La situation sanitaire des pays en développement est de plus en plus préoccupante, notamment en Afrique subsaharienne où la population va doubler en quarante ans, pour atteindre 1,8 milliards d’habitants en 2050. Les enjeux sont considérables, qu’ils soient relatifs à la situation épidémiologique, à la sécurité alimentaire, à la capacité des systèmes de santé et d’éducation de répondre à une demande exponentielle, à l’efficacité de l’aide internationale, publique ou privée, ou à la recherche pour le développement.
En 2000, la communauté internationale réunissant les pays du Sud, les agences de l’ONU et les grandes institutions de coopération au développement, signe la Déclaration du Millénaire et s’engage à réaliser les huit Objectifs du millénaire pour le développement avant 2015. Trois des OMD relèvent de la santé : l’OMD 4 engage à réduire la mortalité infantile des deux tiers, l’OMD 5 à réduire la mortalité maternelle des trois-quarts, et l’OMD 6 à combattre le sida, le paludisme et les autres maladies. Une des cibles de l’OMD 8 relatif à la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement, s’intéresse, en lien avec l’industrie pharmaceutique, à rendre les médicaments essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement.
Cinq ans avant l’échéance de réalisation des OMD, la volonté politique, tant nationale qu’internationale, de développer le secteur de la santé, reste faible tant au Nord qu’au Sud, et les volumes de financements nationaux et mondiaux sont insuffisants à couvrir les besoins. Les indicateurs ont néanmoins souvent progressé et les dirigeants du monde de se demander si ces améliorations peuvent être attribuées aux OMD, ou bien à une croissance économique notable, telle qu’observée en Chine et en Inde.
Sur la situation sanitaire
Entre 1,5 et 2 milliards d’hommes et de femmes vivent dans la pauvreté et 1 milliard de personnes se couchent le soir en ayant faim. Bien que reconnue comme l’une des premières causes de mortalité infantile et comme un frein incontestable au développement, la malnutrition est encore en marge des politiques de santé des pays africains. Un tel paradoxe est d’autant plus étonnant que les discours internationaux soulignent ces enjeux, notamment la Banque mondiale qui en fait même le titre de sa stratégie « Health, Nutrition and Population ». La crise alimentaire de 2007 et 2008 a donné une visibilité politique et sociale aux problématiques de sécurité alimentaire et de sous-nutrition. Les politiques de court terme ne sont pas envisagées comme des instruments exclusifs, mais comme une première étape de stratégies menées sur le long terme et focalisées sur le développement agricole, seule réponse soutenable pour une sécurité alimentaire durable.
Le sida, la tuberculose et le paludisme tuent 6 millions de personnes par an. Plus de 33 millions de personnes dans le monde vivent avec le virus du sida, dont 22.5 millions en Afrique subsaharienne où le sida est la première cause de mortalité. Le taux de prévalence de l’infection à VIH chez les femmes y est plus élevé que celui des hommes, du fait de la très grande vulnérabilité conjugale, sociale et économique des femmes et des jeunes filles. L’acte sexuel et l’usage de préservatifs continuent de relever de décisions masculines. Le viol est un facteur de risque auquel sont de plus en plus exposés les femmes, les enfants des rues et les enfants prostitués.
Ces violences sont insuffisamment reconnues comme conducteurs de la propagation du sida en Afrique subsaharienne, ni prises en considération par les politiques nationales et internationales, en particulier dans les pays en situation de conflit ou de post conflit. Ceci est une des illustrations du peu d’intérêt politique que les pays et la communauté internationale manifestent à l’égard de la santé des filles et des femmes, et du peu de ressources humaines et financières allouées en direction d’interventions les concernant. La mortalité maternelle reste très élevée dans plusieurs régions d’Afrique, même si certaines études récentes révèlent qu’elle a globalement diminué. L’avortement clandestin en est une des causes principales. L’OMD 5 est le moins financé des OMD, ce qui a fait réagir les membres du G8 réuni au Canada l’été 2010 et l’Assemblée générale de l’ONU, où le Secrétaire général Ban Ki-moon a présenté en septembre 2010 une Stratégie mondiale en faveur de la santé des femmes et des enfants.
Dans d’autres régions du monde comme au Viêt-Nam ou en Russie, les usagers de drogue représentent le nombre le plus élevé de personnes infectées par le VIH. Dans la région caraïbe, la deuxième région au monde la plus atteinte par la pandémie, les facteurs de risque se combinent : drogue, violences sexuelles, discrimination à l’égard des personnes homosexuelles, vulnérabilité féminine, etc. rendant plus complexes les analyses et l’identification de réponses adaptées.
Plus de 9 millions de nouveaux cas de tuberculose ont été détectés et 1.8 millions de malades atteints de tuberculose sont décédés en 2008. Les cas de résistance au traitement se multiplient. L’incidence de la tuberculose à l’échelle mondiale continue d’augmenter du fait de la progression de la maladie en Afrique, où elle est la première cause d’infection opportuniste et de décès des patients atteints de sida. Bien que cette maladie ait été déclarée « urgence mondiale » en 1993, les interventions de dépistage et de prise en charge précoce ne suffisent pas à obtenir des résultats satisfaisants à l’échelle mondiale. Les espoirs se tournent vers ce qu’apportera la recherche scientifique dans de domaine dans les années qui viennent.
Le paludisme reste l’une des maladies les plus répandues et mortelles au niveau mondial avec 243 millions d’épisodes recensés et près d’1 million de morts en 2008. Les femmes et les enfants de moins de cinq ans sont les plus nombreux à mourir de paludisme. Sur le terrain les résultats de la lutte contre ce fléau sont contrastés et inégaux, les stratèges mondiaux hésitant entre mesures d’éradication ou contrôle de la pandémie. Néanmoins des avancées ont été considérables ces dernières années notamment dans plusieurs pays d’Afrique de l’est qui ont bénéficié de l’expertise et de financements de partenariats public-privés tels que Roll Back Malaria et le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Les maladies négligées[1] sont appelées ainsi car elles n’intéressent quasiment personne, alors que leur impact sur le développement économique n’est pas négligeable et qu’elles provoquent la mort de millions de personnes par an.
S’ajoutent aux maladies infectieuses les maladies chroniques, dont les cancers, le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiovasculaires, qui figurent déjà parmi les causes de mortalité les plus élevées à l’échelle mondiale. La transition épidémiologique entre ces deux catégories de pathologies, telle que nous l’avons observée en Europe grâce aux progrès de la médecine, n’a pas eu lieu dans les pays en développement : la gravité de l’émergence rapide des maladies chroniques non transmissibles, vient de ce que les pays en développement doivent faire face à un double fardeau.
La progression continue des cancers au cours des dernières années constitue une réalité épidémiologique dont l’ampleur n’est pas évaluée à la mesure de sa gravité. Ces évolutions exigent de nouvelles approches de santé publique, tant à l’échelle nationale, qu’internationale. C’est d’autant plus urgent que la plupart des cancers observés dans ces régions, sont liés à des infections bactériennes, parasitaires et virales (col de l’utérus, foie, estomac, vessie, etc.) et peuvent être prévenus, dépistés précocement et traités efficacement. Il est urgent de réagir face au fait que le cancer du col de l’utérus est la première cause de décès par cancer en Afrique, alors qu’un vaccin existe au Nord et que le dépistage précoce change radicalement le cours de la maladie. Il n’est pas moins urgent de contrer les politiques de marketing des grandes industries de tabac et d’alcool, venues chercher dans les pays en développement un marché potentiellement gigantesque. Les pays à revenu intermédiaire ne pourront pas plus que les pays à faible revenu répondre médicalement et financièrement à la charge de maladies liées à ces toxiques. On peut aisément anticiper les conséquences psychologiques, familiales, sociales et économiques incalculables liées à la dépendance alcoolique. Le diabète devient un véritable fléau, notamment en Afrique du Nord, dont la prise en charge des complications va entrainer des coûts énormes si rien n’est fait pour prévenir.
Sur les systèmes de santé
Les systèmes de santé se sont construits au cours des trente dernières années selon la préconisation de l’OMS à Alma Ata en 1978 de renforcer une offre de soins de proximité, dite de soins de santé primaire, puis suivant le modèle organisationnel du district de santé : un paquet de soins minimum incluant la consultation curative et une gamme d’activités préventives, telles que la vaccination, le planning familial, l’éducation nutritionnelle, le suivi de croissance des enfants, la consultation prénatale, etc. sont proposés par des agents de santé au premier niveau de soins. Les centres de santé de base réfèrent les patients à des centres de santé de niveau intermédiaire, où un médecin est présent, et de là, aux hôpitaux de niveau départemental, régional ou national selon le degré de spécialisation requise pour la prise en charge du malade.
L’OMS décline la définition du système de santé en six piliers constitutifs fondamentaux : (i) la gouvernance, (ii) les personnels de santé, (iii) la disponibilité des médicaments, (iv) la fourniture de services de soins, (v) l’information sanitaire, et (vi) le financement de la santé. Certains auteurs insistent pour analyser les interrelations entre ces piliers de manière dynamique, et inclure les acteurs communautaires, devenus au fil du temps ces quinze dernières années des partenaires absolument nécessaires des services de soins, qu’ils soient confessionnels, associatifs ou du secteur privé industriel et commercial.
Face à un déficit des budgets publics dans les années 1980 liés aux effets conjugués de la crise des matières premières et des retentissements sur les secteurs sociaux des politiques macroéconomiques du FMI et de la Banque mondiale, le financement de la santé s’est longtemps résumé aux dispositions prévues par l’Initiative de Bamako en 1987 préconisant la participation financière des usagers aux soins et le contrôle des recettes par les usagers réunis en associations. La promesse de Bamako portait en elle une amélioration de la qualité des soins, de la disponibilité des personnels de santé et des médicaments essentiels, en même temps que des dispositions prévoyant de dispenser les indigents du paiement, et limiter le racket des malades.
Or non seulement la qualité n’a pas été au rendez-vous, mais les dépenses dites « catastrophiques » de santé ont fait basculer dans la pauvreté des millions de personnes chaque année. Rarement des dispositions ont été prévues pour protéger les indigents. La tarification des soins s’est la plupart du temps ajoutée aux « pratiques parallèles » de la corruption. En somme, les réformes des systèmes de santé dans les pays en développement, ont eu pour effet de demander aux populations les plus pauvres de la planète, qui savent à peine le matin au réveil comment elles vont se nourrir, dépourvues d’assurance maladie ou de protection sociale, de leur demander de financer les soins, ce qu’aucun des pays donateur ne se serait permis chez soi.
Il en est résulté une exclusion des pauvres, ceux-là mêmes sans doute les plus exposés et les plus vulnérables aux maladies et à la malnutrition. Depuis quelques années, tenant à atteindre les OMD ou à s’en rapprocher, on assiste à des politiques de « gratuité » des soins, en faveur de certains groupes de la population, dont on voit bien en Ouganda, au Niger, en Zambie, à Madagascar par exemple, que l’émergence émane (ou a émané) du niveau présidentiel, à l’occasion de périodes électorales. Ces décisions politiques ne sont pas toujours accompagnées de dispositions claires en direction des services du ministère de la santé, ni de financement, ce qui a pour conséquence de mettre en péril l’équilibre financier de nombreuses formations sanitaires, invitant les ministres de la santé à faire marche arrière.
La pénurie des personnels de santé n’est pas un phénomène nouveau dans les pays en développement où les normes de l’OMS sont rarement satisfaites. Son ampleur, au point de parler de « crise » des ressources humaines, est révélée dans les années 2000 alors que les pays du Sud ont peine à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement, tant les personnels de santé manquent. La situation est d’autant plus préoccupante que coexistent désormais pathologies infectieuses et maladies chroniques. Les déterminants de la pénurie sont multiples et complexes, alliant difficultés de management, de formation, de répartition, en même temps que celles liées à la migration des personnels du secteur public vers le secteur privé, et d’un pays à l’autre. La migration doit être envisagée comme un problème global où les pays de l’OCDE apportent des réponses concrètes à leurs propres déficits en médecins et personnels paramédicaux sans avoir à puiser dans les ressources intellectuelles formées au Sud.
N’oublions pas que parfois les médecins restent dans leurs pays où ils sont amenés à exercer d’autres métiers que soigner, soit parce qu’ils sont au chômage, soit parce qu’ils font de la santé publique et de la gestion de projets d’aide publique au développement. Face à cette situation de pénurie, les réactions internationales pilotées par l’Alliance mondiale pour les personnels de santé sont dynamiques mais des initiatives concrètes financées à l’échelle locale continuent de manquer.
L’accès aux médicaments et le bon usage des médicaments résultent de politiques nationales et internationales ambivalentes compte tenu de la législation internationale sur la propriété intellectuelle, régulièrement actualisée au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Les observateurs sur le terrain relèvent que les systèmes d’information sanitaire méritent davantage d’attention, tant la mission de pilotage du secteur de la santé et l’exigence d’efficience des interventions sont devenues capitales dans un contexte de crise financière mondiale.
Sur les stratégies internationales
et la recherchepour le développement
En Afrique, six pays ont atteint les objectifs déclarés en 2001 à Abuja (Nigéria) par les chefs d’Etats, de consacrer 15% des budgets publics au secteur de la santé. Ce budget est le plus souvent entre 5 et 8%, parfois en dessous de 5%. Sous la pression de l’engagement de réaliser les objectifs du millénaire pour le développement, le financement public et privé en faveur de la santé des pays en développement a été multiplié par quatre à l’échelle mondiale sur la période 1990-2007, passant de 5.6 à 21.8 milliards de dollars, ce qui témoigne d’un intérêt sans précédent. Néanmoins, les études montrent que la plus grande partie de ce financement a bénéficié à la lutte contre le sida, pendant que les pays, la Commission européenne et la Banque mondiale, qui avaient largement contribué au renforcement des systèmes de santé dans les années 1990 aux côtés de la coopération française, belge et allemande, se sont tous en même temps retirés d’Afrique de l’ouest dans les années 2000, générant un déséquilibre maladie/système actuellement très débattu à l’échelle mondiale.
Cette dernière décennie a vu s’estomper l’aide bilatérale, notamment française et européenne, pendant que fleurissent de grands partenariats public privés mondiaux en faveur de la santé, tels que l’Alliance mondiale pour la vaccination et l’immunisation (GAVI), le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et International Health Partnership. Face à l’ampleur des attentes, il s’agit de mobiliser de l’argent en dehors de la caisse des Etats de l’OCDE: ainsi naissent les financements dits innovants, tels que la taxe prélevée sur l’achat de billets d’avion en faveur de la facilité financière d’achat de médicaments UNITAID. Les financements privés tels que ceux de la Fondation Bill and Melinda Gates atteignent des volumes supérieurs au budget de l’OMS.
Comment s’inscrivent ces nouveaux financements dans le paysage sanitaire actuel des pays en développement ? Qu’attendent les pays dans le domaine du renforcement des capacités stratégiques, techniques et managériales afin de mobiliser au mieux ces financements de plus en plus volumineux? Comment garder un cap stratégique au milieu d’une telle diversité d’acteurs ? Comment mesurer les résultats et l’impact des interventions ainsi financées, tant du point de vue quantitatif que qualitatif ? Que nous disent des chiffres globaux lorsque la complexité de la situation nous invite à affiner nos observations et nos analyses? Comment s’assurer d’un accès équitable des pays et des populations à l’expertise et aux financements mondiaux? A quoi l’évaluation sert-elle ? Comment s’assurer de leur efficacité à l’échelle locale alors que les agences ne sont pas représentées dans les pays et que l’expertise technique est très diminuée, tant en nombre qu’en qualité.
Quelles formations pourrions-nous proposer pour adapter l’expertise française et européenne à de tels bouleversements des dispositifs de l’aide bilatérale et mondiale ? Comment améliorer la recherche en santé publique au service de la décision politique et de la définition de stratégies de réponses plus adaptées à la diversité des enjeux et la complexité des systèmes?
Tels sont certains des très nombreux sujets que traite l’ouvrage « Santé internationale. Les enjeux de santé au Sud », ouvrage collectif qui a su associer des jeunes auteurs à de grandes figures de la coopération sanitaire mondiale, ouvrage issu des enseignements désormais proposés par l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po à Paris[2].
Comme le redit Professeur Marc Gentilini qui nous fait l’honneur d’avoir rédigé le préambule de l’ouvrage, lors de sa parution : « Nourrir, éduquer et soigner, sont les piliers du développement, sans cela, pas de développement. Cet ouvrage est un document important pour les médecins, un regard sur le contexte du développement avant de s’occuper de la pathologie et la maladie elle-même ».
[1] telles que la trypanosomiase, la maladie de Chagas, etc.
[2] Minor in Global Health, Paris School of International Affairs, www.psia.sciences-po.fr
Dominique Kerouedan
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