Tchad : du rôle essentiel de la MINURCAT

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Par Jocelyn CoulonLe gouvernement du Tchad a récemment demandé à l’ONU de mettre un terme à la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT). Au moment d’écrire ces lignes, les négociations entre N’Djamena et l’ONU se poursuivent toujours discrètement. Si cette opération de paix devait se retirer dans les prochaines semaines, c’est bien les populations civiles, les réfugiés et les déplacées qui en pâtiraient. La MINURCAT  a innové sur plusieurs plans, en plus d’éviter qu’une partie du Tchad ne soit entraîné dans le conflit au Darfour.

En effet, en 2007, devant la recrudescence des activités de groupes armés dans les régions frontalières de l’est du Tchad, du nord-est de la République centrafricaine et au Darfour, le Conseil de sécurité autorise une action en faveur du maintien de la paix au Tchad et en République centrafricaine dont la structure politico-militaire est unique et consiste en trois éléments distincts : une mission multidimensionnelle de l’ONU, la MINURCAT, constituée d’une unité de police et de personnel civil mandatés pour promouvoir les droits de l’homme et l’État de droit et pour recruter, former, conseiller et soutenir des policiers au sein d’une Police tchadienne pour la protection humanitaire (PTPH); un contingent de policiers de la PTPH chargé de maintenir la loi et l’ordre dans les camps de réfugiés, les régions avoisinantes, les centres de déplacés et assurer la sécurité des opérations humanitaires; enfin, une force de l’Union européenne, l’EUFOR-Tchad-RCA, agissant en vertu du chapitre VII pour une période d’un an et ayant comme mandat de contribuer à la protection des civils, de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et de contribuer à la protection du personnel de l’ONU.

La place de la France

En mars 2009, lors du retrait de la mission européenne et en dépit d’une situation toujours fragile (le Tchad est plongé dans la violence depuis quarante ans, la République centrafricaine depuis vingt ans), les dirigeants de l’EUFOR et de la MINURCAT peuvent dresser cinq constats de cette expérience dont les effets sont actuellement bénéfiques pour la MINURCAT : l’EUFOR – dominée par les Français et perçue comme un instrument de la France pour soutenir le régime tchadien – a adopté et maintenu une posture de stricte impartialité dans le conflit opposant le gouvernement tchadien à son opposition armée; la robustesse de l’EUFOR, sa présence visible sur le terrain et ses démonstrations de force ont permis de rétablir la sécurité sur une bonne partie de sa zone de responsabilité et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire; la présence de l’EUFOR a permis à l’ONU de concentrer son attention sur le recrutement et la formation des policiers de la PTPH et sur son mandat humanitaire et de renforcement de l’État de droit; l’EUFOR a préparé le terrain au déploiement de la MINURCAT, tant sur le plan des infrastructures que de la collecte et de la diffusion de l’information sur la situation dans le pays et la région ; enfin, la présence de la MINURCAT a convaincu le gouvernement tchadien, initialement opposé au déploiement de cette mission, qu’une force de l’ONU était préférable, sur le plan politique, diplomatique et symbolique, à une force européenne.

Les arguments du Tchad…

Afin de justifier sa demande de retrait de la MINURCAT, le président tchadien Idriss Déby a déclaré que celle-ci n’était pas encore opérationnelle et qu’elle n’avait rien fait de concret, en particulier en matière de développement, depuis son déploiement. De plus, sa présence n’était de toute façon plus requise depuis la récente signature d’un accord de paix entre le Tchad et le Soudan.

La première affirmation ne tient pas, la deuxième repose sur une vision à court terme d’une situation sur le terrain qui demeure d’une grande fragilité. Avec quelque 4000 militaires en place sur les 5225 autorisés, la composante militaire de la MINURCAT est en mesure d’assumer une bonne partie de ses tâches de protection des populations, des réfugiés et des déplacés. Ses capacités logistiques permettent aussi d’assurer une réaction rapide dans les zones les plus dangereuses et de créer les conditions sécuritaires afin que l’aide humanitaire parvienne aux plus démunis.

La MINURCAT assure aussi un programme civil centré sur la formation de gendarmes, le fonctionnement des tribunaux, la professionnalisation du service pénitencier, la promotion des droits de l’Homme, la protection des enfants et des femmes contre les violences sexuelles. Ces actions ont un effet direct et bénéfique sur des centaines de milliers de personnes.

Courte vue

Quant à l’argument de l’inutilité de la mission de l’ONU au lendemain de la signature d’un accord de paix entre le Tchad et le Soudan, il apparaît à courte vue. Le Tchad, la Centrafrique et le Soudan sont plongés dans des conflits depuis plusieurs décennies et rien n’indique qu’une petite éclaircie de quelques semaines soit le prélude à une paix de plus longue durée. Retirer la composante militaire de la  MINURCAT en ce moment, c’est prendre le risque de précipiter la région dans de nouveaux conflits.

À tout le moins, le Tchad et la communauté internationale devraient attendre que l’accord de paix entre certaines factions au Darfour et le gouvernement soudanais prenne véritablement effet sur le terrain. Pourquoi ne pas prolonger la présence de la MINURCAT d’une autre année, cela permettrait de mieux évaluer la situation avant d’amorcer un retrait ? Il en va de la vie de centaines de milliers de personnes.

Jocelyn Coulon est directeur du ROP, Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix.

 

 

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La rédaction de Grotius International.

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