Dans tout le nord du Nigeria, selon les autorités, des milliers d’élèves et d’enseignants ont été contraints d’abandonner leur école à cause des attaques de plus en plus révoltantes du mouvement islamiste radical Boko Haram.
Lors du dernier attentat mené contre une école, le 29 septembre, des hommes armés de Boko Haram montés sur des motos et des 4×4 ont pris d’assaut les dortoirs de l’école d’agriculture de Gujba, dans l’État de Yobe. Ils ont ouvert le feu sur les étudiants qui étaient en train de dormir, faisant 40 morts, selon la police et les autorités.
« Ils ont ouvert le feu sur tous les élèves, sans distinction, dans leurs dortoirs. Ils portaient tous l’uniforme militaire et étaient lourdement armés. L’un d’entre eux est resté près de la porte et tirait sur les étudiants qui essayaient de s’échapper », a dit à IRIN Musa Bade, qui travaille dans cette école.
En raison de l’accès difficile aux zones reculées des États de Yobe et de Borno, où les insurgés de Boko Haram sont actifs, les autorités sont incapables de révéler le nombre exact d’élèves obligés d’abandonner l’école à cause des attentats.
Cependant, Abdullahi Bego, porte-parole du gouverneur de Yobe, a dit à IRIN que Boko Haram avait détruit 209 écoles dans son État. Dans l’État de Borno, le gouverneur, Kashim Shettima a dit en août que les rebelles islamistes avaient saccagé 825 salles de classe. Un fonctionnaire de l’éducation de Bono a en outre dit en mai à IRIN que 15 000 élèves étaient déscolarisés dans ce seul État.
Selon un rapport publié le 4 octobre par Amnesty International, au moins 70 enseignants et plus de 100 écoliers et étudiants ont été tués ou blessés.
« Les attentats ont paralysé l’ensemble du système éducatif du nord-est du Nigeria. La peur règne chez les élèves, les parents et les enseignants. Ces derniers sont non seulement pris pour cible dans les écoles, mais également chez eux. Un enseignant a même été tué chez lui, devant ses enfants », a dit Makmid Kamara, chercheur sur le Nigeria pour Amnesty International.
« Les parents ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école, car ils craignent qu’ils ne reviennent jamais », a dit M. Kamara à IRIN. « Si ces attaques continuent, elles vont paralyser encore davantage le système éducatif de cette partie du pays. »
Hausse du nombre de victimes
Boko Haram a commencé à attaquer des écoles en février 2012, lorsque ses membres ont incendié trois écoles de Maiduguri à l’aide de bombes artisanales. Abul Qaqa, porte-parole du mouvement à l’époque, avait revendiqué la responsabilité de ces attentats, déclarant qu’il s’agissait de représailles contre des arrestations arbitraires d’élèves d’écoles islamiques par les forces du gouvernement.
À l’origine, les attaquants agissaient de nuit ou tôt le matin, avant le début des cours afin, selon M. Qaqa, de ne pas « tuer des élèves innocents ».
Cette année, cependant, le mouvement a changé de stratégie. En mars, les membres de Boko Haram ont tué quatre enseignants et gravement blessé trois élèves lors de trois différents attentats dans des écoles de Maiduguri.
Le 6 juillet, les islamistes ont ouvert le feu et lancé des explosifs dans les dortoirs de l’internat d’une école secondaire du village de Mamudo, dans l’État de Yobe, tuant 41 élèves et un enseignant. Lors d’un attentat, le 16 juin, dans un autre internat de l’État de Yobe, les hommes de Boko Haram avaient déjà tué sept élèves et deux enseignants, selon le lieutenant Lazarus Eli, porte-parole de l’armée de l’État.
Boko Haram a également attaqué des écoles de la ville de Kano. Le mouvement en a notamment incendié au moins trois et a tiré sur les enseignants de deux autres. Selon des sources appartenant aux services de sécurité, les attentats à Kano ont cependant cessé à la suite d’importantes mesures de répression qui ont conduit les rebelles à quitter la ville.
Mesures de sécurité
M. Bego a dit que le gouvernement de Yobe ne se laisserait pas intimider au point de fermer les écoles à la suite de la tuerie de Gujba comme il l’avait fait après l’attentat de Mamudo en juillet.
« Ces terroristes veulent nous pousser à fermer les écoles et empêcher les enfants d’aller en classe. Nous ne nous laisserons pas intimider et l’État de Yobe ne sera pas défini par des criminels, des insurgés ou des terroristes », a dit le porte-parole du gouverneur.
Le gouvernement a déployé des soldats dans tous les internats de l’État pour les protéger contre des attaques de Boko Haram.
Musa Idrissa, enseignant à Damaturu, a cependant dit à IRIN que le déploiement de troupes dans les écoles ne pouvait pas réellement empêcher les attaques de Boko Haram ni éliminer les effets émotionnels et psychologiques que ces attentats ont sur les élèves.
« La présence de soldats dans les écoles ne fait qu’augmenter la peur parmi les enseignants et les élèves, car elle leur rappelle constamment le danger qu’ils courent, ce qui les affecte psychologiquement et émotionnellement et porte atteinte à l’enseignement et à l’apprentissage. Aucun apprentissage efficace ne peut avoir lieu dans une atmosphère de peur et d’anxiété », a dit M. Idrissa.
M. Idrissa a remarqué que les hommes de Boko Haram portaient des uniformes militaires, ce qui rend difficile de les distinguer des soldats de l’armée. « Comment les élèves pourraient-ils faire la différence entre des membres de Boko Haram et des soldats dans le cas d’un attentat contre leur école ? » a-t-il demandé.
« Nous menons une guerre hors normes, contre un ennemi hors normes, qui change de forme et de stratégie et qui est très mobile. Nous avons besoin du soutien de la population pour signaler tout mouvement suspect au sein de la communauté afin de combattre efficacement les terroristes », a dit M. Eli.
Pourquoi les écoles sont-elles prises pour cible ?
Abubakar Shekau, chef de Boko Haram, a dit dans une vidéo datée du 12 août 2013 qu’il soutenait l’attentat de Mamudo, mais n’en revendiquait pas la responsabilité.
« Nous avons dit que nous allions incendier les écoles qui offraient une éducation occidentale, car ce ne sont pas des écoles islamiques. Ce sont des écoles établies principalement pour faire la guerre à l’Islam. Nous combattons les enseignants qui enseignent l’éducation occidentale. Nous les tuerons devant leurs élèves et nous dirons à leurs élèves d’aller étudier le Coran. C’est ce que nous faisons. Nous continuerons à mener de telles attaques contre les écoles jusqu’à notre dernier souffle », a-t-il dit.
Les autorités militaires ont toutefois dit que Boko Haram s’était mis à attaquer des écoles parce qu’il s’agissait de cibles faciles après les opérations militaires lancées en mai, qui auraient fragilisé le mouvement. Selon l’armée, les attentats contre les écoles sont également une manière d’essayer de faire peur aux jeunes des groupes d’autodéfense qui luttent contre les islamistes, notamment dans l’État de Borno, que Boko Haram considère comme son fief et État d’origine.
Nouvelle stratégie militaire
Le président Goodluck Jonathan a annoncé le 1er octobre sur la chaîne de télévision nationale que le gouvernement allait employer une nouvelle stratégie contre Boko Haram à la suite de ces attentats meurtriers contre des écoles. Il n’a toutefois divulgué aucun détail. Les troupes nigérianes ont répondu à la dernière attaque ayant ciblé une école par des bombardements aériens et une offensive terrestre contre un camp de Boko Haram proche de Gujba, dans lequel les hommes armés s’étaient retranchés, a dit à IRIN M. Eli, le porte-parole de l’armée.
Le 14 mai, le gouvernement nigérian a déclaré l’état d’urgence dans les États de Borno, Yobe et Adamawa, au nord du pays. Des troupes ont également été massivement déployées afin de neutraliser Boko Haram et de déloger le mouvement des zones dont il avait pris le contrôle, notamment dans le nord de Borno, à la frontière avec le Cameroun, le Niger et le Tchad [ http://www.irinnews.org/report/98294/nigeria-school-attacks-spur-vigilante-groups ].
Cette stratégie n’a pas réussi à mettre un terme aux attaques, qui sont de plus en plus fréquentes et meurtrières, malgré le blocage des communications téléphoniques pour empêcher Boko Haram de coordonner ses attaques.
« Malgré la hausse des déplacements de troupes et du déploiement d’équipements militaires dans le Nord-Est, la population n’a pas encore observé d’action sur le terrain susceptible de tuer dans l’oeuf les activités criminelles et terroristes », a dit M. Bego le 29 septembre dans une déclaration officielle.
M. Kamara, d’Amnesty International, a appelé les islamistes à mettre sans condition un terme aux attentats contre les écoles. Il a également exhorté le gouvernement à offrir une meilleure protection à ces écoles. « Attaquer des écoles et tuer des enseignants et des élèves est un crime contre l’humanité. Le gouvernement du Nigeria a le devoir de protéger le droit à la vie et à l’éducation. »
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Irin
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