La réponse européenne au séisme à Haïti a été rapide et importante mais sa mise en oeuvre a été ralentie par des problèmes de coordination, de logistique et d’accès à la population. Par ailleurs, son manque de visibilité – alors que l’UE est le premier donateur mondial d’aide humanitaire – a été très critiqué. Des querelles ont surgi avec, au cœur du débat, la place centrale et très médiatisée prise par les Etats-Unis dans l’organisation des secours. Bouc émissaire des frustrations européennes, Catherine Ashton, la Haute Représentante de l’UE, en fonction depuis le 1er janvier, a essuyé les plâtres.
A Bruxelles, on juge la polémique inopportune. «Si tous les Européens présents à Haïti pour aider la population portaient l’uniforme européen, l’UE serait très visible. Mais chacun préfère arborer les couleurs nationales de son pays, c’est une question de volonté politique. L’important, c’est que notre action soit efficace», a commenté à son retour de mission sur le terrain, Karel De Gucht, le commissaire européen au Développement. L’UE estime qu’elle n’a pas à rougir.
Dans une phase initiale, elle a déjà dégagé 428 millions d’euros, une aide versée et mise en œuvre, comme d’habitude, par des organisations humanitaires et des agences onusiennes, ce qui explique également son peu de visibilité. S’y ajoutent de nombreux ratés en matière de communication, des informations confuses qui ne donnent pas une image claire et globale des premiers engagements communautaires.
On se prend plus que jamais à rêver de voir l’UE disposer collectivement de ses propres moyens d’intervention dans une situation d’urgence de ce type. Non seulement pour des raisons de visibilité mais parce que sa capacité serait évidemment améliorée par une mutualisation des efforts et la mise en place d’un organe central pour coordonner l’aide avec les Etats membres.
Depuis longtemps, des propositions sont sur la table, que les Etats membres ont laissé traîner. Dès 2006, Michel Barnier avait proposé dans un rapport, la création d’une force européenne de protection civile.
Au lendemain du drame haïtien, Herman Van Rompuy le président de l’UE a appelé de ses vœux la mise en place d’une telle force et José-Manuel Barroso, le président de la Commission européenne a indiqué que «le dispositif de réaction rapide face aux catastrophes, sera parmi les premières priorités de la prochaine Commission européenne, dès qu’elle sera entrée en fonction». En espérant que la pression ne retombe pas… Au Parlement européen d’y veiller.
Une force humanitaire européenne ?
«A supposer que la volonté politique existe au niveau des Etats membres, la mise en œuvre d’une force humanitaire européenne prendra du temps», fait remarquer Peter Zangl, le directeur général responsable de l’Aide Humanitaire à la Commission de Bruxelles.
En attendant, estime-t-il, il convient de voir si le système actuel, via des organisations humanitaires et agences onusiennes, fonctionne. «C’est le cas», affirme Peter Zangl «car les ONG que nous finançons sont très professionnelles et bien rodées, avec des spécialistes motivés et expérimentés – leur travail à Haïti le confirme -, qu’il s’agisse de la Croix rouge espagnole pour la production d’eau potable, d’Action contre la faim, de Médecins sans frontières, de Médecins du Monde, etc. Je ne vois pas de faiblesse structurelle à ce système même s’il est vrai qu’il a un inconvénient au niveau de la visibilité. Bien sûr, il faudra aussi, après coup, dresser un bilan et en tirer les leçons, il y a toujours des ratés.» De son côté, la Haute Représentante a promis que «l’UE ne fera pas l’économie du débat sur comment mieux faire».
Pour l’heure, Catherine Ashton ne dispose ni des nouveaux instruments prévus par le Traité de Lisbonne pour remédier précisément à la dispersion des efforts européens, ni du guichet unique qui rassemblera aide humanitaire et protection civile dans la prochaine Commission européenne.
A Haïti, l’UE fonctionne donc selon ses mécanismes habituels. Des experts d’ECHO, l’office européen d’aide humanitaire, ont été rapidement déployés sur le terrain, 14 heures après le séisme, pour évaluer la situation.
De son côté, l’unité communautaire de protection civile (MIC) y coordonne le déploiement d’un millier d’experts (médecins, pompiers, techniciens) et d’équipements (tentes, hôpitaux de campagne, postes médicaux avancés, unités de purification d’eau…) en provenance de 24 Etats membres. En attendant d’être réunis sous un chapeau commun, l’office humanitaire et la protection civile travaillent en étroite coordination.
Au niveau de la sécurité et pour répondre à la sollicitation des Nations-Unies, l’UE a décidé, le 25 janvier, l’envoi de quelque 350 hommes de la gendarmerie européenne (France: 140, Italie: 100, Pays Bas: 60, Portugal: 50, Espagne: entre 20 et 30) qui doivent contribuer à assurer l’ordre public et la distribution de nourriture.
Les moyens logistiques lourds, généralement fournis par des unités militaires (navires, hélicoptères, ingénieurs…) resteront sous le contrôle de leurs gouvernements nationaux. Mais une cellule de coordination légère (EUCO) a été finalement décidée pour éviter les doublons.
Les 350 gendarmes européens ne feront-ils pas pâle figure comparé à la présence militaire massive des Etats-Unis ? «L’assistance militaire américaine était essentielle pour faire fonctionner l’aéroport et le port. Les USA étaient les seuls à pouvoir monter pareille opération, aussi vite, aussi massivement » reconnaît-on à Bruxelles.
Mais on s’interroge sur le rôle, à Haïti, de GI’s venus d’Afghanistan et d’Irak. Et des responsables humanitaires ne cachent pas leur irritation face à la présence dans les hôpitaux, de GI’s lourdement armés.
Autre sujet de préoccupation : les Américains ne participent pas aux réunions de coordination qui se tiennent tous les jours à Port-au-Prince, sous l’égide des Nations unies. « On ne peut pas d’un côté faire cavalier seul, et de l’autre, reprocher aux Nations unies de ne pas être en mesure de jouer leur rôle légitime de coordination internationale en cas de crise. Encore faut-il que ceux qui doivent être coordonnés acceptent de l’être. Nous aussi, en tant que premier donateur mondial, nous pourrions ne pas jouer le jeu et fonctionner seuls », fait remarquer un expert d’ECHO.
L’UE a, dès le départ, choisi de mettre son action sous le chapeau des Nations unies. «Nous participons tous les jours sur le terrain aux réunions qui, sous l’égide de l’ONU, rassemblent ONG, bailleurs de fonds et tous les autres acteurs. Devant le manque de capacité du gouvernement haïtien pour se coordonner, c’est une nécessité absolue», notent les experts européens. La coordination se fait au sein de différents groupes qui travaillent sur des questions relatives aux abris, à l’eau, la santé, la nourriture, l’éducation, etc.
Des besoins énormes
La reconstruction prendra des années. En attendant, l’hébergement des sans-abris est une priorité car dans quelques mois, viendra la saison des pluies. Le défi est énorme. Il faut d’urgence construire des abris pour 250.000 personnes. « Le gouvernement haïtien nous a promis d’identifier l’emplacement de centres d’hébergement pour que nous puissions commencer les travaux préparatoires. Il est hors de question d’avoir des centres dont le sol n’aurait pas été correctement préparé. Ensuite il faudra définir le nombre de tentes, les équipements de santé, d’éducation, etc. », indique Peter Zangl.
En même temps que la mise en place de l’aide humanitaire, l’UE examine les prochaines étapes et les moyens d’aider le gouvernement qui a perdu des ministres, du personnel administratif, des moyens matériels, bâtiments, outils logistiques, à récupérer ses capacités.
«Au niveau de la reconstruction, le renforcement de la base alimentaire et l’approvisionnement en eau potable seront essentiels» ajoute Peter Zangl. Avant le tremblement de terre déjà, l’accès de la population à l’eau potable était un grave problème. Y remédier sera une priorité ». L’Europe, depuis longtemps un important donateur à Haïti, veut dans le cadre de la reconstruction, améliorer les systèmes d’eau, d’électricité, d’hygiène, d’éducation et relever un Etat écroulé. Bref, agir là où elle sait le faire, sans soupçon d’ingérence.
Anne-Marie Mouradian
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