Depuis le début des années 1990, le Congo-Kinshasa est secoué par des conflits armés ayant culminé dans une guerre régionale que Madeleine Albright a qualifiée de «première guerre mondiale africaine» et dont le pays peine à sortir. Une telle qualification se justifie à la fois par le nombre d’acteurs étatiques et non étatiques impliqués directement dans ce conflit et par l’ampleur du désastre humain et économique lié à cette guerre.
Au moins huit Etats africains se sont affrontés au plus fort des hostilités : la République Démocratique du Congo (RDC), l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie et le Tchad, d’une part, et le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda, d’autre part. En plus de ces pays, plusieurs groupes armés congolais et étrangers faisaient partie des belligérants : FDLR, rebelles burundais, ADF et LRA, milices Maï-Maï, RCD avec ses différentes dissidences, MLC, UPC, FNI, FPRI, etc.
Toutes ces armées régulières et rebelles, congolaises et étrangères, ont écumé et ravagé un pays aussi vaste que l’Europe de l’Ouest, faisant de la guerre congolaise le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Les experts d’International Rescue Committee estiment qu’environ 1500 personnes continuent de mourir chaque jour au Congo à cause des effets de ce conflit (pauvreté, maladie, faim, violence de toutes sortes, etc.). Il en résulte : 5.400.000 morts depuis 1998 , 800 000 réfugiés dans les pays limitrophes, trois millions de déplacés internes. L’insécurité et l’instabilité prégnantes dans les zones orientales (Kivus et Ituri) gagnent maintenant l’ouest (Bas-Congo). Et ce, en dépit des élections générales tenues en 2006 à l’issue d’une fragile transition politique soutenue par la communauté internationale pour normaliser la vie politique et entamer la reconstruction nationale.
Le soutien de la communauté internationale consiste notamment en une mission de maintien de la paix, la mission des nations unies au Congo, MONUC en sigle. Comment cette mission de paix s’acquitte-t-elle de son mandat ? A quels défis fait-elle face? Comment est-elle perçue par les populations congolaises ?
Finie la période de grâce
Créée le 30 novembre 1999 par la résolution 1291 du Conseil de Sécurité suite aux Accords de Lusaka, la MONUC avait vu ses premiers observateurs être accueillis en héros. Cependant, dix ans après l’arrivée des premiers soldats de la paix et deux ans après avoir largement contribué au succès des premières élections libres et multipartites depuis 40 ans, la Monuc fait face à un désenchantement populaire et une hostilité croissante en RDC. Elle semble désormais jouer sa crédibilité, en particulier aux Kivus. Et pour cause, la situation humanitaire et sécuritaire sur le terrain où sont déployés des milliers de soldats de la paix est loin de se stabiliser. Le maintien ou la restauration de la paix est hélas davantage qu’une affaire d’effectifs et de moyens.
En effet, le mandat onusien en RDC est contraignant. La force internationale agit sous le chapitre VII de la charte des NU. Les soldats de la paix sont autorisés à utiliser tous les moyens nécessaires, dans la limite de leurs capacités et dans les zones de déploiement de leurs unités, pour dissuader toute tentative de recours à la force qui menacerait le processus politique, de la part de tout groupe armé, étranger ou congolais notamment les ex-FAR et Interhamwes, et pour assurer la protection des civils sous la menace imminente de violences physiques.
La MONUC peut, conformément à son mandat, utiliser des tactiques d’encerclement et de recherche pour prévenir des attaques contre les populations civiles et contrer les capacités militaires des groupes armés illégaux qui continuent de faire usage de la violence dans ces régions. Ce qu’elle n’a pourtant pas fait récemment ni au Nord-Kivu (Kiwanja ) ni en Province Orientale, abandonnant ainsi les populations locales à leur triste sort, victimes des attaques et exactions de toutes sortes de la part aussi bien des groupes armés (CNDP, milices maï maï, FDLR, LRA) que des forces étatiques (FARDC, RDF, UPDF). C’est à peine donc si les militaires onusiens n’assistent pas impuissants, en simples spectateurs, au drame de ceux dont ils ont la responsabilité de protéger. On comprend dès lors qu’ils soient surnommés « observateurs des cadavres ».
La Monuc fait l’objet de critiques de toutes parts, mais aussi d’agressions physiques. Les bandes armées l’accusent de les combattre. Les forces loyalistes congolaises lui reprochent de ne pas se ranger résolument de leur côté. L’Ouganda et le Rwanda la critiquent vivement de complaisance avec les rebelles de la LRA et des FDLR qui sèment la mort et la désolation à l’est du Congo. Quant aux populations civiles congolaises, victimes d’insécurité et d’exactions des forces armées, elles estiment que la force onusienne ne les protège pas, en tout cas pas suffisamment. Et pour rien arranger, la Monuc peine à protéger ses propres agents : deux journalistes de la Radio Okapi assassinés à Bukavu en l’espace de quelques mois.
Les véhicules blancs sont la cible des pierres, des éditoriaux des journaux demandent le départ des casques bleus. Il est loin le temps où des Congolais parlaient affectueusement de « tante Monique » et de « Koko Swing », époque immortalisée dans une chanson populaire. Le désenchantement populaire ne cesse de s’accroître. Comment inverser cette tendance ?
La mission onusienne doit relever trois types de défis pour réussir. D’abord, défis logistiques : couvrir un pays quatre fois grand comme la France, mais sans infrastructures routières ni ferroviaires relève de l’exploit. La mobilité et l’approvisionnement des troupes posent de nombreux problèmes logistiques. Ce qui conduit à limiter les engagements avec les groupes armés locaux qui ont une meilleure connaissance du terrain.
Ensuite, sur le terrain politique, la Monuc doit faire face à plusieurs défis. Le premier, c’est la nature des acteurs en présence. La Monuc a affaire avec des acteurs étatiques et non étatiques qui maîtrisent bien le fonctionnement de la communauté internationale et ses règles et donc savent comment les contourner, les subvertir, les instrumentaliser. Le second est lié au contexte d’intervention : maintenir la paix suppose une paix à préserver. Or, justement, il n’y a pas de paix à cause de la circulation / prolifération des armes, des pillages des ressources naturelles qui financent et alimentent les conflits. Le succès de la mission dépend aussi de l’implication des acteurs régionaux dans la résolution du conflit. D’où l’importance d’obtenir le soutien des organisations régionales et des pays voisins. Tel est le troisième défi. Finalement, le dernier défi politique est d’ordre stratégique. La stratégie de sortie doit inclure une dimension de pérennisation (exit strategy ó sustainment strategy). Des contraintes limitent les efforts d’appliquer le sustainment strategy.
D’une part, la croissance exponentielle des opérations onusiennes de maintien de la paix entraîne un accroissement considérable du budget de maintien de la paix : de 2.8 milliards en 2001, le budget a doublé en 2006 atteignant 5.6 milliards ; il devrait dépasser les 7 milliards en 2008.
D’autre part, le nombre des opérations (19 en cours) est sans précédent dans l’histoire des NU avec plus de 100 000 personnes sur le terrain, soit la deuxième plus importante armée étrangère déployée dans le monde après les Etats-Unis. En 2006, les NU ont négocié des memoranda of understanding avec plus de 100 pays contributeurs. La force militaire de la Monuc à elle seule compte 52 nationalités et la Monuc 116 nationalités en tout.
La composition hétéroclite affecte l’efficacité du contingent onusien. Elle est symptomatique du troisième type de défis, d’ordre interne. La MONUC, apparemment dépassée par les évènements, porte en elle-même les germes de sa propre impuissance. Le premier défi interne tient à ses moyens . La MONUC est aujourd’hui, avec un budget de près de 1,1 milliard de dollars par an , la mission de maintien de la paix de l’ONU la plus coûteuse. Elle est également la plus importante mission avec quelque 17 000 soldats. En novembre 2008, le conseil de sécurité a autorisé l’envoi d’un renfort d’environ 3000 éléments, portant ainsi l’effectif à 20 000. Des chiffres astronomiques, mais sans commune mesure avec le gigantisme du Congo étendu sur 2 345 000 km². Cependant, l’épicentre des troubles étant circonscrit au Nord Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri -une superficie assez réduite- une concentration des forces devrait permettre de tenir en échec des rebelles et miliciens. Il est donc question de redéploiement des forces là où elles sont les plus utiles.
Entre inertie et impuissance, une série de scandales
Les problèmes de la Monuc tiennent moins à son mandat, ses effectifs ou son budget qu’à des questions de fonctionnement et des contradictions internes. Pour engager des opérations militaires offensives, les casques bleus ont besoin du feu vert de leurs capitales respectives outre celui de New York. Et pour ne rien arranger, à ces difficultés viennent se greffer des problèmes de cohésion entre Etats aux traditions militaires différentes et même de cohabitation entre nations antagoniques pourvoyeuses de troupes. D’où des cas d’insubordination. Il est de notoriété publique, par exemple, qu’un casque bleu pakistanais n’accepte pas servir sous commandement indien ou vice versa ; ce qui ne facilite pas l’accomplissement de leur mission.
Ensuite, venant pour la plupart de pays sous-développés et grassement payés au regard des soldes habituelles qu’ils perçoivent dans leur pays d’origine, les soldats de la paix n’ont certainement pas envie de laisser leur peau à l’étranger. Car, il faut bien un jour revenir au bercail pour profiter des émoluments perçus quand ils n’ont pas été détournés par des chefs militaires . En réalité, la seule règle appliquée par tous les casques bleus semble être celle de prendre le moins possible de risques personnels. D’où l’immobilisme face aux menaces physiques des civils comme à Bukavu en juin 2004, à Kinshasa en novembre 2006 et mars 2007, au Bas-Congo en février 2007 ou encore au Rutshuru en décembre 2008.
Enfin, des abus commis par certains éléments onusiens entachent la crédibilité de toute la mission. Une série de scandales a été révélée : Indiens surpris à commercer des minerais, Marocains renvoyés pour abus sexuels, trafics d’ivoire à Bunia, incapacité à désarmer et à rapatrier les combattants hutus rwandais qui infestent le Congo depuis 1994 et donnent prétexte à toutes les guerres. Combien de scandales sexuels ont éclaté au Congo, du fait des casques bleus, plus prompts à actionner la braguette que la gâchette ? Ce qui leur a valu le titre de « observateurs des cuisses » au sein de la population congolaise.
Nombre de soldats de la paix ont un problème de communication avec les populations locales. Ils ignorent tout du français et parlent à peine l’anglais. Ce qui ne facilite pas leur compréhension du terrain où ils se trouvent. Confrontées à une situation très complexe, censées appuyer des forces gouvernementales souvent désorganisées, peu fiables et coupables elles aussi de violences et de pillages (à Kanyabayonga entre autres), les forces internationales souffrent des querelles au sein du conseil de sécurité. Des pays membres du Conseil de Sécurité ont refusé des moyens supplémentaires à Alan Doss. Les Américains et les Britanniques protègent régulièrement leur allié rwandais.
Face à l’impuissance de la Monuc, des initiatives de paix sont prises : campagnes militaires des FARDC contre des groupes rebelles, conférences de paix pour les Kivus ou les grands lacs, etc. Last, but not least, la RDC a officiellement accepté l’intervention de ses anciens ennemis sur son territoire pour traquer les rebelles de la LRA et des FDLR. Ainsi, l’Ouganda et le Sud Soudan ont mené, de décembre 2008 à mars 2009, des opérations militaires conjointes avec la RDC pour traquer Joseph Kony et ses hommes. Le Rwanda est intervenu, de janvier à février 2009, au Nord-Kivu aux côtés du Congo-Kinshasa pour ramener la paix à l’est en neutralisant les FDLR. Le bilan de ces deux opérations est loin d’être satisfaisant. Bien que dispersée, la LRA continue de mener des attaques meurtrières contre les populations civiles en Province Orientale. Son chef Joseph Kony, sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la cour pénale internationale, est toujours en cabale.
Si l’opération RDC-Rwanda au Nord-Kivu a permis de mettre un terme à la rébellion du CNDP du général renégat Laurent Nkunda (actuellement en résidence surveillée au Rwanda), le problème de fond demeure entier : les combattants des FDLR, la cause des guerres congolaises, gardent toujours leurs capacités militaires. En témoigne la multiplication de leurs attaques contre des localités, forçant des populations civiles à la fuite massive. Face à l’impuissance des uns et des autres, certains en viennent à espérer que les animaux sauvages prennent la défense des populations congolaises livrées à elles-mêmes .
Et si la Monuc était un bouc émissaire ?
La société internationale et la Monuc sont l’objet de nombreuses récriminations populaires. Elles seraient responsables de la déstabilisation du Congo dont les richesses attiseraient multiples et insatiables convoitises. La crise congolaise serait ainsi artificiellement créée. Le Congo et ses habitants seraient victimes de leurs ressources naturelles scandaleuses.
Résister à la Monuc, instrument de la société internationale pour faire main basse sur le Congo, deviendrait alors un devoir patriotique pour faire échec au plan international de déstabilisation du Congo. Quoiqu’elle soit décriée et contestée, la Monuc est également revendiquée. Son intervention est souhaitée, voire exigée tant pour mettre un terme à l’agression/ l’occupation que pour protéger les frontières nationales et reconstruire entièrement le pays. On attend beaucoup d’elle et elle semble se prêter à ce jeu.
Si la Monuc contestée est également désirée, c’est puisque, selon de nombreux Congolais, elle serait responsable, en tant qu’émanation et instrument de la société internationale, aussi bien de l’agression/occupation du Congo que des victimes et des pillages que l’on déplore. Elle devrait réparer ce qu’elle aurait détruit. A considérer l’importance et la nature des revendications populaires face à la Monuc, deux interrogations méritent d’être soulevées. La revendication d’une intervention massive de l’ONU, y compris dans le domaine des fonctions régaliennes pose le problème de la souveraineté. Il s’agirait aussi d’un transfert, vers la Monuc, d’un cahier de revendications destiné plutôt aux dirigeants congolais. Ces derniers semblent cependant se complaire jusqu’ici à appeler les populations à résister à la déstabilisation.
La Monuc est victime des faiblesses de l’Etat et de la mauvaise gouvernance de ses dirigeants. C’est pourquoi on lui demande de faire ce qui revient, ce qui est de la responsabilité de l’Etat congolais. N’est-ce pas justement la fragilité de l’Etat congolais qui justifie sa présence ?
Complicité ou alliance avec les agresseurs ?
L’incapacité de la Monuc à protéger les populations civiles est souvent interprétée comme le résultat d’une alliance, ou au moins d’une complicité avec les ennemis du Congo. Plusieurs personnes interrogées sont convaincues qu’il y a un vaste complot international contre leur pays. Même des personnes instruites partagent cette conviction et la propagent. Le Rwanda et l’Ouganda, alliés régionaux de Washington avec lequel ils ont signé des accords de coopération militaire, bénéficieraient des aides occidentales pour déstabiliser le Congo. Les USA seraient le chef d’orchestre du complot. Ils sont aussi réputés imposer leurs vues aux Nations Unies. Comme ils sont par ailleurs l’un des principaux bailleurs de fonds de la Monuc dont le chef a été pendant longtemps un Américain, cela ne fait que renforcer la présomption de complicité de la Monuc.
L’ancien représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en RDC et donc patron de la Monuc, Monsieur William Swing, passait d’ailleurs pour le véritable chef de l’Etat congolais, y compris parmi des hommes politiques congolais. Quand la Monuc s’abstient d’interférer, elle est accusée d’impuissance et d’inertie. Lorsqu’elle intervient, il lui est reproché d’outrepasser son mandat ou de s’ingérer dans les affaires internes en violation de la souveraineté congolaise.
Alphonse Maindo, Professeur de science politique à l’Université de Kisangani (RDCongo) et chercheur associé au centre d’étude des mondes africains (CEMAF) CNRS/Université de Paris 1.
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