L’après-Gbagbo : les relations franco-ivoiriennes renaissent de leurs cendres

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Depuis l’avènement du Président Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, on assiste à une décrispation des relations franco-ivoiriennes. Les nuages qui obscurcissaient le ciel des relations de ces deux pays semblent progressivement se dissiper. La présence du Président Sarkozy à l’investiture du nouveau Président ivoirien et l’accueil triomphal qu’il a reçu des partisans de Ouattara à Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d’Ivoire, sont autant de signes parmi tant d’autres qui marquent le retour politique de la France en Côte d’Ivoire.

Il faut dire que ces deux pays amis ont entretenu ces dix dernières années, des relations très complexes et parfois orageuses. En effet, après son accession à la magistrature suprême en octobre 2000, le Président Gbagbo avait voulu donner une nouvelle orientation à la coopération franco-ivoirienne. Et, c’est dans cet esprit que dès les premières années de sa mandature, il va bâtir son pouvoir sur la carte nationaliste en s’affirmant comme le défenseur de la souveraineté nationale ou encore le véritable symbole de la lutte contre l’impérialisme français en Côte d’Ivoire et partant, dans toute l’Afrique subsaharienne francophone.

Ainsi, pour joindre l’acte à la parole, le Président Gbagbo remet en cause plusieurs contrats signés de longue date entre Paris et Abidjan, exige la fermeture de la base militaire française et le départ des soldats tricolores du territoire ivoirien. Il demande par ailleurs la révision des accords de défense signés en avril 1961 et diversifie ses partenaires dans l’attribution des marchés publics après des appels d’offres internationaux. Toutes ces initiatives ont jeté un froid sur les relations franco-ivoiriennes et ne sont pas allées sans susciter grincements de dents, méfiance et tension entre les deux pays.

Le 19 septembre 2002, quand a lieu la tentative de coup d’Etat qui se mue en une rébellion armée, le Président Gbagbo voit la main de son homologue français dans cette tentative de déstabilisation de son régime. La gestion controversée de la France dans cette crise et les accusations récurrentes et publiques du camp Gbagbo à l’égard de Jacques Chirac, soupçonné de soutenir la rébellion avaient dégradé davantage les relations entre l’ancienne puissance coloniale et son pré-carré africain.

Le point culminant de cet imbroglio politico-diplomatique et militaire fut les évènements douloureux et malheureux de novembre 2004, à la suite desquels le sentiment anti-français dans le pays montera d’un cran. Ainsi, lors de gigantesques manifestations des jeunes patriotes, l’on pouvait entendre scander des slogans hostiles comme « A chaque ivoirien son français ».

Respect mutuel entre Sarkozy et Ouattara…

Depuis l’arrestation du Président Gbagbo le 11 avril dernier et la prise de pouvoir effective par le Président Alassane Ouattara, les relations tendues entre les deux pays semblent désormais appartenir au passé. Ce sentiment est partagé par Nicolas Sarkozy qui ne manque pas de souligner que l’élection d’Alassane Ouattara ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de la Côte d’Ivoire et des relations franco-ivoiriennes. Cela est d’autant vrai que ces deux hommes se connaissent très bien et entretiennent des relations amicales depuis des décennies. Alassane Ouattara que Laurent Gbagbo a qualifié de « candidat de l’étranger » en référence au concept de l’ivoirité, lors de la dernière élection présidentielle a toujours bénéficié du soutien de Nicolas Sarkozy.

Cette amitié de longue date entre ces deux hommes peut d’ailleurs expliquer le soutien sans faille que Paris a apporté à Alassane Ouattara dans le bras de fer politico-diplomatique et militaire qui l’a opposé à son rival Laurent Gbagbo et qui s’est soldé par la capture de ce dernier. Même si Paris soutient avoir agi conformément au mandat des Nations Unies en Côte d’Ivoire et en vertu des résolutions 1962 et 1975 du Conseil de sécurité, le Président Ouattara n’a pas tari d’éloges à l’égard de la France et de son Président à l’occasion de son investiture le 21 mai dernier.

Signe de sa redevabilité et de sa reconnaissance à l’endroit de l’ancienne puissance qui lui a permis de neutraliser son rival politique et d’accéder à la plénitude de ses fonctions. « Monsieur le Président Sarkozy, le peuple ivoirien vous dit un grand merci. Oui un grand merci pour votre engagement dans la résolution de la crise ivoirienne sous mandat des Nations Unies qui a permis de sauver de nombreuses vies. Nous vous serons toujours reconnaissants », a-t-il souligné dans son discours.

Notons que le renouveau de la coopération franco-ivoirienne marque dans le même temps la fin du sentiment anti-français entretenu depuis des années par les médias pro-Gbagbo. Ce changement de climat majeur est symbolisé par le maintien de la base militaire française du 43e BIMA (Bataillon d’infanterie maritime) dans le pays. Nicolas Sarkozy l’a lui-même annoncé à l’occasion de son discours prononcé à Port-Bouët devant la communauté française vivant en Côte d’ivoire. Pour le Président français, il est important de garder « une présence militaire en Côte d’Ivoire pour protéger nos ressortissants ». Dans le même temps, il lève toute équivoque sur de la base militaire dans le pays: « Je veux que les choses soient claires entre nous : l’armée française n’est pas là pour assurer la stabilité de quelque gouvernement que ce soit, fut-il un gouvernement ami. […] l’armée française n’a pas vocation, c’est une nouvelle époque, à soutenir ou à intervenir dans les affaires des Etats africains».

Au-delà de la sécurisation des ressortissants français, le maintien des troupes françaises en Côte d’Ivoire répond sans aucun doute à une demande des autorités ivoiriennes. Cela peut s’analyser à termes d’enjeux  aussi bien endogènes qu’exogènes. D’une part, au regard de l’insécurité qui règne à Abidjan, la capitale économique et dans l’Ouest du pays, les nouvelles autorités ivoiriennes auront certainement besoin des militaires tricolores pour aider les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) à  assurer le maintien de l’ordre. A cela s’ajoute la réforme de la nouvelle armée. Il faut dire que la Côte d’Ivoire bénéficiera de l’expérience et de l’expertise des militaires français dans formation des militaires ivoiriens et la constitution de la nouvelle armée ivoirienne.

D’autre part, on peut dire que la présence des militaires français en Côte d’Ivoire répond beaucoup plus à des préoccupations d’envergure régionale. En effet, à l’instar des autres pays ouest-africains, le pays n’est pas à l’abri de menaces extérieures et transfrontalières telles que le terrorisme international. Donc, la présence de militaires français sur le sol ivoirien pourrait contribuer à juguler ces menaces terroristes à l’échelle internationale.

Relations décomplexées et… normalisées ?

A en croire le Président Ouattara, le maintien de la base militaire française sur le territoire ivoirien est une volonté des autorités ivoiriennes : « Le Président Bédié et moi avions saisi déjà les autorités françaises en son temps pour que la base soit maintenue. Sous prétexte de choses que je ne qualifierai pas, mon prédécesseur avait demandé le départ de la base militaire du 43 BIMA. La Côte d’Ivoire est un lieu très important en Afrique de l’Ouest. Nous sommes tout de même au centre de l’Union économique et monétaire. Nous sommes la 2e puissance au sein de la CEDEAO. Nous avons une coopération très étroite avec des pays comme le Burkina et le Mali où il y a des menaces de terrorisme. Donc, nous pouvons dire que l’influence collective avec nos partenaires va jusqu’aux frontières de l’Algérie et d’autres pays où le terrorisme est qu’en même une menace. Alors, pourquoi retirer la base militaire de la Côte d’Ivoire ? Je trouve que c’est un instrument important pour lutter contre le terrorisme. Il faut que cette base soit renforcée. Il faut que toute cette sous-région soit en paix et soit protégée parque nous n’avons pas les moyens de renseignement et de suivi pour régler les problèmes terroristes ».

Cependant, certains militants de l’ex-parti au pouvoir continuent de dénoncer cette coopération franco-ivoirienne qu’ils qualifient de paternalistes. Ainsi, pour Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale et par ailleurs président par intérim du front populaire ivoirien,  Il n’est pas admissible qu’aujourd’hui, encore les choses se passent entre Paris et Abidjan comme elles se sont passées en 1945-1946 ou 1960. Pour lui, l’assistance permanente de la France est de nature à infantiliser les Etats. Face aux détracteurs qui voient dans le maintien de la base militaire française en Côte d’Ivoire, un retour de la France-Afrique,  le nouvel homme fort de la Côte d’Ivoire soutient qu’il n’y pas de complexe à solliciter la France : « Pourquoi voulez-vous chaque fois singulariser l’Afrique ? Les Etats-Unis ont des bases dans d’autres pays. En quoi cela gène ? Il y a des bases au Moyen Orient, cela ne gène pas. Quand il s’agit de protéger l’Afrique, on en fait un complexe. Nous, nous n’avons pas de complexe. Nous voulons travailler à protéger les ivoiriens, à protéger les africains ».

Le retour de la Côte d’Ivoire dans le concert des Nations est désormais effectif. Les relations décomplexées dont parlent les Présidents français et ivoiriens marquent-elles la fin d’un certain monopole de la France en Côte d’Ivoire ? Alassane Ouattara, qui pendant longtemps fut considéré par l’Elysée comme le candidat le plus américanophile ne va-t-il pas se tourner vers les Etats-Unis ? Cet ancien haut fonctionnaire du FMI (Fond monétaire international), libéral de surcroit a de nombreuses entrées dans le milieu des affaires au pays de l’Oncle Sam.

Une chose est sûre, la Côte d’Ivoire représente désormais un enjeu géopolitique aux yeux du monde. Et les Etats-Unis n’hésiteront donc pas à s’y positionner de façon stratégique.

 

 

 

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé est Docteur en Science Politique, consultant en géopolitique et relations internationales, expert en maintien de la paix puis spécialiste de la défense et de la sociologie militaire. Il enseigne la communication à l’Université de Rouen.