Voix et mots du Goulag

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Couverture du livre Les déportés du GoulagJournalistes et chercheurs, associés pour recueillir les voix d’anciens déportés en ex-URSS, signent un livre passionnant sur ce territoire marqué au fer rouge par l’histoire du goulag.

Le projet est ambitieux : des confins sibériens aux pays baltes, en passant par les terres ukrainiennes ou tadjikes, une équipe mixte de chercheurs et de journalistes ont tenté de dessiner l’Europe du Goulag, vaste territoire inconnu. Alain Blum et Marta Craveri, tous les deux chercheurs au Centre d’études des mondes russes, caucasien et centre-européen, ont coordonné cette aventure et se sont associés à Valérie Nivelon, journaliste à Radio France internationale, pour créer un livre et un CD, reprenant les mots et les voix des déportés de l’ancienne URSS.

C’est d’abord cette rencontre entre deux mondes, journalistique et universitaire, qui séduit. Le résultat est à la hauteur du sujet, documenté mais accessible, sérieux mais lisible par le plus grand nombre. Les récits de vie sont mis en forme par des chercheurs de huit nationalités différentes, qui sont sortis de leur jargon pour nous conter des histoires sensibles et sans pathos, malgré l’horreur de certaines situations, vécues par près d’un million de personnes, de 1939 aux années 50. Traduits et lus par les plus belles voix de RFI, les témoignages audio des anciens déportés sont également présentés à chaque fois dans leur langue d’origine, avec la même pudeur… A peine effleurent les larmes dans la voix de Klara Hartmann, cette jeune Hongroise d’alors, accusée d’espionnage, torturée par les autorités soviétiques puis déportée en Sibérie occidentale.

 Une communauté de destin

Qu’est ce que ces milliers de déportés hongrois, ukrainiens, polonais, lettons, ou russes, ont en commun? L’expérience du départ, presque toujours similaire : on embarque dans la précipitation ce que l’on peut, quand on pense à prendre quelque chose, des objets le plus souvent revendus ensuite  aux populations locales pour survivre. L’obsession de la faim, également, qui remonte à chaque page ou presque, assortie de la description des multiples combines et astuces pour tenter de survivre. Le silence enfin, qui accompagne le retour au pays d’origine et la difficulté de la réinsertion. Dans cette URSS où chacun ou presque avait une histoire de la déportation dans l’une de ses poches, il faut taire son passé sous peine de s’exclure à jamais de l’ascenseur social soviétique. Un silence parfois même réclamé par les proches, les voisins, la famille, qui ne veut rien savoir, par peur de réprimande.

Son Adam Chwalinski
[cincopa AgMA-2K7Hjmq]

 

L’archipel du goulag

Il avait raison Alexandre Soljénitsine, dont la figure littéraire plane sur ces écrits… Il n’y avait pas un seul goulag mais bien une constellation de lieux et de conditions de déportations, qui font qu’aucun récit ne se ressemble. « Être déporté dans un camp de travail, dépendant du fameux Goulag, acronyme de la direction centrale des camps, ou dans un village éloigné de Sibérie où l’on était assigné à résidence était, bien entendu, très différent », rappelle Alain Blum et Marta Craveri. Malgré la faim, l’épuisement, le froid, certains déportés gardent même un souvenir presque nostalgique de leur relégation au fin fond de la forêt sibérienne, se remémorant sa beauté et sa magie. D’autres s’accrochent à leur travail d’alors, comme Andreï Ozerovski, qui dit son amour toujours vivace de la mine et des gueules noires…Nombre de témoins étaient des enfants sous Staline, ce qui achève de sublimer la réalité, à l’instar des parcours d’Adam Chwalinski ou d’Henry Welch, qui de la Pologne aux montagnes d’Asie centrale, font de leur déportation un récit épique, véritable parcours initiatique les faisant passer à l’âge adulte.

 

Son Henry Welch
[cincopa AgMA-2K7Hjmq]

 

L’urgence du témoignage

Ce sont ces nuances qui font du livre « Déportés en URSS » un ouvrage essentiel, même s’il n’est que l’ébauche de la cartographie de cette immense Europe du goulag. Dans des pays où la parole n’est pas encore parfaitement libre ou instrumentalisée, le travail est titanesque et urgent car les témoins disparaissent un à un. Anciens zeks, du nom de ces habitants des camps, puis citoyens d’URSS, et finalement Polonais, Ukrainiens, Kirghizes, Russes, Européens… Les anciens déportés sont partout, et leur histoire reste à écrire.

Déportés en URSS, récits d’Européens au goulag. Dirigé par Alain Blum, Marta Craveri et Valérie Nivelon, éditions Autrement.

 

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec est journaliste indépendante, spécialiste de l’espace post-soviétique. Elle a vécu et travaillé en Asie centrale puis en Ukraine où elle a été correspondante pendant quatre ans de Libération, Ouest-France, Le Temps et Le Soir, collaboré avec Géo, Terra Eco, et coréalisé des reportages pour RFI et la RSR. Basée aujourd’hui à Paris, elle collabore avec Regards, le Monde diplomatique, Libération, Médiapart, Syndicalisme Hebdo, Le journal des enfants etc… Elle coordonne également le pôle Eurasie de Grotius International, Géopolitiques de l’humanitaire.

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