L’action humanitaire, entre compassion du Nord et main tendue du Sud

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Par Valentin Siméon Zinga… Plébiscités car ils soulagent des populations en détresse, les secours et l’action humanitaire en général, n’échappent pas au procès inhérent à la logique de fonctionnement des ONGI, à leurs modalités de mobilisation, et tout simplement à l’histoire des relations internationales…

Elan compassionnel, visées géostratégiques, contours idéologiques… Et main tendue du Sud. Côté pile : c’est le déploiement tous azimuts… Petit détour au cœur de l’Afrique pour mieux comprendre. Ce mois d’août 2009, le Cameroun apparaît comme emblématique d’une croisade humanitaire en Afrique centrale. Quelques milliers de réfugiés Tchadiens, sur les 58 000 qui ont afflué dans la partie septentrionale du Cameroun début février 2008, mobilisent encore l’attention des organisations humanitaires.

L’année dernière déjà, « Capital Santé », une publication de l’Organisation mondiale de la santé à Yaoundé, affichait fièrement en Une de son édition de février – avril 2008 : « Réfugiés du Tchad : l’OMS au front ». En pied de page du même périodique, on peut lire : « Inondations à Yaoundé. Des soins pour les sinistrés ». Le message est clair : présence et mobilisation.

Dossier d’actualité : quelques 63 000 réfugiés centrafricains déployés dans les régions de l’Est et de l’Adamaoua, en territoire camerounais, depuis le mois de mars 2005, suite à l’insécurité consécutive aux rébellions en RCA, sont l’objet de diverses attentions. Petite leçon du mode opératoire et de la répartition des rôles. « Pour les assister, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), la Fédération internationale des sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (FICR) ont défini un cadre de coopération plutôt bénéfique.

La Croix Rouge camerounaise, Société nationale hôte accompagnée par la Fédération internationale, est chargée de la mise en œuvre des activités prévues en faveur des réfugiés. Les volontaires, issus de plus de 70 comités locaux des 5 zones et formés pour les besoins de la cause, sont encadrés et appuyés par les membres des équipes régionale et nationale de réponse aux désastres de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, rompus à la gestion des réfugiés et spécialistes dans divers domaines : santé, nutrition, secours, distribution logistique », explique un officiel de la FICR à Yaoundé.

Concrètement : distribution par le Programme alimentaire mondial de maïs, huile, farine, sucre, sel… mais également «veille sanitaire» donnant lieu à des dons de savon ainsi qu’à l’octroi de moustiquaires imprégnées de répulsif insecticide dit «de longue durée». Sans oublier la prise en charge éducative de quelques 8 500 réfugiés en âge d’être scolarisés. Sur place en RCA, les humanitaires doivent voler au secours d’environ 700 000 enfants pénalisés par l’insécurité, et dont un récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’Enfance, dit qu’ils sont «voués à la mort dans deux ans si rien n’est fait».

Dans la sous-région d’Afrique centrale, la République centrafricaine semble décidément tenir une place de choix. En raison d’une trésorerie d’Etat plutôt vulnérable. Si du moins l’on en croit quelques officiels de la FICR à Yaoundé. « Actuellement, on doit faire face aux graves inondations des mois de juin et de juillet. Nous œuvrons au rétablissement des points d’eau, à la sensibilisation des populations, à l’organisation des secours envers ceux qui n’ont rien », avance Mamadou Saliou Diallo, délégué régional gestion des catastrophes à la FICR. Prêt à désigner d’autres sites préoccupants…

En République démocratique du Congo par exemple. « Nous avons beaucoup d’activités dans l’Est du pays exposé aux catastrophes naturelles. Actuellement nous avons déployé une action de surveillance autour d’un volcan dans la région. Nous essayons de sensibiliser les populations », insiste M. Mamadou Saliou, qui n’est pas prêt d’oublier l’engagement de son organisme depuis trois ans dans la lutte contre la fièvre Ebola.

Côté face : l’aide-spectacle

S’esquissent alors, au gré de cette rapide revue, les grandes lignes d’une certaine «géographie planétaire de l’humanitaire». D’une part, le Nord pourvoyeur de l’aide ; de l’autre le Sud, grand demandeur. Surgit alors l’autre versant de cet humanitaire…

Côté face… Au cœur d’interminables procès, avec leurs procureurs, peu portés à l’hypocrisie. Et leurs réquisitoires en règle. Premier dossier : la crédibilité. Avec, bien sûr, en toile de fond, la tendance à l’humanitaire – spectacle. « Tant que les caméras sont là, les gens se mobilisent. Dès que les caméras sont parties : plus rien. Le malheur c’est que les gens viennent se faire voir », analyse Mamadou Saliou Diallo qui a blanchi sous le harnais au sein de la Croix rouge, a pas mal roulé sa bosse en Afrique de l’Ouest avant d’être en poste en Afrique centrale.

Se rappelant le décalage entre l’exceptionnelle mobilisation en faveur des victimes du Tsunami en 2004, et les lieux oubliés d’Afrique sub-saharienne, il y va de ses regrets : «En général, la mobilisation faite grâce aux médias aboutit à des dons en faveur des personnes vulnérables. Mais lorsqu’il s’agit de véritables stratégies de sortie, les humanitaires ont tendance à répondre qu’il ne s’agit pas de projets en droite ligne de leur mandat. Du coup, ils clôturent les opérations, laissant sur place ces bénéficiaires d’aides rendus vulnérables car habitués à recevoir».

Alors que reste-t-il de cet humanitaire dont le déploiement en voiture 4X4 et dispositif ultrasophistiqué de communication contribue à construire une certaine image d’Epinal ? Pas grand chose si l’on s’en tient à une ligne d’analyse sévère. « Finalement, on a des institutions qui font davantage de l’administratif qu’elles n’agissent sur le terrain. Il n’y qu’à voir comment, dans le Sud, les demandeurs d’asile sont traités.

Ce ne sont pas les bénéficiaires qui intéressent les acteurs de l’humanitaire, mais la gestion de la paperasse », indique Hilaire Kamga, président de la branche camerounaise de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, qui s’est investi dans un programme d’appui aux réfugiés entre 1997 et 2004, et a mené une grande campagne contre la fermeture du bureau du HCR à Yaoundé en 2002.

Mais il y a de la place pour la nuance : « On tend généralement à accorder plus de crédit à l’humanitaire des ONG (même si les moyens de ces acteurs sont en général limités ; parce qu’on estime qu’ils correspondent au principe d’humanité : porter secours à toute personne se trouvant en détresse), et que leurs motivations sont plus neutres.

En revanche, l’humanitaire des acteurs publics est souvent suspecté d’être fondé sur des calculs stratégiques et idéologiques qui n’ont, en dépit des apparences rien à voir avec les principes fondamentaux de l’action humanitaire », analyse Ernest-Marie Mbonda, Maître de conférence à la Faculté de philosophie de l’Université catholique d’Afrique centrale.

La division internationale du travail humanitaire…

Ce faisant, l’auteur de « L’action humanitaire en Afrique. Lieux et Enjeux », esquisse déjà lui-même les contours de cet humanitaire qui se déploie au confluent de la compassion, de l’idéologie et de la géostratégie. « On ne peut pas faire l’économie des considérations touchant aux rapports entre la mobilisation des Etats du Nord, les pays qui bénéficient de ladite mobilisation, et les intérêts que ces pays représentent », tranche, lapidaire, un officiel rompu aux activités d’un organisme international. « Les relations internationales, en général, sont toujours très marquées idéologiquement.

Et ce ne sont pas les discours faisant valoir un certain nombre de valeurs telles la solidarité, les droits de l’Homme, la justice internationale, qui feront disparaître ces enjeux idéologiques. L’action humanitaire n’est donc pas idéologiquement neutre. Il est significatif à cet égard que les Etats du Nord interviennent souvent prioritairement, voire exclusivement, dans leurs anciennes colonies, dans leurs prés carrés ou auprès de leurs alliés commerciaux et idéologiques », explique Ernest-Marie Mbonda.

Dans ces conditions, et si l’on prend en compte la pauvreté qui semble à certains égards sa marque distinctive, le Sud peut-il sortir de cette division du travail humanitaire qui le condamne pratiquement à un statut de réceptacle de l’aide mobilisée par le Nord ?

Apparemment, il ne s’agit pas seulement de fatalisme. A condition que les Etats prennent leurs responsabilités. « C’est la faillite des Etats qui détermine celle de la permanence de la main tendue du Sud au Nord. Les Etats restent dans une logique néo-coloniale où rien n’est fait par rapport aux intérêts des populations », explique Hilaire Kamga.

Et dans le sillage de ce changement de paradigme, des pistes de sortie de l’engrenage ne manquent pas. « Des réformes politiques radicales pourraient mettre fin à cette dépendance, pour laisser place à une véritable solidarité internationale ; laquelle implique d’abord que les pays du Sud assument prioritairement leur responsabilité de protéger, et que, subsidiairement, les autres pays interviennent quand les pays concernés par les crises n’ont pas pu y faire face par leurs seuls moyens », suggère Ernest-Marie Mbonda.

Valentin Siméon Zinga, journaliste camerounais (Yaoundé)

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