Ces Africains qui pleurent la mort de Ben Laden !

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Ben Laden, symbole de la lutte contre les inégalités planétaires?
Symbole de la lutte contre les inégalités planétaires?

L’élimination physique de Ben Laden marque un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme à l’échelle planétaire. Activement recherché par les Etats-Unis dont il était considéré comme l’ennemi public N°1 au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la mort de celui dont le nom de code était Geronimo, fut saluée par la quasi-totalité des Etats africains. Ces déclarations vont parfois à l’encontre des réactions de la rue. En effet, sur le continent noir, l’annonce de la mort du leader incontesté d’Al Qaïda fut marquée par la colère, des pleurs et des hommages d’une petite minorité d’Africains. Qui sont-ils ? Pourquoi pleurent-ils Ben Laden ?

Le continent africain est depuis plus d’une décennie, le théâtre de violents attentats qui portent la marque d’Al Qaïda. L’on se souvient encore des attentats meurtriers du 7 août 1998 contre les ambassades américaines à Nairobi au Kenya et à Dar es Salaam, en Tanzanie. Et depuis 2007, le Maghreb et la zone sahélienne abritent la branche locale d’Al Qaïda connue sous le nom d’AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) qui s’illustre depuis quelques années par des  actes de représailles et  d’enlèvements de ressortissants occidentaux. Des situations qui attestent qu’à l’instar de l’occident, l’Afrique est, elle aussi, victime du terrorisme international. Cependant, après l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden, alors que la plupart des journaux africains et des spécialistes du terrorisme se demandaient si la liquidation du chef d’Al Qaïda sonnait le glas au terrorisme, les réactions de la rue africaine n’ont pas tardé à se faire entendre.

Aussi nombreuses et diverses soient-elles, c’est du côté du Maghreb et de la zone sahélienne du continent que la mort de Ben Laden fut accueillie avec beaucoup de tristesse et de chagrin par une infime partie de la population. Une situation qui montre que malgré ses agissements barbares et les souffrances indescriptibles qu’il infligeait dans ce monde, certains africains avaient une certaine sympathie pour l’homme. Cela est d’autant vrai qu’au lendemain de sa mort, un jeune tunisien fit le commentaire suivant sur twitter : « Nous sommes fier de la mort d’un musulman qui a été capable de secouer le monde à un moment où les armées arabes unies ne le pouvaient pas ».

En Algérie, l’hommage à la mort de Ben Laden fut rendu par certains jeunes en ces termes : « Nous demandons à Allah de lui pardonner, de prendre son âme en pitié et de l’accueillir en martyr. Pour ce qui est du Djihad légitime, il continuera jusqu’au jour du jugement ».

En Afrique subsaharienne et au Maghreb, certaines personnes qualifient d’ailleurs le raid américain à la suite duquel Ben Laden a été tué, d’opération expéditive à la Charles Lynch, appliqué à un homme désarmé au moment des faits. Aussi étonnant que cela puisse paraître, on constate que les plus fervents partisans de Ben Laden sur le continent africain sont les jeunes. Ils affirment qu’ils auraient préféré que Ben Laden fût arrêté, condamné et envoyé en prison. Pour eux, Ben Laden était « un homme du peuple » qui combattait l’injustice à sa façon, tout en osant dire plus haut ce que bon nombre de musulmans pensaient tout bas.

Ainsi, malgré l’image négative qu’il a donnée de l’islam à travers ses appels incessant au Djihad, certains ressortissants du Maghreb et de la zone sahélienne se refusent à le qualifier de terroriste. Pour eux, Ben Laden était un héros planétaire. C’est  une idéologie ou un phénomène qui a su s’élever contre l’impérialisme occidental et qui a pu frapper, endeuiller et défier pendant plus d’une décennie les Etats-Unis qui symbolisent la superpuissance.

Dire « non » à l’occident…

A en croire ceux qui pleurent sa mort, Ben Laden est le seul qui a su dire « non » dans une ère où les arabes et plus particulièrement les musulmans disaient « oui ». En effet, il faut souligner que nombreux sont les jeunes africains à désapprouver la politique des occidentaux envers les pays arabes et plus particulièrement celle menée par les Etats-Unis. Il est important de savoir que même parmi les africains qui condamnent le terrorisme, les discours de Ben Laden contre la présence des Etats-Unis et leurs alliés en Irak et en Afghanistan ont souvent trouvé un écho favorable.

En Mauritanie, certains jeunes ont rendu hommage au leader d’Al Qaïda en louant ses actes posés en Irak et en Afghanistan : « Nous, on aime beaucoup Oussama Ben Laden. On a acheté ses CD, ses programmes de prêche. Il y a beaucoup de choses qu’il a faites en Irak et en Afghanistan. Et tout cela, on aime beaucoup. Et nous sommes d’accord avec le 11 septembre. […] les gens ici sont des amis de Ben Laden, parce qu’ils disent que Ben Laden fait le Djihad. Il y a beaucoup d’hommes ici qui travaillent avec Ben Laden mais ils sont cachés».

Au Sénégal, d’autres jeunes embouchent la même trompette et justifient les actions de celui qu’ils voient comme un héros pour son opposition aux Occidentaux : « Je suis d’accord avec le combat de Ben Laden, c’est la raison pour laquelle j’ai pris le surnom de Ben Laden. Les français et les américains sont en train de combattre l’islam. Dans la mesure où je suis un musulman, ce que je dois faire, c’est de participer à la lutte. Si j’avais les moyens, je ferais comme Ben Laden, c’est sûr », s’exclame l’un d’entre eux. Il ressort donc de tous ces témoignages que la fascination que suscite Ben Laden auprès de certains jeunes africains vient du fait que pour eux, le chef terroriste symbolise la lutte contre les inégalités qui caractérisent le monde.

Sur le continent africain, Ben Laden est devenu pour certains, une icône audiovisuelle, un logotype ou une mascotte qui fait vendre. En témoignent les divers objets à l’effigie du chef rebelle. Plusieurs statistiques attestent par ailleurs que nombreuses sont les personnes qui baptisent leurs enfants Oussama, depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Il faut dire que les partisans de Ben Laden en Afrique soutiennent que la mort du chef d’Al Qaïda peut-être accueillie avec ferveur par des centaines de millions de personnes, mais les Etats-Unis ne doivent pas oublier qu’ils s’attirent la haine de l’humanité car Ben Laden a insufflé à des millions de musulmans, l’esprit du Djihad pour créer des millions de Ben Laden de par le monde, qui seront capables de renverser Obama et ses semblables. Selon le journaliste soudanais Tital Ismail, « Dans les prochaines étapes, l’organisation Al Qaïda œuvrera pour venger la mort de son leader. Plusieurs cellules dormantes pourraient être activées par ses collaborateurs. La période à venir pourrait connaître un nombre extraordinaire d’activités de ces cellules, à travers des attaques contre des cibles américaines dans plusieurs pays du monde ».

On voit donc que dans l’imaginaire collectif d’une infime partie de la population maghrébine et sahélo-sahélienne, à travers le terrorisme, Ben Laden combattait une certaine injustice. Des propos qui sont renchéris par un quotidien burkinabé qui soutient que : « tant qu’il y aura l’injustice et le manque d’équité dans le monde, les mouvements terroristes trouveront un terreau fertile pour germer, pousser et croître avec toutes les implications que cela comporte ».

Un corps jeté en haute mer

A delà de sa mort,  l’immersion de la dépouille de Ben Laden en haute mer a suscité l’émotion, l’indignation, la colère et a heurté la sensibilité de certains musulmans africains. L’autorité religieuse sunnite d’Al Azhar a dénoncé le non respect des rites musulmans : « L’islam est totalement contre ce genre de comportement (jeter un corps à la mer). Il faut respecter le corps d’un être humain, croyant ou non, musulman ou non » s’écria-t-il. Selon ce leader religieux, L’inhumation se fait en terre sans cercueil. La dépouille doit être placée parallèlement à la Mecque, la tête du défunt légèrement tournée vers la droite pour que son visage soit tourné vers la Kaaba, le sanctuaire sacré de la Mecque.

A en croire Nadia Yassine, fondatrice de la section féminine du mouvement Justice et bienfaisance, « pour une grosse partie de la population marocaine, Ben Laden n’est pas perçu comme un homme maléfique. Il aurait mieux valu avoir un tribunal. On l’a tué et jeté à la mer, et ce qui est dangereux, c’est le combat au niveau du symbole, et dans le monde musulman on réagit ».

 

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé est Docteur en Science Politique, consultant en géopolitique et relations internationales, expert en maintien de la paix puis spécialiste de la défense et de la sociologie militaire. Il enseigne la communication à l’Université de Rouen.