Les médias serrent les boulons
La crise financière fait craindre non seulement une baisse du financement de l’aide humanitaire – le « marché » des subventions et du mécénat est déjà tendu, les grandes Fondations ont révisé leur stratégie, mais elle risque de nuire aussi à la couverture médiatique des conflits et des drames humanitaires dans le monde. La Fédération Internationale des Journalistes a lancé un cri l’alarme…
Envoyer des équipes en reportage au bout de la terre coûte cher et en période de crise, il y a encore moins d’argent pour dépêcher deux ou trois semaines des journalistes sur le terrain. Conséquence de la restructuration des médias occidentaux et des coupes claires dans les rédactions : la présence physique d’envoyés spéciaux dans des zones de conflit est en baisse, avec un impact direct sur la qualité de l’information.
« D’une façon générale, si nous voulons préserver dans nos démocraties des médias qui offrent des informations et une réflexion valables, il faut savoir poser la question : qui paie ? » souligne Aidan White, secrétaire général de la FIJ. « Le secteur privé ne suffit plus, et nous avons besoin d’un dialogue avec les pouvoirs publics ». Paradoxe apparent : à l’heure où chacun, grâce à Internet peut s’exprimer, l’accès à une information de qualité pose aujourd’hui de plus en plus problème.
Contraintes budgétaires obligent, les médias occidentaux, au lien d’envoyer leurs reporters sur le terrain, préfèrent de plus en plus recourir au personnel local de leurs bureaux extérieurs pour couvrir les conflits ou chercher la matière première auprès des grandes agences (AFP, Reuters, DPA…) Que les journalistes du Nord ne soient plus les seuls à couvrir l’actualité du Sud, est une évolution positive en soi. Or cette tendance est le résultat d’un contexte nouveau, celui de la crise financière. Les rédactions des grandes capitales occidentales offrent-elles les mêmes moyens, les mêmes conditions de travail aux journalistes locaux qu’à leurs envoyés spéciaux ? Nous connaissons la réponse.
La protection des journalistes
Comment assurer la protection des travailleurs de presse dans les zones de conflits ? Les contraintes budgétaires des médias n’ont-elles pas un impact sur la sécurité des journalistes ? La question dès aujourd’hui mérite d’être posée. Au Sri Lanka ou ailleurs, les gouvernements et les forces militaires entendent agir à l’abri des micros et des caméras, sans témoins. L’adoption, en 2006, par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 1738 sur la protection des journalistes dans les conflits armés et la nécessité de juger les auteurs de violences à leur encontre est un progrès important. Mais pour qu’il y ait enquête et procès, l’accord de l’Onu est indispensable. « A Gaza, nous avons demandé l’ouverture d’une enquête sur la mort de plusieurs journalistes durant l’offensive israélienne contre le Hamas. Mais le secrétaire général Ban Ki Moon a limité l’enquête sur l’attaque contre les bâtiments et le personnel des Nations unies » relève Aidan White.
De son côté, l’Institut International de Protection de l’Information (INSI) craint que les médias occidentaux réduisent leurs budgets de formation pour la protection de leurs personnels dans les zones à risques. Les journalistes locaux sont-ils, enfin, eux-mêmes suffisamment formés ? Ne vont-ils pas courir des risques accrus ? Les demandes de plus en plus pressantes des sièges ne vont-elles pas peser sur leur comportement ?
La couverture des conflits et des crises humanitaires par ces journalistes locaux impose des efforts, donc des moyens financiers accrus, de formation. Plus globalement ces confrères doivent être « renforcés » à plusieurs niveaux : leur protection bien sûr, mais aussi ce qu’on pourrait appeler leur capacité de résistance à d’éventuelles tentatives de corruption ou d’influence. « Les gouvernements des pays du Sud, qui bénéficient des dons et des prêts de la communauté internationale au titre de l’aide au développement, pourraient consacrer une partie de ces ressources à la formation des journalistes locaux. Mais nombre d’entre eux rechignent à le faire » constate Aidan White.
Comment, dans le contexte actuel, offrir une information fiable et de qualité ? Comment réduire au maximum le choc de la crise financière mondiale sur la couverture médiatique des crises humanitaires ? Suite à l’appel lancé par la Fédération Internationale des Journalistes, le Secrétaire Général adjoint des Nations unies à l’Information et à la Communication, Kiyotaka Akasaka s’est engagé à lancer le débat à New York. Affaire à suivre…
Anne-Marie Mouradian
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