« Tu ne vaux pas mieux qu’un animal. Si tu restes où tu es, tu seras mort avant la fin de l’hiver. Si tu viens avec moi, je t’apprendrai à voler. » Paul Auster, Mr. Vertigo.
Nous avons eu, déjà, l’occasion d’évoquer, de façon subliminale, des images vues du ciel (1). Ces images, filmées depuis un hélicoptère, étaient celles de la province inondée du Sichuan, en Birmanie, au lendemain du passage d’un cyclone dont beaucoup ont, depuis, oublié le nom. Ces images ont été diffusées par les chaînes françaises au début du mois de mai 2008 ; elles étaient parmi les seules disponibles alors, et provenaient de la télévision d’état birmane, MRTV…
Au début du mois de juin 2009, France 2 diffusait un imposant documentaire, réalisé par Yann Arthus-Bertrand, dressant un discutable bilan sur la situation écologique de notre planète. Outre l’usage de plans aériens, que certains pourraient assimiler sans nuance à un point de vue divin, que peut nous apprendre le contraste entre ces images qui n’ont pas grand-chose en commun ?
Le film Home, d’Arthus-Bertrand, sur lequel nous allons maintenant nous attarder quelques instants, présente, avec les images de la télévision birmane, un grand nombre de différences. Peut-être celles-ci nous aideront-elles à mieux comprendre ce qui, au premier abord, apparaît comme une similitude de point de vue.
Certes, dans les deux cas, les images sont « vues du ciel », ou du moins depuis un hélicoptère, mais, en ce qui concerne le documentaire Home, elles sont agrémentées d’un discours moralisateur. Un discours moralisateur, voire culpabilisateur, mais pas trop : de vagues prescriptions basées sur des grandes idées générales et des petits gestes quotidiens, sans réellement mettre en cause les grandes industries polluantes ni la politique économique globale dont la croissance demeure le seul horizon (2). Au point que l’on peut se demander si la question a des chances de s’affiner « en mettant dans le même éco-sac les Dogons et Monsanto, les productivistes à tout crin et les derniers bergers des Cévennes » (3)…
Il est par ailleurs possible de souligner les qualités esthétiques des images filmées par Yann Arthus-Bertrand (4). Qu’il s’agisse d’une source chaude dans le parc de Yellowstone, d’un parking gigantesque ou d’un élevage intensif de bétail, des « mines à ciel ouvert d’où sont arrachées à la terre des belles substances indigo, carmin, beiges, enfouies là depuis des éternités» (5)… D’un point de vue aérien, planant, tout est beau ! Le sermon du réalisateur, malgré son ton paternaliste, ne semble pas viser l’indignation ou l’attendrissement ; il s’agit de présenter ce qui sur Terre – cimetière de B 52’s ou lacs sibériens gelés – est à même de retenir le sublime. Cette logique est susceptible d’impliquer un renoncement à l’action et d’inspirer une relation purement individuelle au phénomène observé (6).
Contrairement aux images du Sichuan que l’on a pu voir furtivement dans les journaux télévisés au début du mois de mai 2008, images un peu tremblotantes, aux couleurs ternes, probablement filmées de façon non professionnelle par la junte militaire birmane, le documentaire d’Arthus-Bertrand est le fruit d’imposants moyens, techniques et financiers. Caméra très certainement stabilisée par des gyroscopes. Gestion impeccable de la lumière, des contrastes et des couleurs. Trois ans de tournage, dans cinquante-quatre pays. Un budget de 12 millions d’euros (pris en charge à 80% par le groupe Pinault). Une diffusion dans plus d’une centaine d’états, dans quarante langues différentes. Pour la France, près de huit millions de téléspectateurs… Ces paramètres nuisent, sans nul doute, à la commensurabilité des images.
D’un côté des images agrémentées d’un commentaire factuel, illustrant les conséquences d’une catastrophe naturelle. De l’autre de bien belles images qui positionnent subrepticement le spectateur dans les filets d’une hélicologie consensuelle (7). A regarder la Terre ainsi, à la manière de Dieu ou de Google Earth (une vision sans nuages !), certains, poursuivant ce vieux rêve humain de s’élever dans les cieux, risquent fort de se brûler les hélices (notamment lorsqu’ils se targuent de favoriser des résultats électoraux). La question de l’écologie, comme celle de l’humanitaire, est d’un ordre trop général pour faire l’objet d’une réponse pertinente. Hors des discours prescriptifs et consensuels, nous espérons, à la suite de nos propos qui concernent exclusivement les médias, l’amorce d’une réflexion sérieuse sur les changements climatiques et leurs conséquences possibles sur le plan humanitaire.
(1) Journaux Télévisés de TF1 et France 2 des 4 et 5 mai 2008 (Nous admettons les avoir évoquées « de façon subliminale » car, bien que les ayant visionnées, ils ne constituaient pas alors le cœur de notre sujet.)
(2) Mathilde Blottière, « Trop bio pour être vrai », Télérama n°3101, 17 juin 2009
(3) Patrice Lestrohan, « Personnage rotor », Le Canard Enchaîné, 17 juin 2009
(4) Nous avons soutenu précédemment qu’une telle lecture au sujet des images provenant de Birmanie, bien que possible, s’avérait de mauvais aloi.
(5) Bernard Thomas, « Home : sweet home », Le Canard Enchaîné, 10 juin 2009
(6) Luc Boltanski, La souffrance à distance, Paris, Gallimard, Folio Essais, 2007, p.239
(7) … à l’encontre de ce discours consensuel, nous conseillons la lecture de la tribune d’Antoine Senanque, « Merde à l’écologie ! », publiée dans Le Monde, 5/6 juillet 2009, qui n’est pas dénuée d’intérêt.
Philippe Lavat
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