Les migrants présentent désormais
leur carte de santé « Llega y regresa sano »*
La nouvelle loi mexicaine sur la migration, publiée le 25 mai 2011, dépénalise l’entrée irrégulière sur le territoire mexicain et assure aux migrants des droits fondamentaux comme l’accès aux soins, à l’instruction, au droit et à la sécurité. Les autorités publiques, la société civile et des ONG comme Médecins du Monde, considèrent qu’il s’agit d’une étape décisive dans la lutte contre les discriminations faites aux migrants en situation irrégulière au Mexique.
La nouvelle loi fédérale octroie le droit aux soins, que les migrants aient leurs papiers ou non. L’état du Chiapas et sa juridiction sanitaire souhaitent aller plus loin dans la réforme pour offrir la gratuité des soins aux migrants.
Quatre types de migrations ont été décrites à l’occasion d’un forum sur la nouvelle loi qui s’est tenu le 15 juillet 2011 à Tuxtla Gutierrez, capitale de l’état du Chiapas : les mexicains qui migrent vers les Etats-Unis, les mexicains vivant aux Etats-Unis et qui reviennent dans leur pays d’origine, les personnes originaires d’Amérique du Sud ou d’Amérique Centrale qui s’installent au Mexique. La dernière catégorie concerne une migration interne au Mexique, notamment celle des travailleurs agricoles originaires du Chiapas qui vont travailler dans des Etats du nord.
Flux migratoires à la frontière sud
Par sa situation géographique, le Mexique a toujours été le théâtre d’importants flux migratoires. Il partage au nord une frontière de 3152 km avec les Etats-Unis et au sud une frontière de 956 km avec le Guatemala et de 193 km avec le Belize. Le Mexique est un pays avec des inégalités sociales régionales marquées : le Chiapas, au sud, est l’état le plus pauvre avec ses 30% de population indigène, alors qu’il est riche en ressources naturelles (café, cacao, canne à sucre, fruits tropicaux).
L’Institut National des Migrations (INM) estime à 29 000 le nombre de travailleurs migrants qui résident dans le Soconusco, zone frontalière mexico-guatémaltèque, de façon permanente ou temporaire. Ces migrants sont composés de travailleurs agricoles (hommes, femmes, enfants) originaires de différents pays d’Amérique Centrale et qui peuvent bénéficier d’un droit de séjour temporaire spécifique aux travailleurs agricoles, de vendeurs ambulants, de travailleuses domestiques (originaires du Guatemala principalement) et de travailleuses sexuelles (provenant souvent du Salvador, Honduras et Nicaragua). Les travailleuses domestiques et les travailleuses sexuelles sont souvent en situation irrégulière.
La santé des travailleuses étrangères en péril
Les femmes, qui représentent 50% de la migration totale, sont les plus vulnérables : elles sont souvent l’objet de violences physiques, psychiques et sexuelles au cours de leur migration et leurs conditions de travail sont souvent difficiles. La migration est un facteur de vulnérabilité pour la santé, car elle limite l’accès aux soins : transit dans des villes inconnues, absence d’information sanitaire, absence de moyens financiers, crainte d’être rejetée des centres de santé en l’absence de papiers en règle, crainte d’être rejetée quand on est une travailleuse sexuelle (double discrimination)…
Médecins du Monde développe, depuis 6 mois à Tapachula et Huixtla (dans l’Etat du Chiapas, près de la frontière mexico-guatémaltèque), un projet pour le renforcement de l’accès à la santé de femmes migrantes, travailleuses domestiques et travailleuses sexuelles. Les travailleuses domestiques, dont la moyenne d’âge est de 15 ans, sont le plus souvent originaires du Guatemala. Leurs conditions de travail et salaires dépendent du bon vouloir de leurs employeurs chez qui elles vivent. Elles bénéficient en général d’un jour de repos hebdomadaire (le dimanche). Les travailleuses sexuelles, âgées en moyenne de 27 ans, travaillent dans des bars comme serveuses et offrent leurs services aux clients intéressés. Elles résident dans les zones de tolérance où se trouvent les bars, ou dans des hôtels. Ce sont des femmes qui ont souvent des connaissances réduites en santé sexuelle et reproductive et posent des problèmes tels que grossesses non désirées, infections sexuellement transmissibles, violences physiques, sexuelles ou psychiques.
Elles ont également une méconnaissance de leur droit à un accès libre et gratuit au système de santé mexicain. Elles peuvent bénéficier notamment d’une carte de santé « Llega y regresa sano ». Elles ont aussi accès à des consultations gynécologiques (frottis du col, accès à une contraception dont la pilule du lendemain), des services de détection, prévention et contrôle du VIH-SIDA et autres maladies sexuellement transmissibles, des vaccinations, et enfin à des consultations spécifiques pour la prise en charge des violences au sein d’un « module d’attention intégrale aux femmes » situé dans les Centres Hospitaliers de Tapachula et de Huixtla. Là, les femmes peuvent être admises en urgence par une psychologue, un médecin et un gynécologue, avec un signalement automatique aux autorités judiciaires pour dénoncer l’acte de violence.
Depuis février 2011, un millier de femmes migrantes ont été informées des modalités d’accès gratuit aux centres de santé de Tapachula et Huixtla. Cela s’est fait à l’occasion d’ateliers réalisés au local de Médecins du Monde, le dimanche pour les travailleuses domestiques, et dans les bars pendant la semaine pour les travailleuses sexuelles. En plus d’ateliers d’information sur les droits du travail et les droits migratoires, elles ont également participé à des ateliers sur la connaissance du corps, la prévention des grossesses non désirées et des infections sexuellement transmissibles (dont le VIH), la sensibilisation aux violences et le renforcement de l’auto-estime.
En partenariat avec la juridiction sanitaire de Tapachula, l’équipe de Médecins du Monde sensibilise les personnels de santé des centres de santé et du centre hospitalier à un meilleur accueil des travailleuses migrantes, notamment en cas de violence. Prochainement, le travail de sensibilisation sera réalisé auprès des autorités migratoires (Institut National des Migrations).
Des réunions stratégiques d’attention aux migrants, associant les autorités sanitaires et migratoires, ainsi que des ONG comme Médecins du Monde, permettent des échanges concernant la problématique des migrants.
Nouvelle loi de la migration :
dépénalisation de la migration irrégulière sur le territoire mexicain
Le Sénat mexicain a approuvé en février 2011 un projet de loi sur l’immigration qui, pour la première fois, empêche de criminaliser les étrangers privés de documents se trouvant sur le territoire mexicain. Plus personne ne devrait être déclaré dans l’illégalité du fait de sa condition d’immigré. Seuls les fonctionnaires de l’INM (Institut National des Migrations) pourront arrêter ou maintenir en centre de rétention une personne soupçonnée d’être au Mexique dans l’illégalité. De fait, la police et les militaires ne pourront plus s’arroger ce droit.
Ce texte de loi, en vigueur depuis le 25 mai 2011, reconnaît aux immigrés le droit à la santé, à l’instruction, au registre de l’état civil (enregistrement des naissances) et à la justice. Cette loi constitue une avancée certaine en matière de respect des droits humains. Mais plusieurs organisations de la société civile, comme « el Centro de Derechos Humanos Fray Matias de Cordova », continuent à réclamer l’ouverture d’un vrai débat pluriel et participatif sur la nouvelle loi. En guise de réponse, le gouvernement a invité la société civile à formuler ses réflexions, en vue de l’élaboration du règlement de la loi qui devrait se faire le 21 novembre 2011.
Concernant le domaine de la santé, cette loi assure aux migrants l’accès gratuit aux soins dans les structures publiques (centres de santé, hôpitaux). Mais pour que ce texte ne soit pas une vaine promesse, tout un travail de sensibilisation du personnel travaillant dans ces structures est nécessaire. Lors des ateliers animés par l’équipe de MDM pour le personnel des centres de santé, il a été constaté que le migrant qui arrive au centre de santé a toujours tendance à cacher sa nationalité, alors qu’elle doit dire qu’elle n’est pas mexicaine pour pouvoir bénéficier de la gratuité des soins. De la réceptionniste du centre de santé au médecin qui prend en charge le patient, en passant par la personne migrante, c’est toute une chaîne de personnes qui sont concernées par la nouvelle législation.
Les équipes de Médecins du Monde à Tapachula et Huixtla se sont engagées à accompagner les autorités mexicaines pendant 4 ans pour sensibiliser les fonctionnaires en contact avec les migrants (centres de santé, hôpitaux, services sociaux ou juridiques recevant les personnes ayant subi des violences). Cette durée paraît courte et les autorités mexicaines devraient poursuivre, pendant plusieurs années, ces campagnes de sensibilisation. Les mêmes autorités auront aussi à veiller sur l’application de la nouvelle loi sur le terrain.
Si la disposition entrant en vigueur en faveur des migrants au Mexique est positive, elle suscite tout de même des questions. Est-elle le fait d’un pouvoir politique qui a pris la mesure de la gravité de la situation des étrangers sur son sol ou s’agit-il d’un message adressé aux Etats-Unis où la loi fédérale considère que tout ressortissant qui pénètre illégalement aux USA commet un crime ?
On ne peut que se féliciter de l’humanisation d’une loi sur la migration au Mexique. S’agit-il d’un message pour les Etats-Unis où, selon la loi fédérale, tout ressortissant non américain qui pénètre aux USA commet un crime ? Ou d’un message pour certains états comme l’Arizona qui tentent d’appliquer leurs propres lois d’immigration ?
Cette nouvelle loi mobilise les acteurs institutionnels, la société civile, les mexicains eux-mêmes, ainsi que les migrants. Ce sera aux institutions mexicaines, comme à la juridiction sanitaire, à vérifier ensuite l’application réelle de cette loi, afin qu’elle ne représente pas seulement un espoir mais bien un changement notable assurant le respect de droits fondamentaux pour tous.
* « Pars et reviens en bonne santé »
Frédérique Carrié
Dra Frederique Carrie, Responsable de Mission en Tapachula (Mexico), Médicos del Mundo Francia.
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