Par Zeina el Tibi
L’une des premières décisions de l’Organisation des Nations unies, créée le 26 juin 1945 juste après la Seconde Guerre mondiale, portera sur le plan de partage de la Palestine et la création de l’Etat d’Israël. Ainsi, l’ONU fondée pour « maintenir la paix et la sécurité internationales », «développer entre les nations des relations amicales» et «réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire», commencera-t-elle par la spoliation d’un peuple et la création d’un conflit dont elle porte la responsabilité et auquel elle a été incapable d’apporter une solution convenable.
De fait la seule résolution des Nations unies qui a trouvé son application est la résolution n°181, de l’Assemblée générale en date du 29 novembre 1947, pour ce qu’elle « recommande » la partition de la Palestine et la création d’un Etat juif sur 56% de ce pays. Il convient de préciser que cette résolution est une simple recommandation.
Selon le professeur Chemillier-Gendreau, les stipulations de la résolution 181 ne comportent pas «l’acquiescement des véritables titulaires du titre de souveraineté», les Palestiniens qui, de jure, restent «toujours titulaires d’un droit inaliénable de souveraineté» , ce droit n’a pas été formellement transféré et cela d’autant plus que l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu, dans sa résolution 2535 de 1969, que le peuple palestinien est un sujet de droit international, ce qui fait qu’il doit bénéficier du droit à l’autodétermination et de son droit à la souveraineté.
Ainsi, n’a été appliquée que la résolution qui était une simple recommandation tandis qu’aucune résolution des Nations unies n’a été appliquée pour régler le problème née de ce texte initial. Après le refus du plan de partage et la première guerre de Palestine (1948), de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, que l’on peut qualifier de fondamentales, vont poser les conditions de l’instauration de la paix, d’autres plus, conjoncturelles, vont tenter de régler ponctuellement des crises incessantes.
Les résolutions fondamentales ont principalement pour objet de régler les questions de territoire, de frontières et de souveraineté en posant les principes d’une paix durable, de réaffirmer les droits du peuple palestinien (droit des réfugiés, droit à l’autodétermination, etc.) et de traiter la question de Jérusalem.
1- Les résolutions posant les principes d’une paix durable
A la suite de la guerre de 1967, le Conseil de sécurité des Nations unies vote, la résolution 242 qui jette les bases des négociations ultérieures en proclamant le principe de « la paix contre la terre ».
La résolution met en avant deux principes pour instaurer une paix juste et durable au Proche-Orient : d’une part, le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » ; d’autre part, le «respect et (la) reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force».
Le Conseil souligne également « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre », référence aux territoires arabes occupés par Israël lors de la guerre de juin 1967, notamment la Cisjordanie, la Bande de Gaza et Jérusalem-Est.
Lors de la guerre d’octobre 1973, la résolution n° 338, adoptée le 22 octobre 1973 réaffirme la validité de la résolution 242 et appelle à l’arrêt immédiat des combats dans les positions du moment. Le Conseil de Sécurité appelle les parties à « commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 du Conseil de sécurité, en date du 22 novembre 1967, dans toutes ses parties ».
Les résolutions 242 et 338 constituent au regard des Nations unies et du droit international, les fondements d’une solution au conflit et de l’instauration d’une paix durable. Toutes les résolutions ultérieures s’y réfèrent ainsi qu’au principe d’un droit au retour des Palestiniens et la question de Jérusalem.
2- Le droit au retour des réfugiés
Il est notable que la première résolution relative aux droits du peuple palestinien est la résolution de l’assemblée générale n° 194, du 11 décembre 1948, posant le principe du droit au retour des réfugiés palestiniens, c’est-à-dire le droit de rentrer dans leur foyer ou une juste indemnisation.
La résolution 194 énonce en son paragraphe 11 :
«Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé …»
Le droit au retour des réfugiés palestiniens reste la question la plus épineuse du conflit israélo-palestinien. En 1948, 85% des habitants de la Palestine historique furent expulsés de 531 de leurs villes et villages, soit plus des deux tiers de la population palestinienne. Ces réfugiés et leurs descendants sont aujourd’hui environ 3, 8 millions de personnes qui sont enregistrées auprès de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Il convient de souligner que le droit au retour est largement reconnu par le droit international dont il constitue une norme impérative.
Le droit au retour résulte notamment du caractère illégal de l’expulsion elle-même et du droit fondamental qu’a une personne de conserver sa nationalité. Le droit au retour est précisément posé par l’article 13, alinéa 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
«Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays».
Si la Déclaration universelle des droits de l’homme est dépourvue de caractère juridiquement obligatoire, il est notable que la Cour internationale de justice de La Haye accepte de donner à ses recommandations un caractère indérogeable, dont l’assimilation au jus cogens est incontestable.
Par surcroit, la communauté internationale a voulu traduire les principes généraux de la Déclaration universelle en instruments juridiques obligatoires par la signature du Pacte sur les droits civils et politiques (avec son protocole additionnel), adopté en décembre 1966.
Concernant le droit au retour, l’article 1er du Pacte mentionne le droit à l’autodétermination des peuples. En outre, l’article 12- 4 du Pacte précise :
« Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays». Cet article confirme l’existence du droit au retour. Il faut préciser que l’Etat d’Israël a ratifié ce Pacte le 3 octobre 1991 et n’a pas émis de réserves sur cette stipulation.
C’est dans ces conditions que les Nations unies ont posé la règle du droit au retour des réfugiés palestiniens. Lorsque l’Etat d’Israël a été admis aux Nations unies en mai 1949, son admission a été subordonnée au respect des dispositions de la résolution 194, en particulier pour ce qui concerne le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Après les expulsions de Palestiniens qui ont suivi la guerre de 1967, les résolutions des Nations unies traitent distinctement du droit au retour des réfugiés de 1948 et du problème des personnes déplacées en 1967.
Le Conseil de sécurité, par sa résolution 237 du 14 juin 1967, prie le gouvernement d’Israël de « faciliter le retour des habitants qui se sont enfuis depuis le début des hostilités». La résolution 242 du 22 novembre 1967 affirme la nécessité de trouver une solution juste et équitable au problème de ces réfugiés. En tout, l’Assemblée Générale adoptera une cinquantaine résolutions sur la question du droit au retour.
Citons, par exemple, la résolution 3089 D du 7 décembre 1973, posant le principe que « l’exercice du droit au retour est indissociable du droit à l’autodétermination », ou la résolution 3236, du 22 novembre 1974, qui réaffirme le « droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés et déracinés, et demande leur retour ». Cette résolution souligne « le respect total et la réalisation de ces droits inaliénables du Peuple palestinien sont indispensables au règlement de la question de Palestine ».
3- La question de Jérusalem
La résolution 181 de l’Assemblée générale, en date du 29 novembre 1947, concernant le plan de partage, envisageait la création d’un secteur de Jérusalem démilitarisé constituant une entité distincte sous l’égide du Conseil de tutelle des Nations Unies. La résolution 194 de l’Assemblée générale du 11 décembre 1948, a réaffirmé le principe de l’internationalisation et celui des droits existants. Israël n’a pas tenu compte de la résolution et a pris l’initiative d’étendre sa juridiction sur la partie de la ville de Jérusalem qu’il avait occupée.
Le 23 janvier 1950, il a déclaré que Jérusalem était sa capitale et installé les services du gouvernement dans la partie occidentale de la ville. La Jordanie, quant à elle, a décidé d’officialiser son contrôle de la vieille ville; toutefois, la législation jordanienne a indiqué que cette mesure ne préjugeait pas du règlement final de la question palestinienne.
Après l’occupation de la partie orientale de Jérusalem en 1967, les Israéliens ont mis en place une politique visant à provoquer d’importants changements. L’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité des Nations unies ont alors adopté plusieurs résolutions déclarant nulles et non avenues les mesures prises par Israël pour modifier le statut de Jérusalem.
La résolution 258 du Conseil de sécurité de 1968 déclare que le Conseil considère « que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent modifier ce statut ». Il est demandé à Israël «de rapporter toutes les mesures de cette nature déjà prises et de s’abstenir immédiatement de toutes nouvelles actions qui tendent à modifier le statut de Jérusalem».
Le Conseil de sécurité a souvent réaffirmé ces deux prises de position. Le Conseil de sécurité a adopté des résolutions dans le même sens à plusieurs reprises, en particulier avec la résolution 476 (30 juin 1980) lorsqu’Israël a prétendu faire de Jérusalem unifiée sa capitale, puis la résolution 478 du 20 août 1980, réaffirmant que toutes les mesures prises pour modifier le statut de la ville étaient « nulles et non avenues » et demandant aux États qui avaient établi des missions diplomatiques à Jérusalem de les retirer.
Un certain nombre de résolutions de l’Organisation des Nations Unies ont traité de la question de Jérusalem dans le contexte plus large du caractère inadmissible de l’acquisition de territoires par la force et de l’applicabilité de la quatrième Convention de Genève aux territoires palestiniens occupés par Israël depuis 196.
Le Conseil de sécurité a adopté la résolution 672 du 12 octobre 1990, pour condamner les actes de violence commis par les forces de sécurité israéliennes qui avaient fait des morts et des blessés près de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, et pour engager Israël à « s’acquitter scrupuleusement des obligations juridiques et des responsabilités lui incombant en vertu de la quatrième Convention de Genève relative à la protection de la population civile en temps de guerre, qui est applicable à tous les territoires occupés par Israël depuis 196.
En outre, plusieurs résolutions (9 février 1999,1er décembre 200…) condamnent les mesures et décisions d’ordre législatif et administratif prises par Israël, puissance occupante, qui ont modifié ou visent à modifier le caractère, le statut juridique et la composition démographique de Jérusalem-Est occupée.
4- Un droit international impuissant
Ce rappel juridique est important si l’on veut poser le problème sur des bases impartiales. En contrepartie de l’instauration de l’Etat d’Israël, les Nations unies ont posé un certain nombre de règles visant à garantir un minimum de droits aux Palestiniens. Or, force est de reconnaître que malgré ses engagements, l’Etat d’Israël n’a jamais voulu faire face à ses obligations concernant le droit au retour ou le respect du statut de Jérusalem.
Dans son avis rendu le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice de La Haye constate expressément que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, résultant d’un principe du droit international public à portée erga omnes, n’est pas respecté. La Cour constate également que de nombreux autres principes du droit international sont violés, notamment l’ensemble des règles relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire.
En outre l’Organisation des Nations unies a fait montre d’une totale inefficacité pour la mise en place des résolutions qu’elle a votées et l’application du droit international. Non seulement ces résolutions sont restées lettre morte, mais encore de nombreuses résolutions visant à mettre un terme à de multiples problèmes, violences, atteintes aux droits de l’homme, nés de l’absence de paix sont restés sans application.
C’est notamment le cas des résolutions condamnant l’établissement de colonies dans les territoires arabes occupés : résolutions de l’Assemblée générale 2851 (1971), 3005 (1972), 3331 (1974), 34/90 (1979), 43/176 (1988), 44/40 (1989), etc. ; résolutions du Conseil de sécurité 446, 452 (1979), 465, 471 (1980). C’est aussi le cas de la condamnation du mur de séparation par la résolution 1544 de 2004, ordonnant qu’Israël cesse immédiatement les travaux du « mur de séparation » et démantèle ce qui a été construit. Les résolutions des Nations unies sont des sources du droit international, le non respect de ces résolutions constitue donc une violation du droit international. Dans ces conditions, c’est la crédibilité du droit international qui est en question.
Plus grave encore c’est la perspective d’une paix juste et durable qui semble s’éloigner. Il y a un fossé de plus en plus profond entre les résolutions des Nations unies rappelant inlassablement les droits inaliénables du peuple palestinien et la réalité d’une colonisation galopante qui réduit chaque jour davantage les chances de la paix. Pourtant les conditions d’une paix durable sont claires : c’est la stricte application des résolutions des nations unies, à commencer par les résolutions 194, 242 et 338.
C’est d’ailleurs sur ces bases que repose le plan de paix arabe, adopté lors du Sommet de Beyrouth, en 2002, et réaffirmé lors du sommet de Riyad, en 2008. Ce plan arabe qui s’inscrit très précisément dans la ligne du droit international (la restitution de tous les territoires occupés par Israël en 1967 en échange d’une normalisation des relations israélo-arabe, la création d’un Etat palestinien viable et le règlement de la question des réfugiés palestiniens) est le seul cadre fondamental pour parvenir à un règlement global et équitable de la crise du Proche-Orient et non pas uniquement pour régler le problème palestinien mais tous les volets du conflit israélo-arabe.
Zeina el Tibi est Présidente de l’Observatoire d’études géopolitiques
Grotius International
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