Le Hezbollah, parti de Dieu…

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carte du LibanMouvement armé à sa naissance en 1982, suite à l’invasion israélienne, le Hezbollah  par ses revendications, ses actions et sa résistance  devint au sortir de la guerre civile libanaise (1975-1990) un acteur important et même incontournable de la scène nationale libanaise ainsi que sur le plan régional ; sans omettre sa posture de représentant de la confession chiite au Pays des cèdres.

Les médias occidentaux, dans le contexte des évènements se déroulant au Liban (et avec Israël) qualifient volontiers et de façon simpliste, le Hezbollah de mouvement terroriste islamiste contribuant de fait à le diaboliser auprès de l’opinion publique non-arabophone, souvent peu ou mal informé.

Pourtant le Hezbollah est très populaire. En témoigne la guerre des 33 jours lors de l’été 2006 avec Israël où le peuple libanais a largement soutenu les combattants du parti de Dieu. Le Hezbollah est «un fait social», caractéristique singulière notamment mise en avant après l’ascension de Hassan Nasrallah au poste de secrétaire général du Hezbollah, le 16 février 1992, et ce jusqu’à ce jour.

Il paraît ainsi intéressant de se demander de quelle façon le Hezbollah intègre l’aspect social dans sa stratégie politique. L’analyse portera dans un premier temps sur la stratégie de mobilisation du parti de Dieu. Le volet social du mouvement comme moyen d’application de la stratégie politique sera exposé dans un second temps.

Le parti de Dieu ou le parti des déshérités :
la stratégie de mobilisation

Si la  légimilité du Hezbollah ne cesse de croitre au sein de la population, c’est en partie dû à l’émergence d’un «Jihad social». Aujourd’hui l’une des facettes du groupe islamique est son rôle d’organisation non-gouvernementale dite de proximité, avec pour objectif le développement d’organismes sociaux,  en faveur notamment des plus démunis. Les principaux concernés par ce plan sont les populations ayant subi les conséquences des différents conflits et crises qui ont dévasté le Liban, en particulier dans son Sud où la population chiite y est majoritaire, mais également dans la banlieue sud de Beyrouth et dans la région de la Bekaa, des sphères géographiques où l’État est largement défaillant.

Les populations de ces régions, majoritairement chiites et pauvres, se nomment elles-mêmes des déshérités, et trouvent avec le Hezbollah, un parti qui les défend et les représente.

Dès le départ, le Hezbollah mettra en place un réseau complexe d’organisations afin de pallier à des carences dans différents services, là où souvent l’État est quasiment inexistant. Ces organismes se subdivisent en quatre principales branches : l’urbanisme et le développement, la santé publique, le domaine de l’assistance sociale qui offre un appui financier et des micro-crédits aux familles des partisans du parti de Dieu faits prisonniers ou morts lors des combats, et assure l’éducation de leurs enfants. Et enfin une «filière» consacrée à l’enseignement et à l’éducation dans l’optique certes de venir en aide aux jeunes en contribuant à l’alphabétisation mais aussi et surtout de les sensibiliser dès leur plus jeune âge aux causes du « parti de Dieu ».

A travers ces organismes, c’est sa stratégie de mobilisation que met en œuvre le Hezbollah. Si les associations caritatives sont un leitmotiv pour le parti de Dieu, elles ne sont pas les seuls moyens de mobilisation.  Le Hezbollah utilise aussi  des instruments de diffusion comme leur chaîne de télévision, Al-Manar, la station radio Al-Nour ou le soutien de quotidiens pro-Hezbollah. L’objectif visé : compenser le différentiel de technologie avec Tsahal par de grandes forces morales.

Le parti de Dieu se qualifie lui-même de mouvement de résistance, face à l’oppression israélienne, et se compare à celui de la France lors de la Deuxième Guerre mondiale lorsqu’il est étiqueté de mouvement terroriste.

Les membres du Hezbollah, conscients de la portée de leur stratégie de mobilisation, en jouent considérablement face à leur ennemi, Israël. Ils prônent, la dissuasion du faible au fort. Celle-ci consiste à provoquer chez l’ennemi des dégâts au moins équivalents à ceux subis et cela sans forcément que la force de frappe soit équivalente à celle de l’adversaire. Certes Tsahal a les capacités à divers niveaux de mettre à mal le mouvement en exécutant par exemple leurs leaders. Cependant la capacité de représailles est anéantie car fort de sa mobilisation, le Hezbollah verrait le peuple s’élever à ses côtés, et pas seulement les chiites, comme le souligne Michel Samaha, ex-membre du bureau politique des Phalanges Chrétiennes, « il faut regarder [le] Hezbollah en tant que Libanais, et donc comme mouvement de résistance contre Israël». De fait, il paraît très peu probable après un calcul des gains voulus et des risques encourus, que Tsahal entreprenne de riposter contre toute une partie de la population libanaise, à moins d’envisager dans un scénario apocalyptique l’épuration ethnique de celle-ci.

Le martyr est la figure emblématique de la résistance du parti de Dieu. Pour l’opinion publique occidentale et à plus forte raison israélienne, les martyrs ne sont guère  que des terroristes. Pour les libanais, le martyr transcendé par une volonté spirituelle extrême qu’il trouve dans son interprétation de l’Islam sacrifie sa personne pour l’ensemble de la communauté. Par les principes qu’il prône, ou ceux qui émanent de sa personne à titre posthume : la fierté, l’honneur et le triomphe, il s’élève au rang de héros, comme  le montrent souvent les  court-métrages, cérémonies funèbres et affiches.

Le martyr qui se sacrifie, par le rayonnement de son action, n’est que davantage adulé par la mobilisation qui  gonfle au fil des luttes. Puis, au sein du mouvement mobilisé, la représentation du martyr et toute la symbolique qui l’accompagne contribuent à capter davantage les cœurs, par conséquent à étoffer les rangs de la résistance, et de ce nouvel engouement, dans un élan spirituel d’une extrême intensité, certains partisans franchiront le pas et entreprendront au nom de la résistance de se sacrifier. Tel est le singulier lien entre le martyr, la mobilisation et la résistance.

Le volet social du mouvement, moyen d’application
de la stratégie politique

La guerre des 33 jours de l’été 2006 illustre l’application du volet social comme moyen de légitimation de la stratégie politique du Hezbollah. Sans revenir en détail sur cette guerre, il faut noter que le Hezbollah ne s’attendait pas à une riposte si violente : 1200 morts Libanais, 4000 blessés. Beyrouth et le Sud-Liban dévastés. La contre-offensive israélienne fut disproportionnée mais  l’ojectif était  de créer un effet psychologique sur la population, en détruisant les infrastructures. Or l’effet escompté échoua complètement puisque la population, malgré  la majorité des frappes à son encontre, ne s’est pas retournée contre le Hezbollah, mais l’a soutenu.

Ainsi,  au lendemain de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, adoptée le 11 août 2006 et mettant fin à la guerre, 3 jours plus tard, c’est le Hezbollah qui  ressortira victorieux car il aura réussi à faire reculer Tsahal et remis en cause le mythe de son invincibilité.

Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dès son arrivée au poste de secrétaire général du mouvement le 16 février 1992 va oeuvrer pour l’évolution  d’une milice armée vers un parti politique, légitime, reconnu et surtout soutenu par la population, et pas seulement chiite. Si la «déformation médiatique» occidentale  présente l’accès du parti de Dieu à la sphère décisionnelle du Liban comme la résultante d’une manipulation politique, il en est tout autrement. La légitimité du Hezbollah auprès d’une fraction croissante de la population, émane du «Jihad social».

C’est au travers de ses différents organismes sociaux que le parti de Dieu légitime sa revendication à la participation au pouvoir décisionnel du Liban. Ainsi, le volet social du mouvement lui permet d’appliquer sa stratégie politique qui consiste essentiellement à représenter la population chiite, et les sympathisants des autres confessions. Ces derniers trouvent en le Hezbollah une solution pour remédier aux failles de l’État qui notamment peine à mettre en place par exemple de nouveaux projets urbains dans les quartiers ou toute zone décimée par la guerre des 33 jours. C’est ainsi, en assurant des services dans les domaines qui concernent au premier degré les populations démunies par la guerre, que le Hezbollah s’est vu être qualifié «d’État dans l’État».

Le Hezbollah devança même l’État dans la reconstruction des infrastructures et des zones bombardées pendant  la guerre de l’été 2006, en lançant le projet Wa ‘d («Promesse»). Il contribua via sa Fondation pour l’Effort de Reconstruction (créée en 1985) à distribuer au lendemain de la guerre des 33 jours, «entre 10.000 et 12.000 dollars aux habitants sinistrés du Sud-Liban et de la dahiya(1), en vue de couvrir approximativement un an de frais de logement». L’action sociale du Hezbollah, dans ce champ, lui valut la dénomination de «planificateur urbain».

Au lendemain de la guerre des 33 jours, suite à la «victoire divine», le soutien populaire au Hezbollah atteignit son zénith.  A l’écoute de l’opinion publique, avec une sensibilité particulière pour les mustad ‘afin (les faibles), œuvrant à la promotion de la solidarité sociale et à la mise en place de services sociaux et caritatifs, il fut  poussé par la population à intégrer la sphère politique  C’est ainsi que confiant du soutien d’une part non négligeable de la population libanaise, le Hezbollah a demandé et trouvé progressivement  sa place dans le concert politique au Liban. D’autre part, il paraît aujourd’hui difficile pour les dirigeants Libanais de ne pas prendre en compte le parti de Dieu. Il est un acteur incontournable de la scène nationale comme en témoigne son alliance avec le chef du Courant Patriotique Libre, le général Michel Aoun, de confession chrétienne.

Le Hezbollah : lorsque les valeurs socialespriment sur l’intérêt

Auréolé de sa «victoire divine» après la guerre des 33 jours, le Hezbollah à son apogée, avait les moyens de faire cession avec le Liban et de demander une souveraineté sur le Liban-Sud, fief du mouvement, pourquoi ne pas l’avoir fait ? De même, après le mort le 14 février 2005 de l’ancien Premier ministre Libanais, Rafik Hariri, de confession sunnite, qui sema le trouble sur la scène politique nationale (et régionale), le Hezbollah n’était-il pas en mesure de revendiquer la cession ? Si en effet, le parti de Dieu en avait les moyens, il ne franchit pas cette ligne pour la principale raison qu’il s’était engagé auprès des populations qui le soutenaient d’intégrer et de participer légitimement au jeu politique.

En outre, il est important de noter que les membres du Hezbollah sont de fervents nationalistes, et sont contre toute désintégration du Liban. Pour preuve,  l’ abandon de l’idée d’établir une République Islamique dans un État qui dénombre officiellement dix-huit communautés. D’autre part, le Hezbollah ne cherchant pas à s’accaparer du pouvoir central, cela lui permet de se légitimer politiquement au niveau national, et d’ agir comme un parti politique et non comme une milice dont la seule ambition serait l’accès au pouvoir.

D’une certaine manière, en mettant en avant leurs valeurs sociales qui pourraient se résumer en «la défense de l’opprimé», le Hezbollah se défend de la qualification de trroriste qui lui est attribué. Les valeurs qu’il prêche, notamment celles diffusées via son volet social telle la solidarité, conditionne le comportement individuel et collectif. Les valeurs qu’il véhicule via ses différents organismes sociaux ou d’autres dont l’affiliation reste floue, «servent aux dirigeants en leur fournissant une clé pour la mise en récit de leurs décisions politiques»(2). Les valeurs qui s’inscrivent dans une idéologie singulière se réfèrent à des convictions, alors que l’intérêt national relève du pragmatisme, de la réalité stratégique. Ainsi est établie une différenciation entre les valeurs  sociales  et l’intérêt.

Afin d’appuyer cette argumentation, l’Organisation des sœurs bénévoles peut servir d’illustration. C’est un organisme qui a pour vocation de diffuser les idées et programmes politiques du parti de Dieu par le biais de l’action sociale. En recrutant ces sœurs dans des quartiers ciblés, la proximité étant déjà établie avec les locaux, cela permet au Hezbollah d’«identifier avec précision les besoins des populations et entretenir avec elles une relation quotidienne» et c’est via ces dialogues que les sœurs alliant les conseils d’assistance sociale, prodiguent des informations sur les activités du Hezbollah. Le poids populaire, nerf de la stratégie de mobilisation devient le cœur de la stratégie politique consistant à revendiquer une place dans le jeu politique national.

Le Hezbollah n’envisage pas à ce jour de prendre le pouvoir de manière insurrectionnelle et de proclamer un «État Hezbollah». Et si se pose la question : comment une résistance armée peut-elle s’intégrer de manière crédible dans la vie politique nationale ? C’est ce qui est nommé le « mystère Hezbollah ». Un élément de réflexion à cette interrogation est l’aspect social et la stratégie de mobilisation qui en découle, comme un moyen parmi d’autres contribuant à la stratégie politique du Hezbollah, et qui d’autre part, peut justifier en partie l’interrogation suivante : comment un parti aussi marqué religieusement peut-il rassembler des secteurs aussi large et divers ?

Le Hezbollah a-t-il changé depuis sa genèse ? A-t-il changé de stratégie dans le dessein de diffuser son programme ? Assurément, il passe d’une milice armée à un parti politique avec une branche armée, et il œuvre davantage dans le volet social afin de mobiliser le plus grand nombre et qui le soutiendrait dans sa «croisade politique». Par ailleurs, les Hommes changent, leurs pensées également ainsi que leurs moyens…

(1) Dans le sens ceux qui se sont sacrifiés pour la résistance.
(2) Jean-Loup SAMAAN,Les métamorphoses du Hezbollah, Paris, Karthala, 2007, p.38.

Ilham Soufi

Ilham Soufi

Ilham Soufi est étudiante en M2 Sciences Politiques, membre responsable de la GERAP (Guilde Estudiantine de Réflexion et d’Action Politique).

Ilham Soufi

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