Miliciens islamistes, employés du système des Nations unies et certains partenaires locaux de l’Organisation internationale s’entendaient comme larrons en foire, pour détourner la moitié de l’aide alimentaire destinée aux réfugiés et aux plus nécessiteux en Somalie.
Avouer que cela nous surprend serait d’une naïveté aussi coupable que ce qu’il faut bien considérer comme un crime, commis contre ce pays plongé dans une guerre sans fin, contre les franges les plus vulnérables de sa population.
Ce n’est, hélas ! pas un mal propre à la seule Somalie. Partout et de tout temps, il est des cyniques pour prospérer sur la misère des peuples, en temps de crise. Autant dire que ce n’est pas sur ceux-là qu’il faut compter pour mettre fin aux guerres civiles et autres conflits meurtriers.
Leur métier est de les attiser. Il ne s’agit, du reste, pas que des marchands d’armes ou des compagnies et autres trafiquants qui ont besoin d’un Etat sauvage pour extraire les pierres précieuses, en dehors de contrats règlementaires, souvent sous la protection de mercenaires venus d’Afrique du Sud ou d’ailleurs.
Des membres des gouvernements locaux aussi se mêlent de la partie, percevant passe-droits et autres pots-de-vin pour autoriser le transit des armes ou des minerais tâchés de sang, prélevant également leur part sur l’aide alimentaire, non pas pour nourrir leurs familles déjà repues, mais pour amasser de la fortune, avec la complicité de commerçants chargés d’écouler la marchandise.
On finira bien par avoir quelques noms, si les enquêtes ne sont pas biaisées. Car on nous annonce une «enquête indépendante» sur les opérations du PAM en Somalie, à laquelle cet organisme du système des Nations unies se dit prêt à collaborer pleinement.
Les chefs de guerre aussi sont de la partie. Ils vous parleront, en toute froideur, d’impôt révolutionnaire. Une contribution à leur effort de guerre, en somme. Quelques employés subalternes, chargés de répartir les vivres détournés, se servent aussi au passage, au nom d’une théorie relevant du gangstérisme, et qui voudrait que la chèvre broute là où elle est attachée.
Encore plus affligeante est la participation active de certains employés et fonctionnaires de l’Onu à ce cartel. N’allez surtout pas leur dire que les salaires confortables qui leur sont versés et les principes mêmes des organismes qui les emploient interdisent de telles pratiques. Ils vous répondront qu’ils se sont laissé emporter par l’ambiance générale. Il faut avoir beaucoup de personnalité pour rester soi-même, dans l’étang boueux de la corruption. Les margoulins qui ont sevré les nécessiteux somaliens se seraient ainsi mis dans la poche, depuis vingt ans, environ 250 millions de dollars par an.
Le budget du Programme alimentaire mondial pour ce pays s’élève à quelque 485 millions de dollars. Le contexte (dangereux) somalien rend la distribution des vivres très coûteuse, puisque l’on parle de quelque 200 millions de dollars par an, pour la logistique.
Et pour espérer voir une partie de ces vivres arriver à bon port, il vaut mieux les confier aux malfaiteurs eux-mêmes. Les victimes spoliées par ce gang hétéroclite sont 2,5 millions de Somaliens en détresse. La clé de répartition des 50 % de vivres détournés serait à peu près la suivante : 30% pour les partenaires locaux du PAM et les personnels de l’agence onusienne ; 10% pour les transporteurs routiers, 5% à 10% pour les groupes armés qui contrôlent la zone.
Comme il est effroyable, de constater que ceux dont la mission est de soulager les souffrances des peuples et d’injecter de timides rayons de soleil dans l’univers morose de populations prises en otages par les politiciens et les chefs de guerre sont ceux-là mêmes qui organisent leur descente aux enfers ! Là se situe un des principaux maux de l’Afrique, aujourd’hui. Et il ne s’agit, malheureusement, pas que de la seule Somalie.
La jeunesse du continent, et une partie de leurs aînés, n’ont plus pour seul projet de vie que l’envie furieuse de s’enrichir. Et tant pis, si cela nécessite de priver les populations sinistrées d’aide alimentaire, et les enfants de vaccins. Retrouver, dans une entreprise aussi criminelle, des profils aussi divers, fait penser à une réflexion de l’artiste rwandaise Khadija Nin.
En fin d’un talk show musical dont elle était l’invitée, il y a une dizaine d’années, elle a griffonné, sur le livre d’or de l’émission, une phrase dans sa langue maternelle. Conviée à en donner la traduction, elle a lâché, d’un air grave : «Quoi que nous fassions, nous ne nous en sortirons pas !». Dur à avaler, une conclusion aussi définitive. Mais il est des jours où l’on est tenté de se demander si elle n’a pas un peu raison.
Jean-Baptiste Placca
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