Wikileaks ou la transparence qui dérange…

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La diffusion récente par le site web Wikileaks et son fondateur Julien Assange – devenu en quelques mois la bête noire des autorités américaines et australiennes – de 400 000 documents classifiés sur les pratiques de l’armée américaine et irakiennes, ainsi que sur celles des sociétés militaires et de sécurité privées en Irak soulève à nouveau de nombreux débats.

On peut s’interroger sur le paradigme de le transparence prôné par Wikileaks, et qui paraît parfois orienté, mais toujours est-il que ces documents doivent nous questionner sur l’opacité des conditions de contractualisation de ces entreprises avec les Etats, ainsi que sur le déficit inacceptable de régulation et de redevabilité qui entoure leurs activités et dont elles ont jusqu’à présent largement bénéficié, aussi bien sur le plan financier que juridique.

Ces révélations interviennent au moment même où le Président Karzaï a réitéré, lors du Conseil de sécurité afghan, sa ferme intention d’interdire les activités des sociétés de sécurité privées sur l’ensemble du territoire afghan.

 

Le «nouvel eldorado» irakien des EMSP

On compte aujourd’hui plus de 50 EMSP en Irak, employant environ 30 000 personnes. Un rapport récent a montré que sur un nombre total de 113 911contractors, 58% d’entre eux étaient affectés à des tâches de support logistique, tandis que 11% d’entre eux (soit plus de 12 000) se chargeaient de tâches de sécurité (et par là même, participaient occasionnellement aux combats) [1].

Si le nombre total de contractors a diminué en Irak, du fait du désengagement progressif de l’armée américaine et des troupes de la coalition, la proportion affectée à des tâches de sécurité a, quant à elle, progressé de 38%. 26% seulement des contractors en Irak sont des «nationaux», alors qu’ils représentent plus de 75% en Afghanistan. Cette «afghanisation des milices privées[2]» a été conceptualisée sur le terrain irakien par le Général Raymond Odierno, qui affirmait que «l’emploi des irakiens, non seulement permet d’économiser de l’argent mais renforce aussi l’économie irakienne et aide à éliminer les causes de l’insurrection – la pauvreté et le manque d’opportunités économiques[3]

Une intégration difficile aux stratégies militaires des Etats engagés

Comme en Irak, la stratégie contre-insurrectionnelle prônée par l’administration américaine et la coalition otanienne en Afghanistan a prôné d’emblée l’utilisation de forces militaires privées, y compris des milices tribales reconverties secondairement en EMSP locales. La complexité des situations dans lesquelles ces EMSP sont actuellement employées est renforcée par la mauvaise intégration de ces dernières dans les chaînes de commandement militaire, et par les frictions générées avec les soldats «réguliers».

En Irak comme en Afghanistan, les Rambo sont légions et leurs faux pas peuvent avoir des conséquences délétères non négligeables. En Irak, l’armée américaine a ainsi dû faire face pendant le soulèvement des miliciens d’Al-Sadr à des défections brutales de contractors, qui ont préféré fuir ces situations jugées trop dangereuses. Le recrutement de ces nouveaux mercenaires peut également s’avérer très hasardeux.

Ainsi, la société Blackwater (qui s’appelle Xe aujourd’hui) a pu employer des militaires chiliens, anciens membres des commandos formés sous la dictature d’Augusto Pinochet[4] (…).

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Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.