
Le principe de la campagne est somme toute assez simple puisqu’il s’agit de faire individuellement une minute de silence pour les « 7 personnes qui meurent chaque minute des suites de maladies hydriques (choléra, polio, typhoïde) ou liées à l’eau (paludisme, fièvre noire) ». Soit, selon Solidarités International, près de 3,6 millions chaque année. En vous filmant avec votre webcam et en laissant en ligne votre hommage aphone vous demandez à ce que « les décisions qui s’imposent soient prises à Marseille afin de faire reculer cette hécatombe ». Le nombre de participants est impressionnant. Plus de 100 000 déjà. Voilà une belle campagne de communication au profit de Solidarités International (on peut faire des dons en ligne aussi) et qui a le mérite d’attirer l’attention sur l’eau et les problèmes d’accès à sa potabilité pour des millions d’individus. Idée originale que de faire du bruit avec du silence, il n’en reste pas moins que cette campagne, comme beaucoup d’autres sur les thématiques de la solidarité et du développement, soulève, à nouveau, un flot de questions.
Les masses sont les véritables héros (Mao-Zedong)
Prendre à partie l’opinion publique ou cette forme de « masse » comme l’appelle Elias Canetti, n’a rien de très exceptionnel. C’est une forme d’interpellation des pouvoirs publics, des politiques, des « parties prenantes » assez traditionnelle chez les ONG. En revanche, l’innovation vient de l’utilisation des nouvelles technologies comme moteur principal de la campagne. Dans cette campagne, elles offrent la possibilité à chacun de s’auto-enregistrer et de poster sa minute de silence en ligne créant ainsi un mur de « webcam-faciès » assez parlant. Un compteur indique le nombre de « signataires » de la pétition et de minutes de silence (plus de mille). Ce qui en fera selon ses promoteurs, la plus longue minute de silence du monde, une masse silencieuse pour ne pas dire une majorité silencieuse qui n’en pense pas moins et qui s’exprime sans rien dire. Le web a indéniablement conquis « la masse » en lui donnant le pouvoir participatif et sa minute héroïque.
Les comptes et décomptes font-ils les bons comptes ?
Depuis le téléthon en passant par les tsunamis, le Darfour, les catastrophes diverses et variées, les ONG utilisent désormais régulièrement cette forme d’expression donnant, à qui le souhaite, la comptabilité victimaire et financière des campagnes qu’elles organisent ou auxquelles elles souhaitent participer. Nombre de victimes au quotidien, nombre de morts, de déplacés, de réfugiés deviennent des arguments pour nous inciter à l’action et accroître notre mobilisation. Tout le monde sait que l’on ne conteste pas les chiffres, d’ailleurs comment le faire ? Sauf dans la publicité traditionnelle où un annonceur est obligé de prouver ce qu’il déclare. Dans le monde associatif ce n’est pas une obligation. Dès lors, la porte est grande ouverte à toutes les déclarations et aux passes d’armes, comme ce fût le cas lors des campagnes de mobilisation[1] pour le Darfour. A minima, l’on pourrait se demander si les chiffres avancés par les ONG pouvaient être « sourcés » comme le ferait tout bon journal. Mais il n’en est rien.
Le cas de cette campagne en est exemplaire puisqu’il est indiqué que « près d’un milliard d’êtres humains n’ont aucun accès à l’eau potable. 2,5 milliards ne disposent pas de latrine, soit 40% de la population mondiale. Résultat, plusieurs millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à l’eau, particulièrement des enfants, ce qui fait de l’eau insalubre la première cause de mortalité dans monde[2] ». Par ailleurs le compteur des dons n’est pas plus indiqué, c’est à dire la véritable mobilisation qui tendrait à nous laisser penser qu’avec cette manne financière susceptible de lui être versée, l’ONG va pouvoir régler les problèmes qu’elle évoque. Force est de se poser la question : mais que va bien pouvoir faire toute seule une ONG fasse à ce désastre mondial qui relève plus du défi du développement planétaire que de l’urgence humanitaire?
L’urgence du développement
En filigrane de cette campagne la mise à jour d’une des problématiques des ONG urgentistes : transformer la question du développement en question d’urgence. La question de l’eau est une problématique majeure, qui, comme le précise les organisateurs du forum, concerne l’Afrique, l’Amérique, l’Asie-Pacifique, l’Europe et 2 régions intercontinentales. Rien que cela. Les chiffres avancés par Solidarités International donnent la nausée et interpellent les multinationales de l’eau, les politiques, la communauté internationale qui ne répondent pas semble t-il avec les moyens adéquats. Alors de quoi s’agit-il ? Solidarité International souhaite à travers sa pétition:
- Augmenter significativement les fonds de l’Aide Publique au Développement affectés à l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène et les renforcer par des financements innovants. Ces fonds devraient au moins doubler à l’avenir.
- Accroître les fonds dédiés aux crises humanitaires pour que tout soit fait très vite pour approvisionner en eau potable les populations menacées par les maladies hydriques véhiculées par l’eau insalubre (diarrhée, choléra, typhoïde, ….).
- Coordonner effectivement les institutions responsables, particulièrement en matière de stratégie et de financement, pour organiser efficacement la transition des phases d’urgences vers les phases de reconstruction puis de développement.
- Créer un mécanisme international d’information indiquant l’état et la répartition des besoins, les engagements internationaux pris, les actions réalisées et présenter le suivi des objectifs à atteindre dans un rapport public régulier.
- En conséquence, faire de l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène pour tous dans le monde une priorité à part entière des Objectifs de Développement du Millénaire des Nations Unies et non, comme c’est le cas actuellement, un sous objectif secondaire de la priorité 7.
- Enfin, démontrer ainsi par des actions résolues et concrètes que le droit humain à l’eau potable voté par les Nations Unies en 2010 doit devenir une réalité et non rester une déclaration d’intention.
Toutefois, l’association déclare que son action « vise à améliorer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, à promouvoir les bonnes pratiques d’hygiène et à accompagner les communautés dans la prise en charge des infrastructures et des actions de sensibilisation ».
Si les réponses aux problèmes posés sont assez génériques et modestes l’on se demande pourquoi Solidarités International déclenche un tel signal d’alarme. Est-ce par opportunité, par alarmisme ou parce que qu’il y a urgence à se mobiliser aujourd’hui et faire en sorte que demain d’autres que nous aient aussi de l’eau potable à tous les étages, à tous les robinets y compris ceux des chasses d’eaux des toilettes occidentales ? Enfin qu’apprend t-on sur cette ressource vitale qui est en passe de devenir aussi rare et chère que le pétrole?
L’information toujours parent pauvre
Si les experts ne s’accordent pas tous[3] sur des guerres à venir qui auront pour objectifs la maitrise de l’eau[4] il n’en reste pas moins que le sujet est suffisamment grave pour lui donner le contenu qu’il réclame. En effet, et c’est de plus en plus cas dans les communications des ONG, la recherche d’impact et de fonds réduit la propension à la nuance et à l’information. On ne peut pas reprocher à Solidarités International cette campagne et tout son mérite à sensibiliser l’opinion et inviter à proposer des solutions[5]. Mais on est en droit de s’interroger sur l’information indispensable que les ONG doivent transmettre au public, qu’ils soient donateurs ou non. S’il y a bien une différence entre la communication solidaire et la communication marchande, c’est que, en principe, la communication solidaire n’a rien à vendre. C’est son ultime frontière avec le monde marchand. Mais cette barrière est aujourd’hui largement défoncée pour laisser libre cours à la marchandisation des consciences, l’idéologie et la propagande.
Il est indispensable que les ONG se prémunissent de ces phénomènes et ne tombent pas dans la démagogie ou la manipulation en s’évertuant à dire les choses telles qu’elles sont et ne pas commercer, transformer ce qu’elles savent où l’immense difficulté à résoudre les thématiques qu’elles abordent. L’information est le rempart absolu contre la plupart des maux que les peuples rencontrent. Elles doivent s’en servir comme une arme pacifique pour faire prendre conscience au monde des conditions misérables dans lesquelles vivent encore trop de terriens. Elles doivent justifier leurs sources et ne pas tomber dans les travers des politiques dont toutes les données sont à géométrie variables du moment qu’elles servent leur propos. Si ce n’est probablement pas le cas de Solidarité International, il n’en reste pas moins que cette logique devrait s’imposer. Peuvent-elles par ailleurs réclamer de l’argent à ceux qui d’une main contribuent à panser des plaies mais qui, de leur autre main, les ouvrent?
Les ressources vitales planétaires, patrimoine mondial de l’humanité
Dans son essai relatif au statut des ressources vitales en droit international, Sylvie Paquerot s’attache à établir la nature ainsi que le régime juridique des ressources vitales, et plus particulièrement de l’eau. Selon elle, l’eau est un bien commun. C’est une ressource naturelle, mais plus que ça, c’est surtout une ressource vitale. Elle opère en effet une hiérarchie au sein des ressources naturelles, en distinguant, parmi elles, les ressources naturelles vitales qui constituent un bien fondamental non substituable. L’eau en est la meilleure illustration[6] ».En fin de compte n’est-ce donc pas de cela dont il s’agit. N’est-ce pas la cause ultime du combat de l’ONG pour l’accès à l’eau, patrimoine de l’humanité, comme peuvent l’être les autres ressources indispensables à notre vie, à La Vie ? Mène-t-elle donc le bon combat, seule, fasse à cette logique imparable de la commercialisation des ressources naturelles de la planète. Faut-il une cour pénale internationale pour les pollueurs comme pour les dictateurs ? Peut-on considérer la captation des ressources mondiales au bénéfice de quelques-uns, laissant les autres dans la soif, la faim, l’insalubrité, la maladie comme un crime contre l’humanité? C’est, à mon sens, sur ce terrain que les ONG et Solidarités International qui en a fait l’un de ses combats, devraient mobiliser. Greenpeace et Amnesty International l’ont bien compris, chacune dans leur domaine respectif, même si elles doivent encore progresser et s’imposer plus d’éthique dans leur communication.
C’est en pointant du doigt les abus, en favorisant l’émergence d’un droit sans frontières, mondial, universel, en mettant la pression sur ceux qui ne le respectent pas, que les progrès se font jour et que l’opinion publique mondiale prend conscience des désordres de l’humanité. Pas obligatoirement en cherchant des moyens de financement.
Faut-il donc garder le silence ?
En somme, est-ce donc le bon choix que de se taire face à tant de malheur? La campagne n’est-elle pas contre productive ? Le « plus jamais ça ! » n’est-il pas à remiser tant cette démarche a prouvé son inefficacité ? Le « fermons là » est-il plus efficace que le « ouvrons là » ? La question se pose et c’est aussi le mérite de cette campagne et du prochain forum de l’eau. S’interroger sur la pertinence des stratégies, des moyens. Prendre l’ampleur des dégâts et se dire que Solidarités International a besoin de soutiens, de propositions, de renforts pour faire en sorte que ces minutes de silence, de signatures fassent déborder le vase du ras le bol face à tant d’injustice.
[1] Cf : Interviews de Rony Brauman et Jacky Mamou pour Communication Sans Frontières.
[2] Solidarités International précise sur le site que : Les chiffres les plus récents indiquent qu’il y a 3,6 millions de décès annuel du fait de l’eau insalubre, dont une majorité d’enfants et adolescents. Si les maladies cardio-vasculaires ou cérébro-vasculaires provoquent plus de décès, il n’est pas aisé d’établir une comparaison puisque ce sont des maladies essentiellement liées à l’âge.
[3] CNRS LE JOURNAL Les guerres de l’eau n’auront pas lieu Bernard Barraqué, Directeur de recherche au Laboratoire « Techniques, territoires et sociétés »du CNRS.
[4] Le Monde, Chat avec Frédéric Lasserre, auteur du livre « Les Guerres de l’eau »
[5]Plateforme des Solutions, durera au-delà de 2012 est ouverte à la consultation et à la contribution de tous.
[6] Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité : De la nécessité d’appréhender les ressources vitales à travers le concept de patrimoine commun de l’humanité et de l’inaptitude de la réponse économique. Auteur : Sylvie Paquerot
Bruno David
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