En France comme au Québec, la collecte de fonds des ONG humanitaires a été bouleversée par la diffusion d’une technique particulière : le programme Direct Dialogue.
À l’origine, c’est une agence de collecte de fonds nommée Dialog Direct qui a initié ce programme pour Greenpeace Autriche à l’été 1995. Il s’agit d’envoyer dans la rue des « recruteurs » à la rencontre des passants et de leur proposer d’adhérer à Greenpeace en versant une contribution financière. Si le programme fut d’abord mené lors de rassemblements publics, c’est dans les centres-villes qu’il a pris son essor, notamment dans les zones piétonnes.
Le programme est un succès financier et Greenpeace International incite la majorité de ses bureaux nationaux à l’adopter. Le bureau français de Greenpeace commence à le développer en 1997 et il abandonne progressivement tous les autres canaux de collecte. Il compte alors sept salariés, un million d’euros de ressources et 18 000 adhérents. Fin 2004, ce même bureau fait état de 86 000 adhérents, avec un budget de 4,8 millions d’euros et 45 salariés permanents. Fin 2011, il affiche 151 000 adhérents, avec un budget de 13,6 millions d’euros et une soixantaine de salariés.
Au-delà de son impact financier, ce programme est novateur sur trois aspects. Premièrement, alors que l’axe principal de la collecte des ONG depuis plusieurs décennies est le publipostage, la collecte de fonds de rue réactive en apparence la figure la plus archétypale de la sollicitation de la générosité : la main tendue dans la rue du quêteur. Cependant la transaction du « Direct Dialogue » ne se fait pas à travers les canaux traditionnels du don (envoi d’un chèque à l’association ou don direct d’argent en espèce au quêteur), mais par un prélèvement bancaire automatique dont l’adhérent fixe le montant. La relation d’adhésion par prélèvement automatique périodique (bimensuelle, mensuelle ou trimestrielle) a plusieurs avantages pour l’ONG. Tout d’abord, elle la rend moins dépendante de l’actualité et de ses événements pour assoir sa communication et sa collecte. Ensuite, elle sollicite un don « non affecté », c’est-à-dire que l’ONG décide de manière autonome les modalités d’attribution des contributions des donateurs. Troisièmement, le don par prélèvement automatique permet de planifier les rentrées d’argent de manière plus pérenne. Enfin, toutes choses égales par ailleurs, ce mode de paiement sollicite moins de défection qu’un chèque à envoyer à intervalle régulier, puisque ne rien faire… signifie rester membre!
La seconde différence par rapport à un recrutement « traditionnel » : l’engagement pratique de l’adhérent est très faible (a minima, il reçoit une revue trimestrielle), mais sa participation financière est importante. En effet, si le montant de l’engagement est présenté comme libre, il existe de fait souvent un minimum de 6 euros par mois (environ 10$CAD), et la contribution moyenne se situe en France entre 6 et 10 euros par mois pour Greenpeace dans les années 2000. La contribution du membre est donc essentiellement financière, mais en mettant en exergue la croissance exponentielle du nombre de ses membres, l’association peut se doter d’une légitimité démocratique importante, notamment dans les arènes internationales où elle peut jouer tour à tour de son expertise, de sa force médiatique et de son enracinement « grassroots ».
Ce jeu entre les échelles internationale, nationale et locale est également un avantage du programme : Greenpeace, perçue, notamment en France, comme une organisation opaque et lointaine, met en scène sa proximité et son implantation sur tout le territoire. Ce programme opère donc un double mouvement : d’une part, la standardisation de la participation du membre sous forme financière, de l’autre, la mise en scène de l’enracinement démocratique de l’association, par le nombre de ses adhérents et par son accessibilité, au quotidien, dans le paysage urbain.
Troisièmement, l’aspect novateur du programme tient également au statut du recruteur. L’embauche n’est conditionnée ni à une adhésion préalable à Greenpeace, ni à une connaissance approfondie de la cause défendue ou même de l’association. Il est embauché pour ce travail selon des compétences principalement relationnelles : être dynamique, souriant, ne pas être découragé par les refus des passants, être à l’aise avec la défense de la cause comme avec la sollicitation des coordonnées bancaires. S’il n’est pas rémunéré à la commission, mais bien sur une base fixe, un seuil chiffré de recrutements quotidiens doit cependant être atteint.
De Greenpeace aux ONG humanitaires
Rapidement, plusieurs ONG humanitaires s’intéressent au programme Direct Dialogue. En effet, les avantages comparatifs du prélèvement automatique sont stratégiques pour une ONG comme Greenpeace, mais également pour les ONG humanitaires. En effet, celles-ci sont souvent prisonnières de l’attention médiatique portée à une crise pour lever des fonds, au détriment de certains territoires, de certaines problématiques ou de certaines populations, éternellement oubliés ou bien tombés dans l’oubli. De même, l’articulation des échelles locales-nationales-internationales est cruciale pour ces ONG, qui ont pour défi de témoigner auprès du public de réalités souvent lointaines. Enfin, même si des critiques vont émerger sur la présence dans le paysage urbain des recruteurs d’adhérents, ceux-ci vont profiter de l’aura des ONG humanitaires dans l’espace public français.
Ainsi, même s’ils sont salariés d’une agence auprès de laquelle l’ONG sous-traite le programme, qu’ils changent de gilet et de cause d’un mois à l’autre, et qu’ils n’aient jamais travaillé sur un terrain humanitaire, les recruteurs se voient parfois remercier par les passants pour « leur action héroïque ». Bien qu’ils aient comme consigne de prévenir ce type de confusion, ce transfert de légitimité, entre les travailleurs humanitaires « là-bas » et les collecteurs « ici-bas », opère fréquemment. Il compense à l’occasion le quotidien pénible de ce travail, où pour une centaine de « bonjours » lancés par heure, les recruteurs récoltent avant tout une large moisson d’apathie, de regards fuyants et de passants qui « trouvent cela très bien, mais n’ont pas le temps aujourd’hui ».
Amnesty International, puis Médecins Sans Frontières, adoptent le programme en 2002 et 2003 et le développent en interne en testant des aménagements divers. Ainsi, Amnesty International teste d’abord le programme avec des recruteurs bénévoles, mais l’expérience n’est pas concluante, la pénibilité de la tâche étant rapidement décourageante pour les recruteurs. De son côté, MSF articule parfois des sessions de recrutement avec des expositions itinérantes sur les campagnes qu’elle mène. De leur côté, Médecins du Monde, Handicap International, Care ou encore La Croix-Rouge mettent en place le programme au milieu des années 2000, en le sous-traitant à des opérateurs externes. Des agences spécialisées sur la collecte de fonds de rue sont en effet créées au début des années 2000. L’une d’entre elles, ONG Conseil [1], prend rapidement l’essentiel des parts de ce marché de la collecte de rue. D’une part, elle profite du savoir-faire accumulé précédemment par son fondateur à la tête du programme de Greenpeace France. D’autre part, elle met en avant l’application d’une démarche éthique, que ce soit dans la formation et la rémunération de ses recruteurs ou encore dans une communication fidèle aux valeurs et aux missions des ONG représentées.
En 2008, c’est une vingtaine d’ONG qui sillonnent les rues des principales villes françaises en menant plus de 450 000 heures de recrutement d’adhérents. Quelques articles et reportages apparaissent à l’occasion dans les médias pour critiquer cette méthode de collecte, que ce soit sous l’angle du « harcèlement » dont seraient victimes les passants dans les centres-villes urbains, ou sous l’angle de la « marchandisation du militantisme ». Vingt ans après les premiers débats sur l’emploi du marketing des causes humanitaires et sur le Charity Business [2], ces articles semblent redécouvrir pour l’occasion les processus de professionnalisation, de salarisation et de managérialisation (l’emprunt de méthodes issues du secteur privé) au sein des ONG. Il est vrai cependant que la collecte de fonds de rue pose de nouvelles questions, notamment parce qu’elle opère dans un vide juridique quant à sa présence dans l’espace public, puisqu’elle n’est ni une quête (pas de don d’argent, sous forme sonnante et trébuchante, mais un simple formulaire pour recueillir les coordonnées bancaires) ni une manifestation politique.
En Angleterre, ce problème de régulation se pose également, mais de manière plus aiguë. Comme en France, ce programme est introduit en 1997 par Greenpeace, puis par Amnesty et MSF, suivis de dizaines d’autres organisations. L’intense sollicitation à laquelle sont soumis les passants londoniens est soulignée en 2003 par une virulente campagne de presse. Les recruteurs sont qualifiés de « Chuggers » (contraction de Charity et Muggers) et la presse à scandale met l’accent sur l’« un-Britishness » de l’approche, jugée trop directe, manquant de tact et de savoir-vivre. Les honoraires consentis par les ONG aux agences sont également pointés du doigt. Cette remise en cause de la prolifération des recruteurs est ponctuée par une réaction des pouvoirs publics. En 2004, le gouvernement prend des mesures pour réguler le secteur en limitant les zones urbaines de recrutement et en instaurant un système d’octroi de licence, conditionné aux respects de certaines normes. Parallèlement, les collecteurs fondent un organe de régulation interne spécifiquement dédié au street fundraising : le PFRA (Public Fundraising Regulatory Association). Regroupant 110 ONG et 19 agences, cet organe devient très actif à partir de 2003 et vise d’une part, à la mise en place d’un guide de « bonnes pratiques », d’autre part à la centralisation et la coordination de l’allocation des sites de collecte, et enfin au développement d’une communication proactive auprès du grand public et des médias.
En 2011, Manchester est devenue la quarantième municipalité à restreindre la pratique de la collecte de rue, en délimitant des lieux, heures et jours d’activité. Malgré les critiques persistantes, les professionnels du secteur estiment que la technique a fourni de 500 000 à 600 000 donateurs aux ONG chaque année lors de la dernière décennie.
La diffusion très importante du programme, par-delà les diverses ONG et les différents pays, suscite donc des tensions et des accommodements différenciés. Il est à ce titre intéressant de suivre l’importation de ce programme au Québec, et les aménagements qu’il y subit.
De la France au Québec
La comparaison avec la situation de la collecte de rue au Québec et en France permet d’abord de souligner de fortes ressemblances. Dans les deux cas, c’est Greenpeace qui figure parmi les initiateurs du programme. Le bureau montréalais met ainsi en place les premières opérations en 2001, au même moment qu’Amnesty International. Peu après, comme en France, une agence spécialisée sur ce créneau, Engagement Public, est créée par des anciens salariés de Greenpeace et elle prend en charge la collecte de rue pour différentes organisations, telles Médecins Sans Frontières, Unicef, Oxfam, WWF, ou encore Médecins du Monde. Engagement Public est la branche québécoise de l’agence canadienne Public Outreach, qui compte aujourd’hui des bureaux dans neuf villes au Canada, mais aussi aux États-Unis et en Australie.
Témoins de la diffusion internationale de cette technique et de la constitution concomitante d’un véritable marché, l’agence ONG Conseil, qui mène la collecte de rue de la plupart des ONG françaises depuis une dizaine d’années, vend ses services désormais en Belgique, en Suisse, et au Québec depuis 2007. Elle y a notamment travaillé pour la Fondation Québécoise du Sida, la Croix-Rouge, le WWF, Action Contre la Faim et Care.
La technique de recrutement est la même qu’en France, même si les recruteurs de Greenpeace et d’Engagement Public sont plus passifs que leurs alter egos outre-Atlantique. L’arrivée d’ONG Conseil provoquera une certaine rupture de ton, avec des recruteurs allant davantage à la rencontre des passants, les hélant et étant plus démonstratifs. Cette technique sera stigmatisée comme une marque d’agressivité, et vécue comme dégradation de l’image des recruteurs par les tenants de l’ancien modèle. Les rapports tendus entre les agences, qu’on observera aussi en France avec l’arrivée de concurrents pour ONG Conseil, s’effacent néanmoins devant la nécessaire coopération pour s’entendre sur le partage et la rotation des lieux de collecte, pour éviter d’avoir trop d’ONG au même endroit, au même moment.
Autre ressemblance entre les cas québécois et français : le public cible de la collecte de rue. Si la sollicitation par publipostage attire majoritairement des donateurs seniors, le recrutement d’adhérents dans la rue permet de renouveler et de rajeunir considérablement la base de donateurs. Le cas de la Croix-Rouge en est une bonne illustration. Elle a commencé la collecte de rue en 2005 au Canada et en 2009 au Québec. Neuf millions de dollars ont été levés en 2012, grâce au recrutement progressif de 60 000 donateurs mensuels qui versent en moyenne 17,5 dollars par mois. Si l’âge moyen du donateur recruté par le publipostage est de plus de 60 ans, il est plus proche dans la rue de 25-30 ans. Les recrutés ont d’ailleurs approximativement le même âge que les recruteurs. Ceux-ci sont principalement des étudiants en sciences sociales et des artistes (comédiens, musiciens), intéressés par le développement international, et ayant parfois connu des expériences d’expatriation dans le cadre de leurs études ou de voyages. Ils ont donc une attirance générique vers le monde des ONG et des causes soutenues, plutôt qu’une connaissance pointue sur une thématique ou une organisation particulière. Ceci leur permet de représenter indifféremment telle ou telle ONG selon les sessions, même si certains recruteurs reconnaissent avoir une accointance particulière avec certaines d’entre elles.
Comme en France, la difficulté du métier de recruteur tient dans la nécessaire conciliation d’une capacité à incarner la cause et l’ONG, ce qui suppose une forme particulière d’engagement (au sens physique, moral et militant), et d’une capacité à s’en distancier, à prendre la rue comme terrain de jeu, à ne pas se laisser démoraliser par l’apathie routinière des passants, la répétitivité des formules d’accroche ou encore la dimension managériale des objectifs de la levée de fonds. Le but n’est pas en effet de diffuser de l’information, mais bien de remplir des objectifs chiffrés. Payés de 12 à 16 dollars de l’heure (selon les agences et l’ancienneté), les recruteurs doivent atteindre des quotas quotidiens précis, sous peine de voir leurs contrats ne pas être reconduits.
À ce titre, on peut souligner une première différence entre les cas québécois et français. Ainsi, Greenpeace Québec a adopté un système de rémunération différenciée, selon l’ancienneté, mais aussi selon le volume des dons collectés, ce qui n’a pas été mis en place en France. Si l’accent managérial semble donc plus prononcé côté québécois, il faut néanmoins noter que les recruteurs sont associés à l’occasion aux actions menés par le bureau pour répercuter les campagnes, que ce soit par des actions médiatiques ou bien des séances d’informations dans les écoles ou dans des espaces publics. Enfin, des séances de support moral et psychologique, individuel et collectif, sont organisées systématiquement.
Seconde différence, les lieux de collecte ne sont pas seulement dans les rues. D’une part, notamment à cause des conditions météorologiques, les recruteurs opèrent également dans les stations de métro. D’autre part, un programme parallèle consiste à mener des opérations de levée de fonds en face à face, mais via le porte à porte. Cette modalité plus ancienne est une application des techniques de vente d’encyclopédie en porte-à-porte, déclinée au début des années 1970 aux États-Unis pour les campagnes électorales (notamment le démarchage des électeurs), pour les groupes religieux (comme les Témoins de Jéhovah), puis par les organisations de défense des consommateurs, et enfin par les ONG environnementales et humanitaires. La technique repose sur un découpage rigoureux du territoire à démarcher durant toute l’année, sur le paiement des démarcheurs au prorata des fonds levés (ou selon un système de bonus) et sur l’atteinte de quotas quotidiens précis. À Montréal, Greenpeace conduit ce programme depuis 1998 et il est mené par la plupart des ONG parallèlement aux opérations dans la rue. Aux États-Unis, les agences de « Canvassing » (sollicitation) continuent à mener les opérations de porte-à-porte, mais ont ajouté à leur activité le recrutement dans la rue, de manière massive, dans les grands centre-urbains au cours des années 2000[3].
En France, le recours au porte-à-porte prête à sourire lorsqu’il est évoqué par les collecteurs des ONG humanitaires. Il semble en effet une incongruité culturelle, peu susceptible d’être importé outre-Atlantique. Paradoxalement, au Québec, avant qu’il ne soit mis en place, l’évocation du recrutement d’adhérents en face à face dans la rue semblait tout aussi peu crédible. En conséquence, il est sans doute intéressant de relever que lors de la dernière campagne électorale présidentielle française, l’équipe du candidat socialiste a mis en place des opérations de porte-à-porte utilisant précisément les techniques de ciblage et de démarchage mises au point par l’équipe démocrate d’Obama en 2004. Sans surprise, on retrouvait aux commandes de cette opération une professionnelle de la collecte ayant œuvré auparavant au sein d’une ONG humanitaire.
La sollicitation en face-à-face devient donc un instrument généralisé de recrutement, pouvant servir aussi bien pour une organisation environnementale, de droits humains ou humanitaire, dans la rue ou en porte-à-porte, pour une ONG ou pour une campagne politique. On atteint alors un troisième degré de désencastrement de l’instrument vis-à-vis de la cause, après le premier stade de la professionnalisation (utiliser des recruteurs rémunérés et spécialisés sur cette tâche, au lieu de militants bénévoles), et le second de la sous-traitance (avoir recours à une agence au lieu de mener le programme au sein de l’ONG). Au-delà de l’enjeu en termes de marketing des causes (comment sortir du lot, dans la masse indistincte des sollicitations en face-à-face ?), c’est la nature du lien entre l’ONG et ses soutiens qui pose alors question. Ceci est un enjeu particulièrement central pour des ONG humanitaires dont la relation auprès du public ne se limite pas à la recherche d’un soutien financier, mais vise à sensibiliser les consciences, à témoigner de problèmes lointains ou cachés et à dénoncer des situations injustes. Et cet enjeu s’impose par-delà les frontières, au Québec comme en France…
Parce qu’elle se déroule dans l’arrière-cuisine de l’action collective, la collecte de fonds apparaît au mieux comme un détail logistique, au pire comme un « sale boulot » nécessaire. Pourtant, en suivant à la trace le programme Direct Dialogue, au travers des allers-retours en l’Europe et l’Amérique, entre les ONG et les agences, entre les techniques marchandes et l’engagement pour des causes, il apparaît que c’est aussi une certaine histoire de l’action humanitaire qui s’écrit. Moins connue, moins éclatante, mais peut-être pas moins décisive que les controverses qui agitent l’avance-scène du secteur humanitaire…
Pour aller plus loin: Lefèvre S., ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l’argent. Paris, Presses Universitaires de France, 2001
[1] http://www.ongconseil.com/
[2] Kouchner B., Charité Business, Paris, Le Pré aux Clercs, 1986.
[3] Fisher D., Activism, Inc. How the Outsourcing of Grassroots Campaignsis Strangling Progressive Politics in America,StanfordUniversity Press, 2006.