Certification des ONG humanitaires, à quoi bon?

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Certification des ONGA première vue, la certification des organisations humanitaires semble être une bonne chose. Elle permettrait d’identifier ceux qui sont les acteurs fiables, voire légitimes dans leurs domaines. Dans le secteur humanitaire, la certification semble s’imposer car la profession d’humanitaire n’existe pas. N’importe qui peut se désigner comme humanitaire, n’importe qui peut créer une organisation la définissant comme humanitaire.

Tant que l’action humanitaire d’urgence était une activité réservée plus ou moins exclusivement à la Croix Rouge/au Croissant Rouge, cela ne posait aucun problème. La création du mouvement sans- frontiériste à la fin des années 1960, et les budgets croissants des bailleurs de fonds (occidentaux), a donné naissance à un nombre croissant d’acteurs non gouvernementaux engagés dans l’action humanitaire d’urgence.

Cette croissance des ONG humanitaires, fut  très vite rattrapé par un processus d’apprentissage, c’est-à-dire de professionnalisation, lié aux défis qui se posaient au fur et à mesure sur le terrain.  Il s’agit d’un processus d’autorégulation plus ou moins continue, nécessaire afin de répondre aux exigences de l’aide humanitaire d’urgence, et  éviter une régulation imposée de l’extérieur. Parallèlement,  le code de conduite du Mouvement de la Croix Rouge/Croissant Rouge a vu le jour, définissant les principes humanitaires.

Sans revoir en détail l’historique de ce processus d’autorégulation, on peut constater que les humanitaires ont démontré leur capacité de prendre au sérieux leur professionnalisation, avec entre autre la création du projet SPHERE définissant des standards minimum, de l’ALNAP pour l’évaluation, du HAP (le Humanitarian Accountability Project), du Code de Bonne Pratique de People in Aid ou du Compas Qualité de l’URD… On pourrait presque parler d’une obsession de la part des humanitaires, de s’imposer des critères concernant la qualité de leur travail.

Selon Joint Standard Initiative de SPHERE, HAP et People in Aid, plus de 72 initiatives différentes démontrant la volonté des organisations humanitaires de définir les différents aspects de leur travail ont vu le jour ces dernières années. En parallèle, et qu’il est intéressant de noter dans ce contexte, c’ est la mise en place de ce l’on a appelé la politisation de l’action humanitaire et la réduction de l’espace humanitaire. Des restrictions volontaires et imposées qui caractérisent cette évolution de l’adaptation des ONG humanitaires.

Et ce n’est pas tout. Les ONG humanitaires allourdissaient de plus en plus leur agenda par le nombre d’activités directement ou indirectement reliés à l’action d’urgence comme la prévention en cas de catastrophes  naturelles, le processus de capacity building, le travail en consortia et/ou avec des acteurs locaux ou transparence, redevabilité et qualité. Des initiatives comme ELRHA (Enhancing learning and research of humanitarian affairs), voulant développer un curriculum des affaires humanitaires et la création d’une organisation professionnelle ont donc vu le jour.

La quête de reconnaissance de l’action humanitaire explique la volonté de s’imposer au fur et à mesure des critères contraignants volontaires, tandis que les gouvernements imposaient des limites matérielles, normatives et politiques à ces organisations.

Le concept de la certification, prolongement de cette quête, semble séduisant mais une réflexion plus approfondie entraîne un certain scepticisme : l’idée est bonne, la pratique par contre sera très probablement insatisfaisante.

Le SCHR, le Steering Committe for Humanitarian Response qui inclut neuf des grandes organisations humanitaires (1) a lancé ce projet de deux ans en même temps que l’initiative des standards communs(2). Ce deuxième groupe a mis en route un processus pour établir une plus grand cohérence des standards des acteurs pour améliorer l‘action humanitaire en faveur des personnes affectées par des catastrophes. Le résultat de ce groupe est censé  servir d’orientation pour le processus de certification au niveau global.

Avant de formuler quelques remarques critiques regardons d’abord l’aspect positif d’une telle démarche :

  1. Un tel système permettrait aux bailleurs de fond d’identifier les ONG humanitaires ayant accès à leurs fond sans devoir évaluer à chaque fois la crédibilité des acteurs en quête de fonds ;
  2. Il pourrait aussi régler le problème d’accès des ONG humanitaires sur le terrain,
  3. si l’on admet que les gouvernements/autres acteurs contrôlant l’accès des ONG humanitaires sur le terrain sont partie prenante du processus de certification. Ceci présuppose aussi que tous les acteurs acceptent les principes humanitaires comme acquis (par exemple tels qu’ils sont formulés dans le Consensus Européen Humanitaire), que tous les acteurs sont d’accord que les plus vulnérables sont prioritaires et que par implication, l’action humanitaire ne serait pas instrumentalisée pour des objectifs politiques.

Cette liste d’éléments positifs de la certification ressemble plus à un conte de fées qu’a une appréciation réaliste.

Quelles sont les attentes des gouvernements concernés ou une intervention humanitaire a lieu ?

  1. Globalement l’idée est bonne, mais la mise en œuvre est problématique, car la certification aurait des conséquences pour les procédures nationales comme pour les critères d’enregistrements ;
  2. Les critères de SPHERE, HAP ou People in Aid ont peu d’importance pour les gouvernements ;
  3. Le processus de certification entraînerait une couche administrative additionnelle;
  4. Les ONG devraient fournir trop d’informations aux gouvernements qui dans beaucoup de cas sont parti pris et donc contre une approche impartiale ;
  5. Très probablement, une telle démarche exclurait les ONG nationales émergentes vu leur niveau de développement et leurs moyens financiers.

En ce qui concerne les bailleurs de fonds la certification poserait un certain nombre de problèmes :

  1. Les bailleurs ont des critères de certification implicites ou explicites divergents et seuls ceux ayant un processus ouvert pour soumettre des projets pourraient être en faveur d’une certification ;
  2. Les bailleurs avec un système de présélection, voire même de partenariats ne seront très probablement pas disposés  à changer leurs propres procédures. Ceci est le cas entre autre pour ECHO ou USAid.

Finalement se pose le problème pour les ONG elles-mêmes.
D’ordre pratique : le processus de certification, suivant les informations données par le SCHR est d’environ 5,000 à 20,000 euros. Il s’agit  d’un montant que certaines ONG du Nord, et plus encore des ONG du Sud ne pourraient payer. C’est donc un processus Darwinien.

Un tel système favoriserait encore d’avantage la concentration du système humanitaire qui est déjà en cours et entretenu aussi par les bailleurs.

Dans cette configuration les petites ONG traditionnelles auraient peu de chances de se maintenir sur le marché tandis que les ONG émergentes auraient peu de chances d’y trouver leur place. Si ce n’était pas pour des raisons financières ce serait pour le manque d’expérience (le système SCHR prévoit un système à trois étoiles).

Finalement on se demande pourquoi ni le Mouvement de la Croix Rouge, du Croissant Rouge et ni les organisations onusiennes ne sont  inclus dans le système de certification. Il est évident que le Mouvement n’accepterait probablement  pas de se soumettre à un processus de certification, le CICR en tout premier. En plus, il est impensable que des organisations internationales gouvernementales comme l’OMS, UNICEF ou le PAM, par exemple acceptent une telle démarche.

Le directeur de DARA, Ed Schenkenberg, a écrit sur son blog récemment(3), « qu’il fallait en finir avec les bêtises de la certification ». Il ne faut pas aller aussi loin que lui. Il est suffisant d’évaluer cette approche de façon réaliste. On pourrait comparer le système envisagé à celui de la sécurité collective, tous deux basés sur une belle idée mais ne tenant pas compte de la réalité.

Le Conseil de Sécurité est le meilleur exemple. Le problème commence déjà avec la question : qui mettrait en place ce système ? Si c’est le SCHR on peut deviner quel rôle jouerait ses membres. On continue avec la question des différentes institutions prévues dans le plan du SCHR : un governing board, un advisory board, un comité de certification indépendant et finalement un siège de l’organisation. Ces différentes institutions devraient être acceptable pour les ONG et les gouvernements ! Il faut beaucoup de fantaisie pour imaginer un consensus entre ces groupes.

Il est improbable dans la phase actuelle de la politique internationale, avec la résurrection du principe de souveraineté que Kofi Annan avait déclaré en 1998 comme dépassé, de voir une action humanitaire certifiée impartiale et indépendante. Improbable aussi, que les nouvelles puissances émergentes acceptent a priori une politique humanitaire favorisant une intervention indépendante, impartiale et neutre dans leur pays.

Si les Etats se plaignent de l’invasion d’ONG humanitaires comme en Haïti ou le Pakistan, on se demande pourquoi une partie de ces organisations peuvent accéder sur le terrain. Ce qui n’est que possible avec la permission de l’état concerné…

Ce qui est déplorable c’est qu’une partie des problèmes de l’action humanitaire est de nature politique, voire sécuritaire. Dommage que beaucoup d’énergie et d’argent soient investis pour finalement aboutir à un résultat qui serait très loin de l’idée originale.

NB : ces propos n’engagent que leur auteur

(1) Les members are Care International, Caritas Internationalis, le Comité International de la Croix Rouge, la Fédération international des Societes de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, la Fédération Luthérienne mondiale, Oxfam International, Save the Children, ACT Alliance et World Vision International
(2) Incluant SCHR, HAP et People in Aid
(3) http://blog.daraint.org/2013/10/25/certification-a-cosmetic-exercise-in-humanitarian-response/

Wolf-Dieter Eberwein

Wolf-Dieter Eberwein

Wolf-Dieter Eberwein a été président de Voice de 2008 à 2012.